Le CSM alerte sur la très forte lassitude de l’institution judiciaire

Publié le 30/08/2017

À l’occasion de la présentation du rapport annuel du CSM, le 6 juillet dernier, Bertrand Louvel, président de la formation du siège et Jean-Claude Marin président de la formation du parquet ont alerté sur l’état de l’institution judiciaire, qu’ils décrivent lasse, découragée, en souffrance.

Clochardisation, souffrance, délabrement, les mots employés par le CSM dans les quatre pages de son rapport annuel consacrées aux moyens de la justice sont particulièrement lourds. Surtout sous la plume de magistrats dont on connaît la retenue.  Il est vrai que les membres du Conseil sont aux premières loges pour observer la réalité de la situation. Au titre de leur mission d’information, ils ont visité l’an dernier 11 cours d’appel, 41 TGI et réalisé 71 entretiens avec des magistrats. Le compte-rendu de ces déplacements est cinglant : « Le conseil regrette vivement l’indigence des moyens mis à la disposition des cours et tribunaux, qui ne peuvent assurer leurs missions selon les standards définis par les textes du Conseil de l’Europe ».  La dégradation des conditions de travail,  souligne le rapport, est liée à la demande croissante de justice, à la multiplication des réformes, et aux vacances de postes. La situation est particulièrement grave dans les parquets. Deux jours plus tôt, ceux-ci avaient d’ailleurs présenté un livre noir à la presse dénonçant leur situation et proposant des solutions (voir encadré). Le CSM a confirmé leur diagnostic, Jean-Claude Marin évoquant un « malaise important », consécutif au décalage de plus en plus grand entre les moyens et les missions.

La justice, simple service public ?

« C’est donc dans un contexte de grand découragement, voire de souffrance, avec le sentiment de ne plus être en capacité de remplir leur mission, à laquelle il sont pourtant très attachés, que les fonctionnaires et les magistrats reçoivent certains messages très négatifs quant à la place même de l’autorité judiciaire », notent les auteurs du rapport au titre du bilan général de l’année écoulée. Car la crise de l’institution n’est pas que budgétaire, elle devient aussi morale. Les messages négatifs ainsi dénoncés visent notamment les « propos inacceptables tenus sur les magistrats par le garant même de l’indépendance de la justice qui ont justifié un communiqué du Conseil ». Le CSM fait évidemment référence au livre « Un président ne devrait pas dire ça » (Stock, 2016) dans lequel les journalistes Gérard Davet et Fabrice Lhomme rapportent que François Hollande aurait qualifié la justice « d’institution de lâcheté » et ajouté « C’est quand même ça, tous ces procureurs, tous ces hauts magistrats, on se planque, on joue les vertueux… On n’aime pas le politique ».

Autre sujet d’inquiétude pour ne pas dire de colère, le bilan du colloque des 25 et 26 mai 2016 à l’Assemblée nationale et au Sénat sur la place de l’autorité judiciaire dans les institutions. Aux yeux du CSM, il a montré « combien les pouvoirs exécutif et législatif, loin de reconnaître à la justice la place d’un pouvoir judiciaire, comme c’est pourtant le cas dans de nombreuses démocraties, au nom de la séparation des pouvoirs, lui contestent même sa place d’autorité judiciaire, consacrée pourtant par la Constitution de la Ve République, pour la ramener au rang de simple service public ».

Dans ce contexte, le CSM attend beaucoup du nouveau gouvernement. À ce titre, le discours du président Emmanuel Macron au congrès de Versailles le 3 juillet dernier, a été perçu positivement. « Il souhaite instaurer l’indépendance pleine et entière de la justice », se réjouit le président de la formation du siège, Bertrand Louvel, qui ajoute « ce qui signifie bien qu’elle ne l’est pas ».

Inquiétude

Au-delà de ses éléments de contexte, le bilan de l’activité du Conseil en 2016 ressemble en tous points à celui de 2015 en ce qu’il soulève les mêmes inquiétudes. Ainsi, s’agissant des nominations, plusieurs phénomènes déjà identifiés s’aggravent. Comme l’an dernier, le CSM constate une forte mobilité des magistrats. En douze mois, il s’est prononcé sur 2 243 propositions de nomination du garde des Sceaux et a émis 73 propositions de nomination relevant de son pouvoir propre (sur un total de 8 000 magistrats). En 2015, il avait rendu rendu 2 576 propositions ou avis en matière de nominations, après examen de 3 586 situations, soit 43 % du corps judiciaire. Le CSM soulignait alors à ce sujet qu’une trop faible mobilité peut générer la sclérose, mais à l’inverse une trop forte mobilité nuit à la qualité et à la célérité de la justice. Et de citer des cas où il a pu observer par exemple trois magistrats se succéder sur un poste en l’espace de 5 ans !

Un autre sujet d’inquiétude porte sur le manque d’intérêt des candidats pour les postes de chefs de juridiction. Une désaffection qualifiée de « massive ». Ainsi sur les 28 postes de premier grade pourvus en 2016, 11 comptaient moins de 6 candidats. Le CSM juge la situation « alarmante » et tempère certaines exigences, par exemple sur les durées requises au titre des précédentes fonctions pour élargir le choix des candidats, mais il se refuse à déroger à la règle selon laquelle un magistrat ne peut être nommé à la tête de la juridiction où il exerce.

Deux innovations en matière de saisine directe

Du côté de l’activité disciplinaire, le constat en 2016 est aussi le même que celui des années précédentes : la saisine directe par les justiciables ne fonctionne pas. L’an dernier, le CSM a reçu 250 nouvelles plaintes contre 225 en 2015. Un chiffre en baisse constante depuis le pic de 2011 (421 dossiers). Le total des plaintes se répartit de la manière suivante : 72 % concernent le siège, 10 % le parquet et le reste correspond à des plaintes mixtes. Seules 7 plaintes ont été déclarées recevables dont 6 pour le siège et 1 pour le parquet. Une proportion comparable aux autres années. Un seul dossier a été examiné en 2016 devant le conseil de discipline des magistrats du siège. Il s’est soldé par… un non-lieu à sanction.

Les raisons du faible succès de ces procédures sont parfaitement connues : mauvaise compréhension des justiciables qui y voient un niveau de recours supplémentaire, difficulté pour les plaignants à prouver les griefs qu’ils invoquent, faible présence des avocats (4 dossiers en 2016 parmi lesquels 2 ont été déclarés recevables).

Pour tenter d’améliorer la procédure, les membres du conseil se sont accordés pour donner compétence aux présidents des commissions d’adresser des demandes de pièces complémentaires aux requérants. Le fait qu’ils n’aient aucun pouvoir d’enquête participe en effet du peu d’efficacité de la procédure, d’où l’intérêt pour eux, à défaut d’enquêter, de pouvoir demander au justiciable des documents supplémentaires. Autre initiative adoptée en 2016 pour faire avancer les choses, les décisions motivées de rejet seront désormais adressés à la Chancellerie et aux chefs de cours. Celles-ci sont en effet l’occasion de faire des observations déontologiques dans des dossiers qui ne méritent pas d’aller au disciplinaire mais posent néanmoins un problème.

La main dans le sac

Au titre de son activité disciplinaire enfin, le CSM a reçu 6 saisines dont 4 concernant le siège (y compris celle du justiciable) et deux relatives au parquet. Il a rendu 2 décisions au fond sur le siège et un avis sur le parquet. La première décision sur le siège en date du 20 avril 2016 concernait une magistrate à qui il était reproché une conduite méprisante à l’égard de ses collègues, irrespectueuse envers ses supérieurs et empreinte de parti pris à l’égard des justiciables. Sur ce dernier point, cette juge aux affaires familiales avait pris l’habitude, lors des audiences de conciliation, d’informer qu’elle était opposée aux gardes alternées pour les jeunes enfants. Elle a été déplacée d’office. La deuxième décision en date du 9 juin concernait la plainte du justiciable évoquée précédemment. Il s’agissait d’une magistrate qui, alléguant de sa qualité, avait pris parti dans une procédure dont elle n’était pas en charge et jeté le discrédit sur une décision de première instance. La plainte a débouché sur un non-lieu en raison du fait que la magistrate n’agissait pas dans l’exercice de ses fonctions, contrairement aux exigences de l’article 50-3 de l’ordonnance du 22 décembre 1958 au terme duquel « tout justiciable qui estime qu’à l’occasion d’une procédure judiciaire le concernant, le comportement adopté par un magistrat du siège dans l’exercice de ses fonctions est susceptible de recevoir une qualification disciplinaire peut saisir le CSM ». La décision relève également que la saisine est intervenue après expiration du délai de prescription d’un an suivant une décision irrévocable mettant fin à la procédure.

Enfin, la commission en charge de la discipline du parquet a rendu un avis de mise à la retraite d’office concernant un magistrat du parquet qui, en proie à d’importantes difficultés financières, avait volé des pièces de monnaie dans le sac d’une de ses collègues. Il faut noter que si peu de plaintes de justiciables prospèrent, ici une seule sur 250 dossiers, ce mode de saisine représente quand même 30 % des dossiers disciplinaires jugés en 2016…

Dans les mois qui viennent, deux dossiers majeurs vont concerner l’institution. D’une part, le budget. Le Premier ministre a confirmé qu’une loi de programmation serait adoptée mais l’a annoncée pour 2018. Aux yeux du sénateur Philippe Bas, auteur d’un rapport et de deux propositions de lois pour sauver la justice, c’est trop lent, il faut que la loi soit adoptée dès cette année pour que d’ici 2022, le budget actuellement de 8,7 milliards d’euros soit porté à 10,9 milliards. Par ailleurs, l’institution attend la réforme constitutionnelle sur l’indépendance du parquet. Deux dossiers qui vont avancer à l’automne.

 

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