Faire vivre le droit dans les collèges et lycées

Publié le 13/04/2017

Le 10 mars dernier, 600 collégiens et lycéens passaient les portes du Palais d’Iéna pour assister à la finale de la Coupe des élèves citoyens. Derrière cet événement, c’est l’association Initiadroit qui œuvre pour faire entrer le droit dans les classes de collèges et lycées grâce à des avocats bénévoles.

Un déluge d’applaudissements, de cris, de mains et de pieds qui tapent sur les gradins… Cela faisait bien longtemps que l’hémicycle du Conseil économique, social et environnemental (CESE) n’avait pas connu une telle ferveur ! La cause ? Les 600 élèves des collèges et lycées venus spécialement de toute la France pour assister à la finale de la Coupe nationale des élèves citoyens et encourager leurs camarades. L’épreuve, organisée par l’association Initiadroit en collaboration avec les ministères de l’Éducation nationale et de la Justice, consiste à produire une dissertation commune pour chaque classe, puis à venir défendre le travail collectif lors d’un oral limité à 8 minutes.

Le thème à l’honneur, la démocratie cette année, se décline ensuite pour chaque niveau scolaire. Les 6es ont ainsi dû répondre à la question « Qu’est-ce que la démocratie ? Comment s’applique-t-elle ? », tandis que les élèves de 1re ont disserté sur le thème de « La cyber démocratie, un progrès ou un danger ? ». Le tout devant des jurys pour le moins prestigieux : hauts fonctionnaires de l’Éducation nationale, maître de conférences à Sciences Po, bâtonniers de Paris et de Meaux, Défenseur des droits (Jacques Toubon) et présidente de la Cnil (Isabelle Falque-Pierrotin) se sont ainsi prêtés au jeu et ont apporté un éclairage sur les thèmes de chaque niveau avant de remettre les trophées aux lauréats.

La journée est en réalité l’aboutissement d’un travail de plusieurs mois, et d’une présélection au sein des académies. Éva et Léa, deux élèves de la 5e C du collège François Ier de Villers-Cotterêts, témoignent de leur expérience : « Nous nous préparons depuis avant les vacances de Noël, chacun a donné ses idées et ensuite nous avons tout regroupé pour former un seul texte. On a pris de nombreuses heures d’étude pour apprendre le texte, mettre le ton… Ce n’est pas facile de tout gérer en même temps ! Après ça, nous sommes passées devant un jury pour désigner ceux qui parleraient devant tout le monde ». Et lorsqu’on a 12 ou 13 ans, prendre la parole dans un hémicycle grandeur nature bondé d’autres élèves et de personnalités en charge de vous juger n’est pas de tout repos. « On était très stressées ! Nous avons révisé dans le train et on a essayé de se détendre, mais parler à la tribune, c’est quelque chose ». La classe de l’académie d’Amiens repartira finalement victorieuse et ramènera le trophée dans leur école.

Des 6es aux terminales, qu’ils aient remporté la compétition ou non, tous ont pu goûter à l’art de la plaidoirie, mais surtout se sont exercés à celui de la réflexion civique et de la formation du sens critique. Un atout indéniable pour leurs vies de futurs citoyens.

Initiadroit : des avocats à l’école

Si la finale de la coupe reste le moment fort, l’association Initiadroit œuvre cependant tout au long de l’année pour effectuer un vrai travail de fond auprès des élèves. Depuis maintenant une dizaine d’années, l’association envoie des avocats bénévoles dans les classes pour faire goûter le droit aux collégiens et lycéens. C’est le défunt bâtonnier de Paris, Claude Lussan, qui, le premier, a eu pour ambition de faire entrer le droit à l’école. Le projet qui a débuté avec 40 avocats bénévoles en 2005, compte désormais 728 avocats qui ont offert 2 334 heures de bénévolat sur l’année 2015-2016 en France, dans quelques villes d’Europe et à Alger. Ce qui représente tout de même 37 320 élèves qui ont pu recevoir un des avocats du programme dans leur classe.

Dans les faits, chaque avocat partenaire reçoit une formation et un dossier de cas pratiques conçus pour chaque niveau de classe qui leur est remis lors de leur affectation. De leur côté, les professeurs d’histoire-géographie en charge des cours d’enseignement moral et civique, sélectionnent les thèmes d’intervention qui correspondent au mieux à leurs choix et besoins pédagogiques. Les avocats assurent bénévolement deux interventions annuelles d’une heure chacune pour les collèges et deux heures pour les lycées.

L’initiative semble être un succès en tout point : l’Éducation nationale semble plus que satisfaite d’avoir ouvert ses portes, les élèves sont, eux, ravis et particulièrement réceptifs à ces rencontres, et les avocats ont le plaisir de pouvoir transmettre des connaissances, mais aussi d’offrir une grille de lecture de la société. L’association Initiadroit, qui a été déclarée d’utilité publique, ne compte pas s’arrêter là et souhaite recruter de nouveaux bénévoles pour travailler avec tous les barreaux de France (seul 18 des 160 barreaux travaillent aujourd’hui avec l’association). Lucile Rambert, directrice générale de l’Iniatiadroit revient pour les Petites Affiches sur le travail de l’association.

Les Petites Affiches  – Quel est l’objectif de votre association ?

Lucile Rambert – Il est essentiellement préventif, nous essayons avant tout de rentrer en contact avec les jeunes dans les établissements scolaires pour les éveiller à leur vie citoyenne. L’une des premières choses qu’on leur explique est que l’on retrouve le droit partout : lorsqu’ils vont acheter un pain au chocolat, c’est un contrat d’achat, s’ils prennent un bus, il s’agit d’un contrat de transport… De cette façon ils se préparent à leur vie d’adulte et de citoyen. L’association est apolitique, aconfessionnelle et à but non lucratif. Ce que l’on veut c’est leur faire découvrir le droit, les éduquer aux valeurs républicaines, en respectant les opinions de tout le monde.

LPA – Comment se déroule la venue des avocats dans les classes ?

L. R. – Nous sommes en contact avec les rectorats de l’Éducation nationale et l’association des professeurs d’histoire géographie qui nous font venir dans la classe d’éducation civique, juridique et morale. Le professeur nous accueille et va nous présenter sa classe et expliquer ses besoins. Un sujet est ensuite retenu avec les inspections d’académie pour chaque classe en fonction du programme d’éducation civique. Les avocats se rendent dans les écoles et appliquent une méthode interactive, on utilise une décision de justice pour faire une sorte de cas pratique. On expose les faits de manière neutre sans porter de jugement, les élèves sont ensuite interrogés et poussés à réagir sur les positions des différents partis, sur les droits de chacun. C’est aussi une manière d’aborder les grands principes et l’esprit de la loi… Ils répondent par petites touches et c’est très intéressant, car l’on se rend compte que collectivement, ils savent beaucoup de choses. Évidemment, ces informations ne sont pas toujours très bien structurées, car ils vont les chercher sur internet ou sur les réseaux sociaux, mais c’est justement notre rôle de remettre un peu d’ordre dans les idées. À la fin du cas pratique, le jeu est de deviner la décision finale du juge. En règle générale, les élèves s’en sortent plutôt bien et cela leur permet de comprendre que le droit, c’est principalement du bon sens.

LPA – Comment les élèves accueillent-ils cette initiative ?

L. R. – Ils adorent ! Comme l’exercice est très vivant et est réalisé sous forme interactive, il est vrai qu’au début il y avait parfois une forme d’inhibition des jeunes, qui pouvaient être impressionnés de recevoir des avocats. Mais aujourd’hui on retrouve une facilité de contact très importante et c’est aussi parce que nous nous sommes mis à leur portée. La partie questions-réponses leur plaît beaucoup et ils aiment vraiment pouvoir réagir et interagir avec nous. Au final, ils ont appris beaucoup de choses à la fin de la séance, mais d’une manière extrêmement pédagogique et presque ludique. On remarque parfois une petite différence entre établissements privés et publics, dans les premiers, il peut arriver que les élèves soient plus contraints par les professeurs alors que dans les autres la parole est plus libre. Il arrive même que l’on nous demande notre salaire. Mais c’est une très bonne chose, l’objectif est de se parler sincèrement, respectueusement et de permettre à chacun d’exprimer ses opinions.

LPA – Avez-vous noté une évolution depuis 2008 chez les élèves ?

L. R. – Ce ne sont pas les élèves qui ont changé. En réalité, c’est la société qui évolue et les élèves sont de véritables éponges. On s’en rend compte au quotidien. Et c’est vrai que récemment j’ai vu une augmentation très importante des questions qui concernaient la violence, le pénal voire même le terrorisme. Ce sont des thématiques qui reviennent beaucoup et qui sont liées à l’actualité. On a également de nombreuses questions sur l’environnement ou sur le domaine politique. Le thème d’aujourd’hui, la démocratie, est une vraie préoccupation pour eux. Ils veulent comprendre comment fonctionnent les mécanismes politiques, mais aussi mieux appréhender leurs défauts et leurs failles. Les élèves des collèges et lycées sont d’une certaine manière le thermomètre de la société, il faut faire attention à eux, les écouter et voir où sont les problèmes. Notre initiative reste complémentaire de l’enseignement. Il faut d’abord leur expliquer qu’il y a un héritage de connaissances à recevoir et des règles qui sont en place. Bref, commencer par expliquer comment on en est arrivé là avant de chercher à voir comment faire évoluer les choses. C’est une continuité.

LPA – Quels sont vos projets pour la suite ?

L. R. – Cette expérience a commencé il y a une dizaine d’années. Au tout début, il s’agissait d’aller vers des classes difficiles vers lesquelles l’Éducation nationale nous orientait, puis nous nous sommes développés et avons créé une association d’utilité publique. Notre succès est dû à l’accueil qui nous est réservé dans les établissements, mais aussi aux avocats bénévoles qui interviennent dans les classes. Cependant nous ne sommes partenaires qu’avec 18 barreaux actuellement. Notre ambition reste encore de couvrir la France entière. Sur la Coupe nous avons les 30 académies qui participent, mais dans les territoires on est insuffisamment implanté. Il faut donc que l’on donne envie à d’autres avocats de faire pareil dans le reste de la France.

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