Paris (75)

Vincent Nioré : « J’interviens de manière ferme au nom de la défense »

Publié le 15/04/2021

Élu vice-bâtonnier du barreau de Paris aux côtés de Julie Couturier en décembre dernier, Vincent Nioré est une personnalité forte du barreau. Intervenant au pénal dans des dossiers médiatiques – il a, entre autres, défendu Bernard Laroche et Michel Fourniret –, il est également connu pour assister ses confrères dont les cabinets sont perquisitionnés. Il est revenu sur son parcours et sur son ambition de se poser en vice-bâtonnier protecteur, sans langue de bois.

Les Petites Affiches : Comment êtes-vous entré dans la profession d’avocat pénaliste ?

Nioré Vincent_IMG205f5Vincent Nioré : Je suis un ancien de la Conférence des avocats du barreau de Paris. J’ai connu et admiré Jacques Isorni, Jean-Louis Tixier-Vignancourt, Jean-Louis Pelletier, Jacques Vergès, qui était l’idole de notre promotion. J’ai, comme tous les anciens secrétaires de la Conférence, la culture de la contestation, donc de la défense. J’ai revu récemment la photo de notre promotion : nous sommes à la tribune dans la grande salle de la Conciergerie, aux côtés du bâtonnier d’alors, Guy Danet, et de Robert Badinter. Revoir cette image, 38 ans après, m’émeut encore. Robert Badinter a créé une génération dans son combat contre la peine de mort mais aussi pour la défense qu’il pratiquait. Je suis un représentant de cette « génération Badinter ». D’après lui, la vertu première de l’avocat n’est pas le talent, mais le courage. Je définis ce dernier par le fait de surmonter personnellement ses appréhensions, et de se dépasser soi-même pour une cause plus forte, à savoir, pour un avocat, celle du justiciable ou de l’accusé dans le box, quelle que soit sa classe sociale. Avocat pénaliste, vous vous retrouvez à défendre ceux qui ont commis les pires horreurs. Vous travaillez dans le respect de la présomption d’innocence et pour la défense. On défend de la même manière un ancien président de la République, un trafiquant de stupéfiant ou Michel Fourniret.

LPA : La contestation est donc la pierre angulaire de la défense ?

V.N. : Jacques Vergès est connu pour être l’auteur de la défense de rupture alors que c’est en fait Marcel Willard, un avocat communiste admirateur de Staline, qui l’a définie dans La défense accuse, livre écrit à l’occasion du procès du dissident soviétique Kravchenko. J’ai beaucoup appris en le lisant. La défense de rupture consiste à faire le procès de celui qui fait votre procès. Il faut de la bouteille et du culot pour la pratiquer.  La défense contestataire, en revanche, c’est la défense tout court.

LPA : Quel souvenir gardez-vous de votre année à la Conférence ?

V.N. : J’ai été secrétaire de la Conférence pendant 18 mois, car notre mandat avait été prorogé de six mois. J’ai fait l’expérience de la défense mais également du protocole suffoquant qui asphyxie la défense. Je ne faisais pas que de la défense pénale. Mon patron, Paul Prompt, était un avocat communiste qui défendait la CGT et ses militants. Nous sommes allés partout en France sur des affaires de restructuration industrielle. Pendant les procès de licenciement de masse, la salle était pleine de familles de militants. Des femmes étaient là, leurs bébés dans les bras. C’était des moments forts. Je suis rentré en 1985 dans le dossier du petit Grégory par ce biais, car Bernard Laroche était un syndicaliste CGT. J’ai assuré sa défense et ensuite celle de Murielle Bolle.

LPA : Vous avez été fasciné par la figure de Jacques Vergès…

V.N. : Je n’ai jamais travaillé avec lui mais je le suivais à la trace pour le voir plaider. Je n’étais pas le seul. Je retrouvais notamment Francis Szpiner, que j’ai connu en 1982 par la Conférence, et avec qui je suis associé depuis le mois de janvier dernier. C’était intéressant de prendre exemple sur cette défense, quitte à ne pas faire exactement la même. Jeunes pénalistes, nous enchaînions les audiences de flagrant délit. Il fallait exercer une défense très contestataire, soulever des exceptions de nullité. Nous avions toujours la présence de Vergès à nos côtés. Même absent, il était présent.

LPA : Aujourd’hui, vous êtes connu pour défendre les avocats perquisitionnés…

V.N. : La contestation des perquisitions s’inscrit dans la droite ligne de mon début de carrière. Il ne s’agit pas d’autre chose. En 2008, je suis devenu membre du Conseil de l’ordre, avec le bâtonnier Christian Charrière-Bournazel, lui aussi ancien premier secrétaire. Il m’a chargé des perquisitions, donc de dossiers sensibles. J’ai effectué la première avec lui. Il m’a enseigné ce qu’est l’humanité et la fermeté en perquisition. À la fin de mon mandat, en 2010, on m’a demandé de continuer. J’ai donc vécu toutes les perquisitions à caractère politico-financier, mais pas uniquement. J’ai par exemple défendu un jeune avocat dans un dossier de blanchiment de trafic de stupéfiants. J’ai assisté à plus de 250 perquisitions de cabinets.

LPA : Quel est le cadre légal de ces perquisitions ?

V.N. : Les confidences faites par un client à son avocat ont une valeur sacrée. Elles ont été faites dans le silence du cabinet. Personne n’est au courant de ce qui se dit car un cabinet ne peut pas être sonorisé. En revanche, un avocat peut être écouté à condition que pèsent contre lui des indices antérieurs quant à son éventuelle participation à la commission d’une infraction. Le cabinet peut alors être perquisitionné par un magistrat, jamais par des enquêteurs, en présence du bâtonnier. C’est la seule exception au sanctuaire qu’est le cabinet. On peut alors trouver des confidences écrites sur papier ou sur les supports numériques que sont les ordinateurs et téléphones portables.

On définissait auparavant le cabinet d’avocat comme un asile sacré. Il faut revenir à cette conception de manière absolutiste, nonobstant les protestations de certains magistrats dont je me moque éperdument. Que les choses soient claires : je n’ai que faire de leur discours ! Il ne m’intéresse pas. Pour moi, le cabinet est un sanctuaire inviolable. Le bâtonnier, d’après une déclaration de la chambre criminelle datant de 2013, est un auxiliaire de justice en charge d’une mission de protection des droits de la défense, qu’il exerce sur le fondement de l’article 56-1 du Code pénal. À partir de là, il est investi d’une mission de nature constitutionnelle, même si, selon le Conseil constitutionnel, le secret professionnel n’a pas de valeur constitutionnelle en soi. J’estime qu’il en a une en perquisition puisqu’il est confondu avec l’exercice des droits de la défense, confié au bâtonnier en ce qui concerne l’avocat et le secret professionnel. Il faut constitutionnaliser ce secret professionnel pour éviter le débat sur les écoutes incidentes notamment, que je condamne fermement.

LPA : Quel est justement le débat concernant les écoutes téléphoniques ?

V.N. : Si un avocat est convaincu de participer à la commission d’une infraction et qu’on le place sur écoute en raison d’indices antérieurs, je ne discute pas. Je peux comprendre que des indices extrinsèques permettent de placer sur écoute un avocat et d’aller chercher de manière intrinsèque le contenu de ses conversations dans un téléphone. Le secret professionnel ne protège pas de la commission d’une infraction. En revanche, si un client est écouté en raison d’une autre affaire et fait une confidence à son avocat, celle-ci doit rester confidentielle. Deuxième chose, si l’avocat, dans le cadre de cette écoute incidente, dit au téléphone une bêtise susceptible d’être qualifiée pénalement, lui-même perd le caractère de la confidentialité. Je suis contre cela. La confidence est intrinsèquement absolue ou n’est pas. Cela ne peut pas être autrement. Nous allons être très vigilants sur tous les dossiers. Je sais faire. Les magistrats connaissent mon style et je ne vais pas y renoncer au nom du protocole.

LPA : Ce style vous a causé des difficultés avec la magistrature puisque vous avez fait l’objet de poursuites disciplinaires en raison de propos virulents tenus lors d’une perquisition…

V.N. : On est allé jusqu’à me poursuivre. La mgistrate qui me poursuit (Catherine Champrenault, procureure générale près la cour d’appel de Paris, NDLR) semble confondre l’intérêt public et l’intérêt privé. C’est son affaire. La juge de la liberté et de la détention ainsi que la présidente d’audience m’ont donné raison. La partie adverse qui dispose du pouvoir régalien contre les avocats pour leur propos d’audience s’acharne (Catherine Champrenault a fait appel, NDLR). C’est une initiative déplacée et dégradante pour la magistrature. Je ne vais pas me coucher. S’ils veulent la castagne, ils l’auront. Et je sais faire, alors qu’eux ne savent pas.

Je ne crains rien ni personne, et certainement pas les chefs de juridiction. Je les invite à faire preuve d’intelligence pour que nous ayons des rapports harmonieux. Sinon je sortirai les armes de la défense. Nous parlons d’armes, pas d’arguments. Nous sommes armés pour nous défendre, au sens où les juristes l’entendent, avec les armes que nous offrent le Code de procédure pénale et les incidents d’audience liés à la défense. Je ne fais que du droit. Celui qui enfreint les règles, avocat ou magistrat, peut compter sur moi pour le remettre dans le droit chemin s’il y a manquement à la parole. Je n’imagine pas violer un secret, ni trahir les règles, jamais !

LPA : En dépit de ce conflit avec la magistrature, vous avez, pendant votre campagne, prôné le rétablissement du dialogue avec les juridictions…

V.N. : J’interviens de manière ferme, parfois brutale, au nom de la défense. Je n’ai jamais été dans la complaisance, je n’ai jamais pris un café avec un magistrat. Mais nous nous respectons pour avoir bataillé les uns contre les autres de manière loyale et légale. Contrairement à ce qu’on peut penser, j’ai énormément d’alliés, j’entretiens les meilleurs rapports avec beaucoup de magistrats et d’enquêteurs. Je suis en conflit avec une seule personne. Nous sommes, Julie Couturier et moi-même, de farouches défenseurs du rétablissement du dialogue avec les magistrats. Nous devons éviter la guerre.  Il peut y avoir des conflits ponctuels mais qui a les moyens de vivre une guerre avec son cortège d’horreurs ? Il faut arrêter de s’ignorer, se dire bonjour quand on se croise. Actuellement, ce n’est pas le cas. Dans les nouveaux palais de justice, on s’ignore, on se bunkérise, on se protège les uns des autres. Il est très difficile d’avoir des rapports avec les magistrats alors qu’un bon nombre d’entre eux souhaitent comme nous ce dialogue. On ne fait rien sans eux. Nous ne pouvons obtenir des succès d’audience que grâce aux magistrats qui rendent des décisions empreintes d’humanité. La magistrature du siège est garante de la liberté individuelle. Elle a vocation à protéger la profession d’avocat.

LPA : Que représente pour vous cette fonction de vice-bâtonnnier ?

V.N. : Il fallait qu’une femme rayonne à la tête du barreau. Julie Couturier est faite pour cela. Il y a une exagération de la représentation masculine chez les bâtonniers, comme dans la défense pénale. Les femmes sont majoritaires, il est temps qu’elles prennent la place de manière systématique. Etre au côté de la bâtonnière est pour moi l’expression d’un choix philosophique et politique. D’autre part, la fonction de vice-bâtonnier offre plus de liberté et contraint à moins de protocoles que celle de bâtonnier.

Ces deux fonctions supposent de grandes compétences techniques. Lors de la campagne, nous avons été interpellés sur différents thèmes. Nous avons beaucoup travaillé, pour tous les connaître. Mon premier domaine d’expertise est celui du secret professionnel. J’ai fait partie de la commission Mattei, j’ai assisté aux débats avec les gendarmes, les magistrats du siège et du parquet. Je suis interrogé tous les jours à ce sujet, par le Conseil national des barreaux (CNB), la Conférence des bâtonniers et l’Ordre des avocats de Paris. Il faut une compétence certaine et très approfondie, une pratique dans le domaine des perquisitions et des écoutes pour suivre les projets de réforme à ce sujet.

LPA : Vous avez fait campagne sur le thème de l’avocat protecteur. Qu’est-ce que cela signifie pour vous ? 

V.N. : Ce que vous demandent les avocats, c’est de les protéger. Quand on a parlé de bâtonnier protecteur, ce n’était pas du clientélisme. Cela fait 13 ans que je suis dans la partie. Pour protéger, il faut savoir donner de sa personne. Sans cela, il n’y a pas de défense possible. Quand on choisit le métier d’avocat ou de magistrat, il ne faut pas s’attendre à vivre une vie paisible. Ce sont deux métiers compliqués. Je n’en veux pas aux magistrats qui m’ont dénoncé pour mes propos lors des perquisitions. Eux-mêmes ont alors tenu des propos vexatoires. La hiérarchie  a décidé de m’attaquer moi. On ne peut pas à chaque fois criminaliser la parole de l’avocat, sinon nous criminaliserons la parole des juges. Le Conseil supérieur de la magistrature (CSM) ne sanctionne jamais la magistrature. Il ne sert à rien comme organe d’autorégulation.

LPA : En dehors des avocats perquisitionnés, qui sera protégé par ce bâtonnier protecteur ?

V.N. : Le bâtonnier protègera les avocats collaborateurs harcelés sexuellement. Nous appliquerons à ce sujet une tolérance moins 100. Le cabinet d’avocat est le sanctuaire de la confidence. Il ne peut pas être le lieu d’une humiliation. Il faut nettoyer les esprits de ces initiatives condamnables.  Nous serons intransigeants sur ces thèmes-là. Je mettrai la même énergie à défendre les confrères qu’à blâmer ceux qui se rendent coupables de tels agissements. Ce sont pour moi les seuls cas où les avocats doivent assumer intégralement leur responsabilité disciplinaire et pénale, sans concession. J’ai un regard compréhensif envers les comportements déviants. Nous inviterons les confrères harceleurs à se faire soigner pour que cela ne se reproduise plus. Cela n’empêche pas qu’ils devront assumer leurs responsabilités face au conseil de discipline. Ce genre de pratique me révulse car on a prêté un serment. Il appartient aux hommes de raisonner leurs attributs. Il n’y a pas d’autres modèles de comportements.

LPA : Pourquoi réformer le rôle du bâtonnier ?

V.N. : Il y a une difficulté quant au rôle du bâtonnier, qui est à la fois autorité de poursuite et de défense des confrères. Nous voulons détacher ces deux fonctions. Nous préconisons une réforme et de créer une commission autonome en charge des poursuites. Mais si nous souhaitons cette réforme, celle-ci dépend du CNB.

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