Attentats de janvier 2015 : Treize avocats en colère

Publié le 21/09/2020

Lors de l’audition de la Maire de Paris Anne Hidalgo le 21 septembre dans le cadre du procès des attentats de janvier 2015, les avocats de la défense ont quitté la salle. Explications. 

Attentats de janvier 2015 : Treize avocats en colère
Les journalistes attendent les avocats à la sortie de la salle d’audience (Photo : O.Dufour)

Anne Hidalgo a-t-elle instrumentalisé le procès des attentats de janvier 2015 au service de sa carrière politique ? A chacun de se faire son opinion. Ce qui est certain en revanche, c’est que son audition n’a en rien contribué à la manifestation de la vérité. Durant les 45 minutes où elle s’est exprimée à la barre, la Maire de Paris a essentiellement décrit par le menu son rôle durant ces événements tragiques, évoqué son attachement à Charlie et indiqué que c’était le renoncement aux valeurs républicaines qui avaient mené à cette situation. Ce fut quand même l’occasion pour les avocats des parties civiles de lui faire dire qu’elle jugeait nécessaire de lutter contre l’islamisme – elle a pris soin de préciser « politique »- , et qu’elle était Charlie sans aucun « mais ».

« Je préfère m’attacher à la mémoire des victimes »

Comme au début de son intervention, elle avait choisi de lire la liste des victimes, une avocate des parties civiles lui a demandé : 

« — Connaissez-vous aussi  les noms des accusés ?

— Non, et je ne souhaite pas les connaitre », a répliqué Anne Hidalgo, cinglante.

A l’avocat de la défense qui s’en indignait, elle a rétorqué :

« — Je préfère m’attacher à la mémoire des victimes, je ne suis ni avocate, ni juge, ni procureure, mais citoyenne et maire. Notre pays s’honore d’être un état de droit où toute personne a droit à une défense et au respect, j’ai le droit de ne retenir que le nom des victimes. « 

Anne Hidalgo a été citée à la demande des associations SOS Racisme, CRIEF et UEJF par le président de la cour d’assises en vertu de son pouvoir discrétionnaire. Ce pouvoir, prévu à l’article  310 du CPP est défini ainsi : « Le président est investi d’un pouvoir discrétionnaire en vertu duquel il peut, en son honneur et en sa conscience, prendre toutes mesures qu’il croit utiles pour découvrir la vérité. Il peut, s’il l’estime opportun, saisir la cour qui statue dans les conditions prévues à l’article 316. Il peut au cours des débats appeler, au besoin par mandat d’amener, et entendre toutes personnes ou se faire apporter toutes nouvelles pièces qui lui paraissent, d’après les développements donnés à l’audience, utiles à la manifestation de la vérité. Les témoins ainsi appelés ne prêtent pas serment et leurs déclarations ne sont considérées que comme renseignements ».

En réalité, l’homme clef de cette audition semble être Patrick Klugman. L’un des principaux avocats des parties civiles dans ce dossier est aussi très engagé en politique ;  il a été vice-président de SOS Racisme, président de l’UEJF, surtout il a été nommé adjoint aux relations internationales et à la francophonie de la maire de Paris en 2014. C’est d’ailleurs lui qui est venu à la barre interroger la maire. Il n’en fallait pas davantage pour nourrir les soupçons d’une intervention à visée politique. D’ailleurs, même au sein des avocats de parties civiles, certains n’ont pas hésité à dénoncer une tentative de récupération. 

A  démarche médiatique, réponse médiatique, c’est le problème des procès qui attirent l’attention de la presse.

Un pouvoir discrétionnaire, mais jusqu’où  ?

Dans un communiqué adressé aux journalistes qui reprend les termes de la lettre qu’ils ont adressée au président de la Cour,  13 avocats de la défense, soit la quasi-totalité d’entre eux, expliquent :

« dans le contexte d’un procès d’une longueur exceptionnelle qui après 3 semaines d’audience n’aura vu qu’une part infime de témoignages abordant les faits reprochés aux accusés, les avocats signataires de ce communiqué n’entendent tout simplement pas perdre le temps précieux de ce procès en assistant au témoignage prévue ce jour ou à celui de toute autre personne ne concourant pas à la manifestation de la vérité ».

Si l’on peut observer qu’avant le témoignage de la Maire nul ne pouvait affirmer qu’elle ne pourrait rien apporter à la manifestation de la vérité, il était clair en revanche à la fin que c’était bien le cas. En réalité, l’incident pose une intéressante question. Qu’est ce qui prédomine, du pouvoir discrétionnaire ou de la manifestation de la vérité, dans les termes de l’article 310 ? Les partisans de la venue d’Anne Hidalgo évoquent le pouvoir discrétionnaire, les autres l’exigence d’une utilité pour l’avancée du procès.

Après le départ d’Anne Hidalgo et quelques minutes de suspension, le président a lu des conclusions de la défense sur cet épisode dans laquelle celle-ci dénonce le fait qu’une partie de l’audience s’est déroulée en l’absence des conseils de plusieurs accusés et donc en violation du code de procédure pénale qui exige que tout accusé aux assises soit assisté d’un avocat. Faut-il en déduire une nullité ? Non, ont répondu en choeur le président et le parquet. Une jurisprudence constante en effet considère qu’il n’y a vice de procédure que si l’absence de l’avocat est due au président, à la cour ou au ministère public. L’avocat qui renonce à défendre un accusé qui, de fait ,se retrouve privé d’assistance, doit être remplacé, éventuellement par une commission d’office prononcée par le président de la Cour. Mais si l’avocat s’absente sans toutefois renoncer à la défense, le procès peut continuer.

Les avocats des accusés le savent si bien, qu’ils ont reculé assez vite. « La défense ne cherche pas le vice de procédure, mais qu’il soit acté ce qui vient de se passer » a précisé l’un d’entre eux ; ce qu’ils dénoncent ce sont  « les modifications intempestives pour entendre des personnes qui ne concourent pas à la manifestation de la vérité », et de préciser « nous voulons qu’il soit acté que la défense à ce moment là n’avait pas sa place dans cette salle ».  Le président Régis de Jorna a fait acter que les avocats de la défense ont quitté la salle d’audience à l’arrivée d’Anne Hidalgo, à l’exception de deux d’entre eux.

L’incident pourrait se reproduire dans quelques jours. En effet, le communiqué des avocats de la défense contestait également l’audition, le 30 septembre prochain, de  Gilles Clavreul, ancien délégué interministériel à la lutte cotre le racisme et l’antisémites (2015-2017) et co-fondateur du Printemps Républicain  et de Jacqueline Costa-Lascoux, sociologue. Ils ont été cités à la demande de la LICRA. Eux toutefois semblent avoir plus à dire que le simple récit de leur indispensable présence sur les lieux et de leur attachement indéfectible à la République. 

 

*Les signataires du communiqué sont : Safya Akorri, David Apelbaum, Beryl Brown, Jean Chevais, Isabelle Coutant-Peyre, Margaud Durand-Poincloux, Hugo Levy, Margot Pugliese, Daphné Pugliesi, Zoé Royaux, Laurent Simeray, Antoine Van Rie, Clémence Witt.

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