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Jean-François Beynel : « Faire des choix, les expliquer, les assumer ; tels seront nos prochains axes de travail » !

Publié le 10/03/2022
Axes de travail, réunion
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Le 24 janvier dernier, la cour d’appel de Versailles organisait son audience solennelle de rentrée. Il y fut question du bilan d’activité de l’année 2021, des perspectives de l’année 2022 mais ce fut surtout l’occasion de présenter le nouveau premier président, Jean-François Beynel. Il a ainsi pu exposer ses réflexions pour sa mission à venir.

Malgré la crise sanitaire et la suppression de nombreuses audiences de rentrée en Île-de-France, Marc Cimamonti, procureur général, a fait part, dans son intervention, de la nécessité de conserver ces audiences parce que celles-ci « participent en réalité de la séparation des pouvoirs », manifestant l’indépendance et l’ « ancrage dans la cité » de l’autorité judiciaire. « Il s’agit d’un espace de liberté de parole », dit-il.

En outre, l’audience de rentrée de la cour d’appel de Versailles était d’autant plus particulière puisqu’elle présentait le premier président et actait sa prise de fonction : « Vos débuts dans cette cour ne pouvaient se dérouler sans une installation en audience solennelle aussi normale que possible » !

Une cour globalement en ordre de marche mais traversée par différentes crises

La finalité de cette audience était également de faire un bilan des quatre années de Bernard Keime, qui a notamment joué un rôle dans l’apaisement de « fortes tensions inédites depuis 2020 », au sein des services pénaux de la cour.

Du point de vue du procureur, la police judiciaire connaît cependant une crise profonde : « Cette crise découle, pour l’essentiel, du déficit de recrutement en nombre et en qualité d’officiers et d’agents de police judiciaire ».

Autre point central à relever en 2021 : l’impact croissant des contentieux de violences conjugales. « L’impact de ces violences sur les organisations judiciaires est considérable. Les services correctionnels se trouvent déstabilisés par une hausse des procédures à juger notamment en comparution immédiate ou sur convocation par procès-verbal. » Cette situation se traduit par une « dégradation de la situation de l’audiencement des chambres correctionnelles ».

Ce contexte fait remonter les craintes des magistrats du parquet de « passer à côté », d’apporter un « traitement superficiel et mal adapté à ces affaires, ce qui pourrait mener à un nouveau passage à l’acte. Ainsi, ils ont peur de voir leur responsabilité recherchée et engagée ».

L’installation de Jean-François Beynel

Né en 1962 à Limoges, Jean-François Beynel a débuté sa carrière comme attaché de préfecture de la sous-préfecture du Raincy, en Seine-Saint-Denis, en 1984. Lors de son discours d’installation, le nouveau premier président de la cour d’appel de Versailles est d’abord revenu sur ses précédentes fonctions à l’Inspection générale de la justice (2019), un « poste d’observation et d’action privilégié » qui, « par la diversité de ses personnels, par la nature de ses missions, par la transversalité de ses actions et par son travail interministériel permanent, est un lieu d’enrichissement et de créativité exceptionnel ».

Il a souhaité revenir sur les questions d’indépendance de la justice qui se posaient du fait du rattachement de l’inspection au ministre de la Justice et sur « le malaise ressenti par nombre de magistrats et de fonctionnaires ». « C’est bien à la nation, au gouvernement d’assurer les réponses, en toute responsabilité, qu’il conviendra d’apporter à ce malaise. Je suis certain que les travaux de la commission indépendante, présidée par le président Jean-Marc Sauvé sur les États généraux de la justice, dans le cadre du débat démocratique à venir, fixeront les orientations et le cap à suivre », dit-il.

« Mieux administrer pour mieux juger »

Pour l’exercice de ses nouvelles fonctions, Jean-François Beynel espère une « concertation et du travail commun ». Il espère également « créer des lieux d’échange et de partage » entre tous les acteurs et actrices de la cour d’appel de Versailles afin de « faire naître le débat ». Sur son rôle futur, il a exposé cinq pistes de réflexion. La première, selon lui, est de « mieux administrer pour mieux juger », autrement dit être le garant de la bonne administration des juridictions.

Rappelant l’importance de l’équité, de la bienveillance et de l’exigence, Jean-François Beynel a rappelé que « le service de la justice s’adresse, en premier lieu, aux plus pauvres et aux plus démunis, aux laissés-pour-compte, à nos concitoyens laissés au bord du chemin de la collectivité par l’activité économique ». Il l’affirme : ce public doit être au cœur des actions de la cour d’appel. En ce sens, il souhaite « revisiter l’action des conseils départementaux d’accès au droit » et « évaluer, sur le terrain, les dispositifs d’accueil unique des justiciables ».

Après une première visite au tribunal judiciaire de Chartres, le nouveau premier président compte se rendre dans les autres arrondissements judiciaires. Il évoque également sa volonté de renforcer les liens entre les juridictions de la cour et l’université par des « modes de collaboration innovants ».

Dans sa mission de gestion, l’attention sera portée à l’allocation des moyens, en établissant un inventaire des priorités et des contentieux : « Faire des choix, les expliquer, les assumer ; tels seront nos prochains axes de travail » !

« Connaître l’environnement institutionnel et les enjeux auxquels l’institution judiciaire est confrontée »

Pour son deuxième thème de réflexion, le nouveau premier président est revenu sur la question de l’indépendance qui « ne peut s’affirmer que par la connaissance de l’environnement institutionnel et des enjeux liés au positionnement des partenaires que la justice mandate, contrôle ou des partenaires agissant sur celle-ci ».

Jean-François Beynel dit vouloir « permettre une meilleure connaissance des magistrats du ressort de l’environnement juridictionnel international produit par les juridictions supranationales ; comme la Cour européenne des droits de l’Homme ou la Cour de Justice de l’Union européenne ».

Attentif à la préservation de l’État de droit, commun aux pays membres de l’Union européenne, le président encourage une vigilance forte pour le garantir. « Il y va de la responsabilité de chacun ». Il n’a pas oublié les avocats et les bâtonniers, avec qui il souhaite travailler « sur la base des recommandations émises par l’inspection dans son rapport public sur les relations magistrats – avocats » : « Le système judiciaire français repose sur deux équilibres essentiels entre magistrats et avocats : le respect mutuel et la confiance des uns envers les autres ainsi que la foi commune dans l’institution que nous servons ensembles avec les mêmes règles et les mêmes valeurs. Nous sommes coresponsables de son efficacité et de son office ».

« Assurer pleinement les responsabilités des ressources humaines des magistrats et des fonctionnaires »

En ce qui concerne la gestion des ressources humaines, Jean-François Beynel insiste sur le « processus de veille déontologique qui doit se construire sur un dialogue de confiance avec les chefs de juridictions et les conduire à être en alerte ». Il propose un échange régulier entre présidents et présidentes, « une politique systématique de gestion des alertes adressées par les auxiliaires de justice et les partenaires, un effort régulier au sein de la cour de diffusion de la jurisprudence commentée du Conseil supérieur de la magistrature et du Conseil d’État en matière disciplinaire, la mise en place d’une possibilité donnée aux magistrats et aux fonctionnaires de questionner « sans risque » et « librement », une institutionnalisation de rendez-vous déontologiques lors de la prise de fonction des chefs de juridictions et des chefs de service ».

Il réfute toute « méfiance vis-à-vis des magistrats et des fonctionnaires » mais s’inscrit dans « une garantie forte apportée à l’ensemble de l’institution au regard des missions essentielles et sensibles qui lui sont confiées ».

Quant aux agents du greffe dont le métier connaît un « moment historique », Jean-François Beynel énonce cela : « La revalorisation, tant attendue, des emplois d’encadrement des greffes doit conduire également à repenser les différents équilibres dans la gestion des juridictions. S’il n’est pas question, pour des raisons qui tiennent à l’indépendance des magistrats, que ceux-ci renoncent à fixer les orientations des politiques judiciaires, il convient certainement de revoir le partage des tâches afin d’aller vers un rôle plus global des missions des greffes. Cette évolution a un prix ; celui de plus de responsabilité ».

« Être attentif à l’activité des juridictions de manière positive et confiante : pratiquer le conseil et rejeter l’immixtion »

Dans son discours, le nouveau premier président a exprimé son intention de « s’assurer de la bonne exécution budgétaire par la mise en place de tableaux de bord et d’indicateurs partagés et commentés ». Il compte également mettre en place des « projets de service ou de juridiction, propres et spécifiques aux fonctions du siège, qui ne soient ni des « gadgets », ni des coquilles vides ». Pour un dialogue « constructif », des réunions bilatérales régulières et des réunions globales vont être organisées, de même que des échanges thématiques sur les domaines juridictionnels entre les juridictions ainsi qu’entre les juridictions et la cour.

La volonté d’assurer la protection des magistrats et des fonctionnaires contre les attaques dont ils sont l’objet 

Face aux attaques, magistrats et fonctionnaires sont isolés et fragilisés. Sur ce point, Jean-François Beynel n’hésitera pas à « intervenir directement en protection, assurant distance et sérénité soit par une action auprès des médias rapporteurs de ces attaques, soit par des prises de positions publiques qui ne doivent pas être négligées ».

Selon lui, « la plupart de ces attaques reposent sur une méconnaissance de l’institution judiciaire. Il revient donc aux chefs de cours de conduire les actions de long terme pédagogiques nécessaires ; mise en place d’un partenariat avec l’éducation nationale pour la formation des plus jeunes, pédagogie par la voie de la presse ».

Avant de conclure, le nouveau premier président de la cour d’appel de Versailles a adressé ses pistes sur la façon de redonner du sens à l’action. Sur l’office du juge, selon lui, il s’agirait d’« assurer le changement sans attendre de la norme », de « réintroduire le collectif et notamment le délibéré, l’échange et le partage d’expérience » et, enfin, de « promouvoir l’incitation et non l’ordre ainsi que l’impératif productiviste ».

Évoquant une période de doute et d’angoisse, un temps dématérialisé et en partie déterritorialisé, il lui a semblé utile de citer Alexandre Soljenitsyne, avec une phrase extraite de son ouvrage Le pavillon des cancéreux : « Notre liberté se bâtit sur ce qu’autrui ignore de nos existences ».

Face au malaise de la profession, déjà évoqué, à la perte de sens du métier et à la souffrance au travail, le premier président affirme qu’il ne se contentera pas de « bons sentiments et de constats sans agir ».

« Je serai auprès de toutes les juridictions du ressort de la cour d’appel de Versailles, quelles qu’en soient la taille et la place. Vous pouvez compter sur ma détermination à être au plus près de vos besoins et à l’écoute de vos réussites et de vos difficultés. Vous pouvez compter sur moi pour être, de manière vigilante et bienveillante, l’appui qui vous est nécessaire », dit-il.

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