La Cour de cassation répond aux critiques concernant le filtrage des pourvois

Publié le 29/08/2018

Lors de la présentation à la presse du rapport annuel de la Cour de cassation, le 6 juillet dernier, le premier président, Bertrand Louvel, a défendu l’intérêt d’instituer un filtrage des pourvois. Une réforme très contestée notamment par les avocats qui redoutent une limitation de l’exercice de ce recours.

La Cour de cassation a enregistré 30 387 pourvois en 2017 et elle en a jugé 28 067. Après une période d’infléchissement qui a duré trois ans, le nombre d’affaires nouvelles repart à la hausse : + 8,3 %. Comme parallèlement le nombre de dossiers jugés a baissé de 5 % en matière civile, le stock général a augmenté de 10 % au civil. En matière pénale en revanche, les chiffres sont stables. Le délai de jugement demeure toutefois performant car la Cour y est très attentive : 400 jours au civil, 200 jours au pénal.

Les pourvois soumis à autorisation préalable ?

Cette augmentation soudaine du nombre de pourvois arrive à point nommé pour appuyer le dispositif phare de la réforme de la Cour de cassation présentée dans le rapport d’avril 2017 : le filtrage des pourvois. La présentation du rapport annuel, le 6 juillet dernier, à la presse a été l’occasion pour la Cour de défendre une réforme qui suscite depuis plusieurs mois l’inquiétude voire la franche opposition des avocats ainsi que de certains universitaires. L’idée est simple : la Cour traite trop d’affaires ! Cela nuit à la lisibilité de sa jurisprudence sans rien apporter au justiciable dès lors que 75 % des pourvois en matière civile sont voués à l’échec. Le projet consiste donc à subordonner l’admission d’un pourvoi à une autorisation préalable. Celle-ci serait confiée à chaque chambre concernée, à charge pour elle d’examiner si l’affaire soulève une question de principe présentant un intérêt pour le développement du droit, ou si l’affaire soulève une question présentant un intérêt pour l’unification de la jurisprudence, ou encore si est en cause une atteinte grave à un droit fondamental. « Ces critères sont à la fois objectifs et souples », a souligné Bruno Pireyre, directeur du service de la documentation, des études et du rapport, qui a tenu à préciser « l’intérêt pécuniaire du dossier a été volontairement écarté car ce serait contraire à l’idéal démocratique de justice ». Il a également insisté sur les garanties offertes par la réforme : le filtrage sera opéré par un magistrat expérimenté, le justiciable sera représenté par un avocat, un comité interchambre, enfin, vérifiera l’harmonisation des critères.

Diminuer de moitié le nombre de pourvois examinés

Si la Cour se défend d’obéir à des préoccupations gestionnaires, il n’en demeure pas moins que l’étude d’impact évoque une diminution de moitié des pourvois en matière civile (le pénal pour l’instant n’est pas concerné). En prononçant moins d’arrêts, la haute juridiction estime que sa jurisprudence sera plus lisible. Elle promet par ailleurs des arrêts mieux motivés. « Ils seront plus développés, pas plus bavards mais plus explicites, avec une motivation pédagogique et persuasive. Le temps n’est plus à la seule autorité mais aussi à la capacité à convaincre de façon raisonnablement plus horizontale », analyse Bruno Pireyre. Cette motivation enrichie sera réservée aux situations qui le justifient : revirement de jurisprudence, création juridique, terrain des droits et libertés, principes fondamentaux. Comment ? En citant les jalons jurisprudentiels, en faisant apparaitre la méthode suivie pour interpréter la loi, en donnant une place aux résultats d’études d’impact des solutions de l’arrêt. Sans aller jusqu’au conséquentialisme, le juge responsable doit prendre en compte les conséquences de sa décision, a précisé Bruno Pireyre. Au final, cela aboutira à une meilleure compréhension du justiciable et contribuera à améliorer la promotion du droit français. Prenant à contrepied l’accusation de limiter le droit de recours, la Cour assure au contraire que sa réforme sera démocratique. En l’état, en effet, les personnes sollicitant l’aide juridictionnelle doivent justifier de l’intérêt de leur pourvoi et elles sont les seules à le faire. L’institution d’un filtre mettrait ainsi tout le monde sur un pied d’égalité. Quant à ceux qui voient dans ce projet la tentation d’évoluer vers le traitement d’une poignée de dossiers par an choisis pas les magistrats eux-mêmes, la Cour se défend par les chiffres : son homologue britannique n’examine que 80 affaires par an, la cour suprême américaine entre 150 et 200. Les 10 000 affaires qui seraient encore examinées si la réforme était mise en œuvre (au lieu de 20 000) placeraient la Cour de cassation au même niveau que les autres cours européennes.

 La France n’est pas prête pour les opinions dissidentes

Une autre réforme, liée à celle-ci mais nettement moins polémique, consiste à introduire un contrôle de proportionnalité inspiré de celui du juge européen, autrement dit à apprécier si les restrictions apportées par une loi nationale à un droit fondamental dans un dossier sont proportionnées ou non. La Cour justifie cette évolution par le fait que le juge national est tenu d’appliquer le droit européen et pour ce faire, doit donc s’approprier les méthodes du juge européen. Une autre évolution possible pourrait consister à publier les opinions dissidentes. Le chef de l’État s’y est déclaré favorable lors de son allocution à la rentrée solennelle de la Cour de cassation au mois de janvier dernier. Pour Bertrand Louvel, le système français axé sur la loi et non sur le juge s’y oppose. Ce serait contraire au principe de légalité dans la mesure où la volonté du peuple français ne saurait être plurielle, de même qu’à la collégialité. La décision de justice en France est une alchimie, et non le triomphe d’une opinion sur une autre. L’opinion dissidente présente également le risque d’enfermer les juges dans des prises de position et des postures. Le premier président estime que c’est un changement culturel « pour lequel on n’est pas prêt du tout » !

Instituer un filtrage des pourvois relève de la compétence du législateur qui devra modifier le Code de procédure civile pour prévoir que la Cour de cassation autorise les pourvois, organiser cette procédure et enfin pour adapter le régime de l’aide juridictionnelle.

Quelques jours après la présentation du rapport annuel, un collectif composé de plusieurs dizaines de professeurs de droit privé et public publiait une tribune dans Les Échos dénonçant l’abandon des justiciables et la tentation du souverainisme judiciaire. Pour ces universitaires, en sélectionnant les pourvois, la Cour sortirait de son rôle qui consiste à garantir le respect de la légalité et de l’égalité devant la loi, pour devenir « une source du droit, concurrente du législateur lui-même ». Ce faisant, elle laisserait subsister des situation d’injustice au préjudice des justiciables. Un argument que les avocats ne manquent pas d’invoquer également. Autant dire que le projet de réforme de la Cour de cassation est loin de susciter l’unanimité. On peut même se demander si la Cour n’est pas la seule à considérer cette évolution comme nécessaire. En tout cas pour l’instant…

X