Seine-Saint-Denis (93)

Éric Mathais :« L’intervention très forte de l’État a manifestement permis d’éviter le pire dans l’immédiat » !

Publié le 23/02/2022
Intervention, aide
jozefmicic/AdobeStock

Le 26 janvier 2022, le tribunal de commerce de Bobigny organisait son audience solennelle pour clore l’année précédente et ouvrir l’année 2022. Cette année encore, pandémie oblige, l’événement a eu lieu en comité restreint, limitant l’accès à la salle aux juges à installer. L’audience pouvait néanmoins être suivie en direct sur YouTube.

À la suite d’une brève introduction du président du tribunal de commerce de Bobigny, Francis Griveau, l’installation des juges nouvellement élus a pu se dérouler. « La promotion 2022, avec 10 nouveaux juges, porte à 33 % le nombre de juges des trois dernières promotions, sur un effectif théorique de 78 juges », a commenté le président. « Notre action de formation est donc essentielle. Compte tenu du délai minimum de formation des juges de 3 à 5 ans, cela demande une mobilisation importante de notre tribunal et je tiens à remercier tous ceux qui ont contribué à la mise en place d’une ingénierie de formation, au sens large, en plus des formations de l’École nationale de la magistrature (ENM) ».

Depuis leur élection, ces nouveaux juges ont participé, chaque semaine, à l’activité du tribunal, dans le cadre de leur formation initiale. À noter : la nouvelle promotion compte 40 % de femmes dont 17 % au niveau du tribunal. La diversité se retrouve également dans les secteurs d’activité des nouveaux élus : l’informatique, l’expertise dans les immeubles, la spécialisation dans les volets roulants, le luxe, le conseil aux entreprises, l’aéronautique, la formation ou encore le matériel Hi-Fi.

Faut-il craindre un « rebond des défaillances d’entreprises » ?

Le procureur de la République, Éric Mathais, a souhaité faire trois observations lors de sa réquisition. La première concernait la baisse « spectaculaire » des procédures de défaillance d’entreprise depuis le mois de mars 2020 ; cela découle des dispositifs de soutien aux entreprises mis en place, depuis le début de la pandémie. « L’intervention très forte de l’État a manifestement permis d’éviter le pire dans l’immédiat », a-t-il déclaré. Tout comme les procédures collectives (- 11 % en 2021), les ouvertures sur déclaration de cessation des paiements sont également en baisse tandis que les saisines du parquet sont globalement stables (entre 500 et 600 par an). « Si cela peut paraître être une bonne chose », constate le procureur, « cela fait craindre un rebond des défaillances d’entreprise au moment où les aides publiques s’arrêteront ou devront être remboursées. » Il pose alors la question : « Est-ce qu’il y aura un effet de rattrapage ? Un mur des faillites ? Les tribunaux de commerce pourront-ils faire face ? »

Cet « engorgement éventuel » peut aboutir, selon lui, « à une dégradation de l’efficacité du processus de restructuration des entreprises solvables qui risquent d’être liquidées alors que celles vouées à l’échec seraient maintenues artificiellement en vie ».

Une « grande frustration » face à un manque de moyens

Pour sa deuxième observation, le procureur a mis l’accent sur le rôle du ministère public devant le tribunal de commerce qui a évolué ces dernières années, notamment en matière de conciliation. Il poursuit cependant : « Ce rôle m’oblige à souligner que le renforcement notable des responsabilités du parquet en matière commerciale ne s’est accompagné d’aucun renforcement des moyens spécifiques et a été et sera assuré à moyens effectifs constants ». Une étude de la Commission européenne pour l’efficacité de la justice (CEPEJ) qui compare l’efficience des systèmes judiciaires des 47 pays du Conseil de l’Europe souligne que la France compte 3 procureurs pour 100 000 habitants, alors que la moyenne européenne est de 11,25 procureurs pour 100 000 habitants. « Si le parquet de Bobigny était dans la moyenne européenne, je pourrais espérer entre 188 et 225 magistrats du parquet. Nous sommes actuellement 57 » !

« Sans vouloir se plaindre », assure-t-il, Éric Mathais explique comment « ces chiffres font toucher du doigt le fait que, malgré leur dévouement et leur force de travail, les collègues du parquet ne peuvent pas travailler aussi bien actuellement qu’ils le souhaiteraient ». Il évoque une « grande frustration ».

La déontologie au cœur de la justice

Lors de sa réquisition, le procureur de la République a enfin évoqué les obligations déontologiques des juges consulaires face à certaines critiques ; on parle d’entre-soi, de maladresse voire d’illégalité. Ces affaires seraient des cas isolés, qui ne devraient pas devenir des références. « Les magistrats consulaires ont et auront, tout particulièrement dans ce contexte de crise sanitaire et d’un possible effet de rattrapage, un rôle majeur à jouer de conciliation des intérêts financiers des créanciers, de respect des règles juridico-économiques et de préservation sociale. Vous devez avoir collectivement et individuellement le souci de cette exemplarité », a-t-il adressé aux juges nouvellement élus.

À ce propos, le président rappelle que le tribunal de commerce de Bobigny a participé activement à l’élaboration d’un kit pour les magistrats sur les obligations déontologiques des juges. Le tribunal a également renforcé sa formation continue ces dernières années avec la loi J21.

Le bilan 2021 du tribunal de commerce de Bobigny

Après la clôture de l’année judiciaire du tribunal de commerce et l’ouverture de l’année judiciaire 2022, c’est au tour du président, Francis Griveau, de prendre la parole et de dresser son bilan. Le registre du commerce et des sociétés (RCS) compte 148 816 entreprises inscrites contre 135 369, en 2020. La Seine-Saint-Denis est donc l’un des départements les plus dynamiques de France.

Pour le contentieux, réunissant cinq chambres et 53 juges, l’activité est en hausse généralisée depuis l’année 2019 tant pour les affaires au fond (+ 30 %), qu’en référé (+ 7 %). « Il y a un nombre important de litiges concernent les réclamations des transporteurs aériens du fait d’annulations de vols », précise-t-il. « En prévention-détection, 584 entretiens ont été menés par les juges de la prévention, ce qui constitue une hausse par rapport à l’année 2020. Ces entretiens ont été déclenchés par des alertes des commissaires au compte, des reports des assemblées générales et surtout par une analyse des comptes par le greffe », poursuit-il.

« Le rehaussement des seuils de nomination ainsi que celui des inscriptions de privilèges nous privent d’un grand nombre d’alertes préjudiciables », dit-il.

Le président déplore cependant que « les organismes au contact des sociétés en difficulté n’adressent pas suffisamment au tribunal de commerce des sociétés que nous pourrions aider. Une mutualisation des efforts avec la chambre de commerce et d’industrie (CCI) de la région Paris – Île-de-France et sa nomination à venir en tant que groupement de prévention agréé (GPA), nous permettra une plus grande efficacité sur 2022 ».

L’audience solennelle a été l’occasion de rappeler la mise en place de l’Aide psychologique aux entrepreneurs en souffrance aiguë (APESA) en Seine-Saint-Denis. Ce dispositif propose une assistance psychologique et une prise en charge de cinq consultations gratuites.

Les objectifs de l’année 2022

Parmi les objectifs de l’année 2022, le procureur a cité celui d’Isabelle Minguet, procureure adjointe de la République, soit le fait « d’approfondir les liens entre le parquet et les juges de la prévention, afin que ceux-ci signalent au parquet les situations problématiques ». Une réunion s’est déjà tenue sur ce point en début d’année.

Pour les sanctions, Éric Mathais a mentionné la « nécessité que tous les mandataires introduisent des actions en sanctions lorsque les procédures de liquidation le justifient. Il conviendrait que les actions en sanctions pour insuffisance d’actif soient davantage mises en œuvre. Seules 13 sanctions patrimoniales contre des dirigeants ont été prononcées en 2021. Cela est à mettre en parallèle avec le nombre des sanctions personnelles qui s’élève à 420. » Quant au président, il a demandé aux mandataires « d’accentuer leurs actions afin de permettre une plus grande activité de sanctions patrimoniales ».

Remerciant l’ensemble des acteurs et actrices du tribunal et soulignant le bon fonctionnement de celui-ci, le président Francis Griveau a, enfin, tenu à souligner le travail des greffiers, pour la « qualité de leur accueil ainsi que leur implication dans la transformation numérique de la juridiction ». « L’investissement financier afin de doter les juges de clés numériques individuelles pour la signature à distance a été particulièrement apprécié, tout comme la mise à niveau d’outils informatiques dans les chambres des juges. Cette aide représente un apport inestimable ».

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