Initiadroit : « Il faut montrer aux élèves que le droit est quelque chose de vivant »

Publié le 12/04/2018

Née en 2005, Initiadroit, association reconnue d’utilité publique, compte sur la motivation sans bornes de ses 800 avocats bénévoles pour ouvrir le droit aux jeunes par des interventions dans les collèges et lycées. Au cours de l’année 2016-2017, 33 500 élèves ont pu bénéficier de ces entrevues, pour 2 245 heures bénévolement données par les avocats membres. Parmi les chanceux, les élèves du collège Lucie Faure dans le XXe arrondissement de Paris, où Renaud Farella exerce comme professeur d’histoire-géographie. Rencontre de deux professions ancrées dans les questionnements de la jeunesse.

Initiadroit initie les collégiens au droit.

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« Google a-t-il le droit de stocker des données personnelles concernant la santé, les opinions politiques ou la religion des internautes ? Peut-on faire retirer des informations ? Quels conseils donneriez-vous pour bien gérer sa e-réputation ? »… Des élèves, de dos, posent des questions à Me Pierre Desmarais, avocat spécialiste des nouvelles technologies. La vidéo de 6 minutes, synthèse des questions les plus pertinentes et mise sur Youtube, fait la fierté des élèves du collège Lucie Faure, dans le XXe arrondissement de Paris. Une fierté partagée par Renaud Farella, leur professeur d’histoire-géographie dans cet établissement. « D’habitude, dans les médias, on ne laisse la possibilité aux adolescents de ne s’exprimer que sur les jeux vidéos ou la musique ». Or là, c’est du lourd auquel ils s’attaquent : le droit. Pour ce faire, ils sont aidés par l’association Initiadroit qui missionne des avocats volontaires pour venir discuter d’un thème choisi en amont. Pour cette séance, le numérique était abordé, soulevant de nombreuses interrogations que les jeunes se posent dans leur quotidien.

Leur quotidien ? Voilà tout l’enjeu de ces interventions. Ancrer le droit dans le concret, le réel. Le sortir de son carcan intellectuel. Les avocats d’Initiadroit proposent ainsi soit des interventions, calées en fonction du programme des élèves, de la 6e à la terminale, soit participent à des vidéos, où les questions sont pensées et envoyées en amont afin de leur permettre d’apporter les réponses les plus précises aux questions des élèves, comme c’est le cas au collège Lucie Faure. Cela n’empêche pas la spontanéité, moment préféré de Me Lucile Rambert, avocate et directrice générale de l’association. Mine de rien, le droit est partout : « dans les contrats, dans le droit du consommateur, dans la laïcité, la bioéthique, dans ce que signifie devenir majeur, la protection de l’environnement ou encore le droit des étrangers », rappelle-t-elle. La méthode Initiadroit permet de s’emparer d’un thème et de le décliner en cas pratique, en fonction des attentes du professeur à l’origine de l’intervention, comme du programme de la classe en question. Même les CM1 ou CM2 peuvent bénéficier de ces interventions, mais autour de thèmes adaptés : le droit dans la vie de tous les jours, ou comment voir une journée avec les lunettes du droit ; les injures, qui peuvent préfigurer des actes plus graves comme les insultes racistes ; et des focus sur les missions de l’avocat, afin de présenter cette profession aux élèves. « Élève aujourd’hui, citoyen demain ! », s’enthousiasme l’avocate, passionnée.

« Le droit, ciment de la démocratie »

Les professeurs d’histoire-géographie sont souvent les référents des projets dans les établissements, puisqu’ils sont en charge du cours d’éducation morale civique, même si les autres matières peuvent aussi trouver des liens avec le droit. Ce cours aborde des questions aussi essentielles que la nationalité (en 6e) ou encore les migrations (en 4e). Pour Renaud Farella, « le droit est quelque chose de vivant. Nous avons travaillé sur le droit des animaux, en évoquant les activistes de l’association L214, tout comme le droit des étrangers, dont l’actualité est brûlante, évoque-t-il. Les élèves comprennent tout de suite que le droit est fait de textes, de conventions, d’une constitution ». C’est d’ailleurs en ayant lu tous les programmes que les avocats d’Initiadroit ont pu cerner « les thématiques qui avaient des composantes juridiques », avance Me Lucile Rambert.

Derrière une initiation au droit se loge également l’idée de faire des « élèves des citoyens », avance le professeur d’histoire-géographie. « Nous voulons leur faire comprendre ce que sont les règles de droit, mais aussi, quelle est l’idée sous-jacente : à quoi sert le droit ? Que m’apporte-t-il, à moi, au groupe, du point de vue du droit français ou même universel ? », interroge Me Lucile Rambert. Ces interventions ont aussi pour but de transmettre « l’attachement du droit, mais aussi du contrat social et de l’amour de la République », complète-t-elle.

En effet, souligne Me Lucile Rambert, dans des établissements avec 54 nationalités différentes, « quel plus grand dénominateur commun que celui du droit ? Cela commence avec la ponctualité, le respect du règlement intérieur… À l’école, premier lieu de la sociabilité, le droit constitue le ciment de la démocratie ». Tous les moyens sont bons pour rendre le droit simple et accessible. « Vous aimez le foot ? », aime à demande Me Lucile Rambert en guise de préambule aux adolescents. Devant les réponses enthousiastes des élèves, elle peut commencer à mettre en lumière le rôle de l’arbitre et des règles… Car partout où il y a société, il y a règles : pour assurer la sécurité de tous, le droit de la personne, elles sont indispensables.

Pour autant, cette mission ne confère pas « une tribune » aux avocats. L’association, rappelle Me Lucile Rambert, a vocation à respecter le principe de neutralité, propre à l’Éducation nationale. Les avocats qui interviennent sont donc formés afin de respecter ces principes de neutralité, d’apolitisation et d’aconfessionnalité.

Une initiative valorisante

Pour les élèves, « qu’un avocat se déplace dans leur collège, c’est valorisant », explique Renaud Farella. C’est tout un monde qui s’ouvre à eux. « Quand on leur explique qu’ils peuvent devenir jurés, ça les passionne », reconnaît le professeur. En effet, les avocats ne laissent pas les élèves indifférents. « Ils sont un peu impressionnés ! », confirme le professeur, même s’ils ne viennent pas en robe afin de bien montrer qu’ils sont « dans la cité », au sens grec du terme, une mission bien différente de celle exercée au tribunal. Aux yeux des jeunes, les avocats font forcément du pénal, défendent des criminels, gagnent 50 000 euros par mois et disent : « Votre Honneur », comme dans les séries américaines ! Alors c’est aussi l’occasion de casser ces clichés, de parler « des avocats commis d’office, qui doivent être disponibles même en plein milieu de la nuit dans des conditions bien difficiles et dans une autre sphère que les deux, trois avocats stars que compte le barreau », rappelle Renaud Farella. « L’avocat ne pense pas qu’à ses clients, il fait aussi de la prévention, insiste Me Lucile Rambert, afin de passer le flambeau du droit et des valeurs de la République ».

Par ailleurs, ce que voient les élèves de la justice, « ce sont surtout des scandales », or Initiadroit a vocation à redonner au droit une place dans le quotidien. Le message ? « Un jour tu bouscules, mais le jour d’après tu seras bousculé », protégé ou défendu, grâce au droit. Ce qui favorise le contact avec les élèves, c’est que, dans le monde de la justice auquel appartiennent les avocats, « nous ne sommes pas des censeurs, nous ne sommes pas dans le jugement », rappelle Me Lucile Rambert.

La vidéo, un médium qui enthousiasme

Au-delà de stimuler les élèves, le choix de la vidéo permet aussi de faire passer certains concepts. « Les élèves apprennent, par le biais de l’image, que l’on ne peut pas prendre la leur sans autorisation », explique Renaud Farella, ce qui permet de mieux saisir pourquoi respecter le droit, mais aussi quels sont les éventuels recours en cas de contestation. Les vidéos les rendent aussi fiers du travail accompli. « Ils en parlent avec leurs camarades », avance Renaud Farella. Par ailleurs, leur travail sera réutilisé l’année prochaine, auprès d’autres élèves. Ainsi, l’initiative se mue en un véritable support pédagogique.

Cette approche au savoir différente d’un cours magistral se traduit aussi par un intérêt marqué de la part des élèves, même de ceux qui sont le plus « difficiles ». Renaud Farella se souvient de deux élèves très réticents, à la limite de la rupture, dont l’un est passionné du darknet. « Lors de la dernière cession sur le droit et internet, il a instauré une vraie dynamique de groupe », se réjouit-il. Me Lucile Rambert, quant à elle, insiste sur « la chance de vivre dans un État de droit ». Elle souhaite ainsi ardemment transmettre cette vision aux élèves : à ses yeux, ces interventions en collèges et lycées apportent aussi des armes aux élèves afin de mieux connaître le droit, les leurs comme ceux des autres.

LPA 12 Avr. 2018, n° 135f4, p.3

Référence : LPA 12 Avr. 2018, n° 135f4, p.3

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