Journal d’un avocat au temps de la Covid-19

Publié le 05/10/2020

« Comment ce qui opprime gravement les femmes dans un grand nombre de pays, devient ici une liberté ? » s’interroge cette semaine Loeiz Lemoine dans son Journal, à propos du voile. Il s’inquiète aussi pour la liberté d’expression, le sort du garde des sceaux et l’avenir de relations entre avocats et magistrats. Décapant !

Mercredi 16 septembre 2020 : La Cour de cassation « biologise » la filiation

Badinter sur les audiences filmées, qui résultent de sa loi de 1985. Les américains filment tout, nous rien ou presque : pourquoi ? Pour quoi faire, à quelle fin ? Est-ce que cela changerait le comportement des juridictions ? Un sujet bien intéressant. Un pas a été franchi en enregistrant les cours d’assises, ce qu’on oublie tout de suite une fois que le procès est lancé, et qui n’altère pas sensiblement les comportements. Mais ce n’est évidemment pas destiné à être diffusé, encore moins à être suivi en direct.

Au procès Charlie, une partie civile demande l’audition d’Anne Hidalgo (non citée, en vertu du pouvoir discrétionnaire du président, qui n’a pas encore décidé). Quelle partie civile ? Patrick Klugman, un de ses proches à la mairie de Paris. Ce qu’elle peut bien avoir à dire sur les attentats ? A part parler d’elle, on se le demande. J’attends de voir les commentaires dans 50 ans, dans un documentaire de LCP avec la voix nasillarde du commentateur des « actualités » qu’on voyait au cinéma en 1952 : « au procès des attentats du journal Charlie Hebdo, journal subversif et mal élevé de la seconde moitié du 20ème siècle et du début du 21ème, la maire de Paris, bien connue pour sa dilection pour les pistes cyclables et la végétalisation hors sol des lieux d’aisance, vient montrer son meilleur profil. Elle est entendue, d’après ce qui s’était écrit à l’époque, comme témoin. Personne en revanche ne se souvient de quoi elle voulait ou a pu témoigner qui fût aussi peu que ce soit en rapport avec les faits dont la cour était saisie ».

Maryam Pougetoux à l’assemblée nationale, entendue par la commission sur les conséquences du covid-19 pour la jeunesse. Cette personne, qui doit être quelque chose à l’UNEF, vient étroitement et strictement voilée. Des députés LR et l’élue LREM Anne-Christine Lang ont quitté la séance. L’UNEF, c’est ce syndicat qui fait naufrage lentement mais sûrement et proposait récemment de renommer les amphis de Nanterre en Aya Nakamura ou Beyonce, les actuelles femmes fortes, un peu comme Simone Weil, Jacqueline de Romilly ou Geneviève Antonioz de Gaulle

C’est également celui dont plusieurs représentants avaient exprimé leur détachement quand Notre Dame a brûlé :

* un certain Edouard Le Bert : « ça y est, drame national, une charpente de cathédrale brûle »,

* une certaine Hafsa Askar : « Jusqu’à les gens ils vont pleurer pour des bouts de bois wallah vs aimez trop l’identité française objectivement c’est votre délire de petit blancs », « Je m’en fiche de notre Dame de Paris car je m’en fiche de l’histoire de France »,

* un certain Valoin : « ça c’est la flèche mdr »,

* une certaine Amélie Bastien « Ok c’est dommage que ça crame mais faut se détendre quand même hein tout le monde va s’en remettre elle est pas dead non plus encore chill ».

Je me rappelle qu’au même moment, en plein délire de petit blanc, touché au cœur, j’en aurais pleuré de voir ça, et presque surpris d’être aussi affecté par, en effet, ce drame national. Au fond l’UNEF est prise dans la même contradiction que le reste de la gauche dont elle a longtemps été la pépinière (j’allais dire la pouponnière) : féminisme ou tolérance ?

Par ailleurs ce qui frappe, c’est le refus obstiné de se dévoiler ne serait-ce que quelques minutes, par égard pour la représentation nationale, juste le temps de son audition. Ajoutons que le masque est la grande victoire de la femme voilée : grâce à lui, le hijab devient niqab et l’interdiction de cacher son visage, une vaste blague.

On se souvient qu’une pakistanaise admise à la nationalité canadienne, avait prêté serment en niqab, refusant de se dévoiler ne serait-ce que quelques secondes, le temps de cet acte solennel. La cour suprême lui avait donné raison et l’étonnant Justin Trudeau (on croit qu’il fait de la politique, mais en vrai c’est un acteur) avait salué cette victoire.

Le fait de porter un voile (de plus en plus couvrant, car le terme « foulard » a vécu depuis longtemps) et a fortiori un niqab, me crée un profond et grandissant malaise. Mais ce qui me trouble le plus, c’est ceci : pourquoi, comment explique-t-on, qu’on ne puisse, au moins fugitivement, le quitter quelques instants ou quelques minutes, dans certaines circonstances particulières ? Qu’est-ce qui s’y oppose ? On a beaucoup parlé d’accommodements raisonnables (expression très canadienne) à l’égard des musulmans, mais pourquoi une personne comme la responsable de l’UNEF n’est-elle prête, elle, à aucun accommodement, aucun compromis ?

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Xiongmao / AdobeStock

La Cour de cassation doit trancher aujourd’hui la question de la maternité transgenre, avec le cas d’un homme devenu femme à l’état civil, qui demande à être reconnu mère de sa fille biologique. Pfouh… ça devient trop compliqué pour moi, là. Une personne change de sexe parce qu’elle se sent mal dans celui avec lequel elle est née, pas de problème, c’est tout à fait compréhensible. Est-ce qu’il faut absolument et pour autant revendiquer être la « mère » de l’enfant, franchement on se demande ce qui reste de ce terme vidé de son sens. Il est le père, ayant conçu les enfants avec ses organes sexuels mâles, mais il veut devenir plutôt la mère. Finalement, la Cour de cassation écarte cette demande, estimant que seule l’adoption le permettrait. Protestations outrées des conseils de cette personne, en mode : nous sommes la modernité, l’avenir, le progrès, la cour de cassation a une conception « biologisante » ( ?) de la filiation.

Jeudi 17 septembre – Un procès n’est pas une tribune politique 

Les parties civiles quittent l’audience en signe de protestation contre le témoignage d’Anne Hidalgo sollicitée par SOS Racisme-Patrick Klugman. Tirer à soi la couverture d’une telle affaire, en venant témoigner au milieu de toutes ces victimes dont l’existence a été bouleversée et dévastée, me parait une chose assez laide.

Interview de Madame Chantal Arens dans L’Obs : « La justice n’est plus considérée comme un service essentiel de l’Etat ».

Vendredi 18 septembre – La justice privatisée ?

Théoule sur mer, je ne suis pas à jour : les propriétaires ont pu récupérer leur maison, la médiatisation a entrainé le départ « volontaire » des squatteurs. La maison est dégueulasse et ils ont dû jeter tout le mobilier ou presque : c’est la loi du genre, quand on rend une maison qu’on a squattée, elle est également saccagée, je ne connais pas de contre-exemple. Elan local de solidarité autour des deux propriétaires. Ce soutien, et le départ en quelques jours, ne viennent que de la médiatisation de l’affaire. Pensons à tous ceux dont personne ne parle et qui doivent suivre, seuls et sans aide, un parcours judiciaire du combattant parce que leur cause est anonyme.

Paroles très justes et très fortes de Najat Valaud-Belkacem sur Inter à propos du voile ! 

« J’ai l’impression qu’on met toute la culpabilisation sur le corps des femmes, une fois de plus. C’est un phénomène que les féministes et ceux qui défendent l’égalité femme-homme connaissent bien (…) on a un discours à sens unique dans lequel on projette, sur le corps de ces jeunes filles, l’idée que ce corps est forcément, de façon inhérente, sexuel, provocant, dérangeant, et que c’est de leur faute. (…) Là où il faudrait tenir un discours, à l’égard des garçons, de changement de regard, de changement d’attitude, de changement de comportement. C’est toute la logique d’inculquer l’égalité filles-garçons à l’école ».

Je ne suis pas toujours d’accord avec elle, mais là franchement, bravo pour cette clarté et, saluons-le au passage, le courage qu’il faut pour dire cela. L’idée de voile en effet, et plus généralement tout vêtement ample masquant la forme du corps féminin, tend à suggérer que ce corps est un objet de tentation auquel les hommes, dans leur ensemble, seraient incapables de résister et qu’il est plus prudent de leur cacher *.

Réaction de Clémentine Autain à la suite de l’audition de Maryam Pougetoux et du départ d’une députée : « Avis de recherche. Quel.le député.e de la majorité parlementaire a quitté une commission car choqué par ces tenues vestimentaires considérées comme irrespectueuses du principe  de laïcité ? », avec des images d’évêque et de rabbin… Déjà hier j’avais répondu sur twitter à un parallèle avec le chanoine Kir. La bêtise, ou la mauvaise foi, de cette comparaison aboutit à accréditer l’idée que les réactions négatives face au voile ne sont pas fondées sur l’égalité homme-femme, mais sur une détestation des musulmans et des musulmanes. En d’autres termes, elle pousse à un durcissement, en traitant implicitement de racistes (le stigmate suprême et infamant, celui dont on ne se relève pas) ceux qui n’aiment pas le voile.

Un rappeur au nom improbable (Freeze Corleone… je connais Freeze, Motherfucker ! mais je ne sais pas si c’est la même famille) agite la toile avec un morceau contenant des paroles qui en ont choqué certains, au point que des députés, montrant ainsi qu’on peut faire la loi tout en étant piètre juriste, ont demandé au Garde des sceaux de le poursuivre (si certains me lisent, je leur signale l’existence de l’article 40 du CPP, qui permet de faire un signalement, mais au parquet).

Heureusement, pour les blaireaux blancs quinquagénaires bornés de mon espèce, Le Mouv’ nous donne « les clefs pour comprendre Freeze Corleone » et nous éviter de mourir idiots  : « les allusions ne sont pas seulement borderlines, elles apparaissent parfois comme réellement provocantes -au point de laisser planer une certaine forme d’ambiguïté. A ce sujet, soyons précis : mieux vaut être très averti avant de plonger dans l’univers de Freeze Corleone. » : ne venez pas dire qu’on ne vous aura pas prévenu.

Les paroles ? Les juifs sont des banquiers et des rentiers, ils complotent dans l’ombre, l’auteur est « déterminé comme Adolf dans les années 30 » (c’est vrai que le mec en voulait, on l’a bien vu à Nuremberg), « Goebbels, SS, le mollah Omar, rien à foutre de la Shoah », j’en passe, mais tout cela, nous dit le Mouv’, n’est pas à prendre au premier degré. C’est disons, la forme moderne de l’hermétisme, ce garçon est le Mallarmé du rap. Les gens de la LICRA n’ont l’air d’avoir ni compris ni apprécié, c’est dommage, mais je suppose qu’ils n’ont pas pris la peine de lire l’article du Mouv’.

Avec ce sens de la mesure qui fait tout son charme, Edwy Plenel nous annonce sans rire que « la privatisation de la justice est en marche: le ministre de la justice ouvre une enquête disciplinaire contre trois magistrats du @pr_financier  ayant mené des investigations qui l’avaient visé en marge du scandale Sarkozy-Bismuth, bientôt jugé. (…) La vendetta d’Eric Dupond-Moretti contre le Parquet financier. » Au lieu de s’indigner qu’un avocat (et même plusieurs) soient espionné par le PNF, il s’émeut qu’une enquête disciplinaire soit ouverte par le Garde des sceaux.

Le conflit d’intérêt, le vrai, n’est pas là, et la vendetta encore moins : elle est dans ce papier vengeur lui-même car en vérité, Éric Dupond-Moretti a si souvent fait savoir qu’il détestait le journalisme policier et inquisitorial de Médiapart, que l’occasion était trop belle de prendre une revanche, et tant pis si l’honnêteté intellectuelle n’y trouve pas son compte.

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Eric Dupond-Moretti-Moretti à son arrivé au ministère de la justice le 7 juillet 2020 (Photo : ©O. Dufour)

Rappelons donc, nous qui sommes si attaché à la vérité, et dépourvu de parti pris (peut-être, à force que je prenne sa défense, le ministre me proposera-t-il un petit poste de conseiller pas trop mal payé ? Mais pour le moment il n’y a rien de fait) que l’avocat Éric Dupond-Moretti avait de très bonnes raisons de déposer plainte, et qu’il a eu ensuite une très bonne raison de s’en « désister ». Que l’IGJ (Inspection générale, les bœufs carotte de la justice, saisie par Nicole Belloubet) a rédigé un rapport qui dédouane le PNF  mais vise trois de ses membres : d’après le communiqué du ministère, le rapport pointerait « des faits relevés [qui] seraient susceptibles d’être regardés comme des manquements au devoir de diligence, de rigueur professionnelle et de loyauté » : si c’est bien le cas, cela peut justifier une suite disciplinaire.

Médiapart, Plenel et Arfi, détestent Dupond-Moretti mais ils aiment le PNF, et plus généralement tout ce qui permet que les riches, les puissants ou considérés tels, prennent aussi cher que possible au nom de la morale. Or, Eric Dupond-Moretti, non content de détester Médiapart, s’en est pris au PNF ! Scandale ! Pour eux, le fait que le PNF ait surveillé des avocats n’est même pas anecdotique : chacun ses priorités.

Qu’on demande des comptes à ces magistrats est donc une atteinte inacceptable et qui ne peut s’expliquer que par la vengeance d’un homme qui utilise ses nouvelles fonctions pour servir des intérêts privés : CQFD, simplisme et mauvaise foi.

Dans la même veine, le JDD : « Visée par une enquête administrative, l’ex-procureure du parquet national financier (PNF), Éliane Houlette, a fait savoir son intention de ne pas répondre aux convocations ». C’est vraiment du cri, quand même ! Une personne qui a passé sa vie à convoquer ou faire convoquer les autres, devant la police ou les juridictions répressives, refuse de déférer à une convocation de ses propres instances ! Mais elle donne, tranquille, une interview de 6 pages.

Mort de Michaël Lonsdale. Un très très grand Monsieur. Du méchant de Moonraker aux religieux du Nom de la Rose et de Des hommes et des Dieux, en passant par le médecin d’Hibernatus et le Jean sans terre tiré de la nouvelle de Jacques Perret (Objets perdus, un ouvrage à lire ou relire d’urgence). Avec lui, pas besoin de distinguer l’homme de son œuvre, on aime tout.

Samedi 19 septembre – La liberté d’expression a des limites, plein de limites

Des copies, des copies, des copies. Récolte potagère, on est sur la fin mais il y a encore des petites choses si on farfouille un peu.

Numéro passionnant de Répliques ce matin, l’invité est Pierre Nora, fondateur et animateur, avec Marcel Gauchet, de la revue Le Débat. Thème de la conversation : la fin du Débat tient aussi de la fin du débat. Exceptionnel éclairage sur ce qui advient de notre pauvre époque et sur la disparition du débat au profit du combat. Fourmillent les exemples, comme disait Alphonse Allais, et même sans chercher, je ne sais par où commencer tant je me sens cerné :

* Taubira refusant de répondre à une question et traitant les journalistes du Figaro de malades mentaux, (j’en ai déjà parlé, je crois ?),

* Les bons esprits condamnant toute discussion sur l’ensauvagement, l’insécurité ou le sentiment d’insécurité, le séparatisme et j’en passe, sous prétexte que ces questions emprunteraient le vocabulaire de la droite ou de l’extrême droite,

* Les écolos, dont le maire de Bordeaux qui, après des réactions bien compréhensibles sur l’attachement à la tradition du sapin, a clairement exprimé que « l’opinion des fachos de Lille, de Strasbourg et de Marseille, je m’assieds dessus » (qu’il ne fasse pas ça avec un sapin, par contre),

* Sylviane Agacinski, dont la conférence dans une université a été annulée par la force des antis je sais pas quoi,

* Alain Finkielkraut, l’homme que tout le monde adore attaquer et moquer, tenant une conférence à Sciences Po sous surveillance policière (qu’on y songe une seconde, même ceux qui le détestent cordialement),

* L’impossibilité de discuter le port du voile, par exemple par la porte-parole de l’UNEF (si anti-religieuse dans le temps),

* Ou la question de la tenue des jeunes filles au lycée.

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Photo : ©AdobeStock/Edalin


Et on pourrait y ajouter des questions scientifiques, par exemple l’ouvrage de l’historien Olivier Pétré-Grenouilleau, qui avait eu la folie d’évoquer dans un livre LES traites des esclaves, au lieu de ne parler que de LA traite des noirs par les blancs.

Ou celui de Sylvain Gouguenheim dans son « Aristote au Mont St Michel », ouvrage dans lequel il discute ce que l’occident devrait au monde arabe pour la transmission du savoir grec, ce qui lui a valu de se faire tomber dessus, non dans une polémique scientifique entre universitaires, mais comme le dernier des derniers. Une tribune dans Libération (hasard) relevait que « Oui, l’Occident chrétien est redevable au monde islamique », que la démarche de Sylvain Gouguenheim n’avait « rien de scientifique » et n’était qu’« un projet idéologique aux connotations politiques inacceptables », démarche soutenue (autre hasard) par l’inénarrable Patrick Boucheron. Plus de détails ici.

Il y a donc des questions dont on ne peut pas discuter et que la gauche (eh oui, c’est généralement de la gauche que viennent la censure et l’anathème) enterre.

Pourquoi ? La réponse nous est donnée par les inquiétants Edouard Louis et Geoffroy de Lagasnerie, déjà évoqués, et qui ont boycotté les Rendez-vous de l’histoire de Blois, au puissant motif qu’y participait Marcel Gauchet, dangereux extrémiste de droite, un fasciste de la pire espèce, je crois que tout le monde sera d’accord sur ce point. La violence et la bêtise de leur appel au boycott laisse pantois.

L’explication finale est donnée par Edouard Louis dans une émission branchée de Canal + (pardon pour le pléonasme, il m’a échappé), dans les termes sidérants et oxymoriques suivants :

« La liberté d’expression, c’est connaître les questions que l’on peut poser et les questions que l’on ne peut pas poser. Il y a des questions qui ne sont pas des questions mais qui sont des insultes (…) La démocratie, c’est aussi la capacité à clore des sujets. »

Dieu nous préserve de pareils démocrates.

En ce qui me concerne, et en cela je demeure finkielkrautien en diable, j’en reviens toujours à Montaigne :

* « Quand on me contrarie, on éveille mon attention, non pas ma colère ; je m’avance vers celui qui me contredit, qui m’instruit. La cause de la vérité devrait être la cause commune à l’un et à l’autre. »

* « L’impression de certitude est un témoignage certain de folie et d’incertitude extrême. C’est mettre ses conjectures à bien haut prix que d’en faire cuire un homme tout vif. »

Sans commentaire : « Paris : un homme porteur d’un hijab ouvre le feu en pleine rue. Déguisé en femme, le tireur visait un individu qui a réussi à prendre la fuite. La thèse du règlement de compte est privilégiée, selon Le Parisien. »

Dimanche 20 septembre – Le voile, oppressif là-bas, liberté ici

Nasrin Sotoudeh a été hospitalisée, après 39 jours de grève de la faim. Cette femme, cette avocate, met en danger sa santé et peut-être sa vie pour lutter contre l’obligation de porter le voile en Iran. Saluons tout d’abord, une fois de plus, son extraordinaire courage. Ici en France, on tombe à bras raccourcis sur ceux qui critiquent la présence d’une femme voilée devant une commission de l’assemblée nationale. Les mêmes avaient grimpé aux rideaux lorsque Riss avait fait la couverture de Charlie sur cette personne, ce qui avait entrainé des réactions, notamment d’Alexis Corbières : « cette Une elle est dégueulasse ». 

Y’a vraiment un truc qui déconne : comment ce qui opprime gravement les femmes dans un grand nombre de pays, devient ici une liberté ? Comment ce voile, instrument d’oppression et de discrimination des femmes en soi, peut-il devenir symbole de liberté en France ?

Lundi 21 septembre – L’allumette et la flaque d’essence

Coup de tonnerre à l’ENM : la Garde des sceaux propose le nom de Nathalie RORET, vice-bâtonnière de Paris, comme directrice de l’école.  Gros coup de vent sur les réseaux ! L’émotion des magistrats, qui s’était totalement tassée depuis la nomination du nouveau Garde des sceaux, s’enflamme de nouveau. Pour le moment, le rapprochement voulu par cette nomination crée surtout une très forte opposition entre les deux corps. Je vois d’ici la cérémonie d’investiture… Winter is coming, les gars !

Mardi 22 septembre – Qu’auriez-vous fait à ma place ?

Le Monde : « Unité magistrats FO demande en référé la suspension de l’enquête sur trois magistrats du PNF ordonnée par le ministre de la justice. Les deux principaux syndicats l’accusent de vouloir « affaiblir » l’autorité judiciaire. »

Je tombe par hasard sur la rediffusion de l’émission Boomerang avec Michael Lonsdale. Bien que l’animateur soit toujours agaçant et parfois abyssal voire océanique, comme le lui avait fait remarquer Mona Ozouf, c’est un bonheur que d’écouter cette voix, avec une longue lecture de Duras.

La DRH de Charlie, entendue au procès il y a quelques jours, a dû être « exfiltrée » de chez elle : « vous avez 10’ pour faire un sac », lui ont dit les policiers. On pourrait la citer in extenso, je me cantonne à ces deux extraits pour que chacun réalise que ces gens sont des RESISTANTS, un mot que je n’emploie jamais à la légère :

« Je ne souhaite à aucun journal de travailler dans ces conditions hallucinantes en plein Paris. L’adresse de nos locaux est secrète, il y a des sas de sécurité partout, des portes et des vitres blindées, des agents de sécurité armés, on ne peut faire venir personne ou presque. Il faut compter sur la vigilance constante de chacun et se faire violence pour ne pas céder à la peur. On ne travaille pas chez Charlie par hasard, et ce dispositif nous le rappelle chaque jour de façon plus cruelle. »

Et à propos de la pièce tirée du livre de Charb, évoqué plus haut :

« Des étudiants de Sud-Solidaire et de l’Unef (encore eux) nous ont empêchés – 50 ans après mai 68 – de jouer cette pièce à l’université de Paris-Diderot. Il y a aussi eu un adjoint à la culture d’une municipalité qui, après avoir consulté l’imam de la ville, a décidé de déprogrammer la pièce au motif que les mots de Charb « n’allaient pas dans un sens apaisé de la laïcité »… Ou ce président d’université à Lille qui a déprogrammé la pièce par crainte de débordements. C’est précisément cette succession de petites lâchetés, de compromissions, de mensonges et d’abandons qui ont rendu possible ce qui s’est passé en janvier 2015. »

Méditons ces fortes paroles.

Éric Dupond-Moretti à l’Assemblée, à propos de l’enquête sur trois magistrats du PNF : « Qu’auriez-vous fait à ma place ?! Que des magistrats qui ne veulent pas répondre à l’inspection des services et préfèrent répondre à @ParisMatch, cela me chagrine ! ». Soit il m’a lu, soit il a lu Raymond Aron (je penche plutôt pour cette dernière hypothèse. « Qu’auriez-vous fait à ma place » est la question que tous devraient se poser à propos de n’importe quelle décision, avant de la critiquer.)

Communiqué très dur des syndicats de magistrats SM et USM qui ne manquera pas de plaire aux Torquemada de Médiapart :

* la justice est attaquée par le Garde des sceaux qui devrait la protéger,

* sa nomination est du spectacle,

* il attaque le PNF et l’ENM,

* il le fait pour masquer des conflits d’intérêts (EDM = Herzog = Sarkozy) et défendre des intérêts particuliers.

Moi je dis qu’entre ça et une bonne vieille diffamation, il n’y a pas plus que l’épaisseur d’un tract.

Mercredi 23 septembre – #JusticePourLaJustice

Une affaire curieuse a été jugée hier à Versailles : un youtubeur a été condamné pour harcèlement à une peine de 2 ans de prison dont 1 ferme, assortie d’un mandat de dépôt. Première chose étrange, l’avocate des parties civiles était elle-même partie civile. Elle a plaidé, s’est dérobée, et son conseil a plaidé pour elle. Cette consœur, en plus d’être d’une remarquable beauté, est également une influenceuse sur Youtube et en tant que telle, victime du harceleur. Pas de conflit d’intérêt à mon avis, juste une petite originalité et peut-être une confusion, mais ça la regarde et déontologiquement il n’y a pas de problème.

La défense avait choisi, et d’après le compte-rendu d’audience c’était un peu audacieux, de plaider la relaxe. Comme je l’ai déjà relevé, et comme tant de mes confrères l’ont vécu, ce choix tend à provoquer des jugements binaires : ça passe ou ça casse. Le gars qui aurait expliqué qu’il a eu tort, qu’il s’est emporté, qu’il regrette, qu’il a changé et qu’il le fera plus, promis-juré-craché, pouvait peut-être éviter le mandat de dépôt, voire la partie ferme. Rien de nouveau donc. Ce qui l’est, c’est la publicité que fait à l’affaire, et se fait à lui-même, son conseil, qui s’explique sur twitter en long, en large, et surtout en travers, avec des copies de pièces à l’appui (et allez donc), en lançant le hashtag «  #justicepourhabannou ».

Je me souviens très bien, même si ça remonte, qu’à l’université on m’avait expliqué les voies de recours ordinaires et extraordinaires : toutes s’exerçaient devant des juridictions, sans exception. Dorénavant c’est sur les réseaux qu’on conteste les décisions juridictionnelles, comme disait Coluche, c’est nouveau, ça vient de sortir ! En réaction, j’ai décidé de lancer le hashtag #justicepourlajustice, que j’espère promis à un bel avenir. Je vous tiens au courant.

Vendredi 25 septembre – Le prix de la lâcheté

Même plus le temps d’écrire. Quand même, un nouvel attentat près de la rue Nicolas Appert, un homme agresse des personnes avec un hachoir. D’après les premiers éléments dont on dispose, il est pakistanais, arrivé en France il y a 3 ans en tant que mineur isolé, et confié en tant que tel à l’ASE (aide sociale à l’enfance du Val d’Oise). Sa minorité a été contestée par ce service, mais le tribunal a refusé de faire procéder à un test osseux et confirmé cette prise en charge. Il aurait déjà été arrêté en possession d’une feuille de boucher et avait écopé d’un rappel à la loi.

J’avais prévu un petit commentaire mais j’ai eu peur qu’on me jette de l’eau bénite en criant : Renaud Camus, sors de ce corps ! Je le limite donc à cette question, destinées à ceux que l’idéologie diversitaire n’aveugle pas : devons-nous laisser entrer chez nous des personnes qui vont, dans le meilleur des cas, contester notre mode de vie, et dans le pire, se retourner contre nous ? Je ne dis pas que la réponse soit simple, mais ne serait-il pas bon de commencer par se la poser ?

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attractive young man with mouth and lips sealed on tape to prevent from speaking free keeping him mute and censored in freedom of speech and expression concept

Débat sur France Info, avec notamment Emmanuel Pierrat, sur l’autocensure. Il rappelle un certain nombre de faits et ses propos, au fond, rejoignent ceux de la DRH de Charlie.

Pourquoi s’auto-censure-t-on ?

* par peur et en vérité, il y a de quoi avoir peur. On voit que ceux et celles qui continuent à parler librement sont, pour certains, menacés et vivent sous protection policière. Aurais-je le goût de continuer à m’exprimer librement si je devais payer un prix aussi élevé ?

* par refus de stigmatiser, de montrer du doigt, de faire l’amalgame tant redouté.

* par crainte, et cela rejoint le point précédent, d’être traité de raciste, l’injure suprême de nos jours. Les censeurs de la bien-pensance ne manquent pas de nos jours : tel chroniqueur de Télérama, les comiques de France Inter, la presse de gauche qui a tant changé depuis 30 ou 40 ans, vous classeront dans cette fâcheuse catégorie des réacs, des rances, des nauséabonds, des inopportuns qui se sont trompés d’époque.

Aucune de ces peurs n’est tout à fait honteuse, et il faut un certain courage pour s’exprimer sur ces sujets et en dire ce qu’on en pense vraiment.

Le prix de cette lâcheté ? Moins nombreuses sont les cibles, plus elles sont exposées.

Ajoutons qu’à côté du silence de l’auto-censure, nombreux sont les manifestations et les questionnements qui, en pratique et quelles que soient les intentions, vont à l’encontre des courageux et prennent le parti de l’ennemi. Par exemple en posant la question : republier les caricatures est-il une provocation ? Cette interrogation renferme toute la mesure de la soumission, je ne sais pas comment le dire autrement.

Aff. Derambarsh, suite (mais sans doute pas fin) : un compte intitulé Infos Courbevoie, dont l’intitulé et la photo de profil suggèrent de façon à peine subliminale la mairie de Courbevoie (on y voit que des élus ceints de leur écharpe tricolore), signale une enseignante à son université en lui reprochant de violer la présomption d’innocence.

Le même menace les personnes qui seraient derrière le compte Thèse et synthèse :

« On sait qui vous êtes et la police judiciaire vous convoquera très prochainement. Merci à certains de vos proches qui nous ont transmis vos identités avec screens et preuves. A bientôt JF JC et JP »

Est-ce qu’un élu peut utiliser ainsi l’autorité de ses fonctions pour une question purement privée et qui tient à sa « qualité » (mon clavier résiste à l’écriture de ce mot) d’avocat et de docteur en droit ? Je lui ai posé la question mais après m’avoir dit qu’il n’était pas Arash Derambarsh, il m’a bloqué…

Lundi 28 septembre – Filmer les audiences, toutes les audiences ?

Le Garde des sceaux propose qu’on filme les audiences (peut-être pas toutes quand même, hein). Une responsable du Syndicat de la magistrature sur France Info : euh, on est pour, bien sûr. Mais vu que c’est proposé par EDM, on est contre. D’ailleurs c’est une proposition populiste.

* On m’informe que, ayant pris en court l’interview de Najat Valaud-Belkacem, j’ai tout compris de travers ! Ce n’est pas du voile qu’elle parlait, mais du crop-top. Vraiment, toutes mes confuses (quel benêt je fais).

 

 

*Si vous avez manqué les épisodes précédents, c’est par ici 

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