« La plaidoirie est utile lorsqu’elle est interactive »

Publié le 09/06/2017

Après avoir présidé une chambre consacrée aux affaires économiques et financières à Nanterre, Fabienne Siredey-Garnier préside désormais la 17e chambre correctionnelle du TGI de Paris, consacrée aux affaires de droit de la presse. Pour faire face à un calendrier très chargé, elle tente de rationaliser le temps d’audience et invite les avocats à ramasser leur plaidoirie. Pour les Petites Affiches, elle revient sur la manière dont elle use pour contenir le temps de parole des avocats.

Les Petites Affiches – Vous proposez un nouveau contrat de plaidoirie. En quoi consiste-t-il ?

Fabienne Siredey-Garnier – Le terme de contrat est un peu fort, disons que je cherche à mettre en place une sorte de règle de bonne conduite pour limiter le temps des plaidoiries. Cette idée me vient de mon expérience au sein des institutions européennes. Dans les années 2000, j’ai été détachée au service juridique de la Commission européenne au sein de l’équipe de droit de la concurrence. Le service juridique de la Commission a deux fonctions. Premièrement, c’est en quelque sorte son « Conseil d’État », dans la mesure où il doit donner son avis sur tous les textes produits par la Commission. D’autre part, c’est un service qui a vocation à représenter la position de la Commission devant la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE). Je m’occupais des concentrations et des abus de position dominante, à l’époque où Mario Monti était commissaire à la concurrence. J’ai donc porté la robe d’avocat dans ce cadre. J’intervenais sur les questions préjudicielles sur des affaires en langue française, et dans des conflits qui opposaient plusieurs entreprises entre elles, des entreprises à la Commission, ou l’État français à la Commission. Nous avons traité d’importantes affaires. Nous nous sommes par exemple opposés à la fusion entre les deux géants américains General Electric et Honeywell. Malgré la complexité des affaires, nous devions présenter nos arguments de manière très synthétique. C’était très encadré.

LPA – Comment se déroulaient les audiences ?

F. S.-G. – Elles se déroulaient un peu comme les audiences civiles en France. Les juges disposaient des échanges de conclusions, des délais étaient fixés pour les échanges de mémoires et de réponses… En ce qui concerne la plaidoirie, nous devions annoncer notre temps de parole et nous y tenir. Cela impliquait de ramasser nos arguments au maximum. La règle était totalement appliquée. Un avocat qui dépassait le temps de plaidoirie qu’il avait annoncé se faisait interrompre et prier de terminer. De manière générale, les plaidoiries ne devaient pas, pour une affaire sans difficultés particulières, excéder un quart d’heure.

LPA – Vous avez donc importé cette pratique bruxelloise à la 17e chambre du TGI ?

F. S.-G. – Je ne suis pas aussi stricte qu’à Bruxelles, mais j’invite néanmoins fortement les avocats, et à plusieurs reprises, à être synthétiques et économes de leurs moyens. Dès la première audience, lorsque l’on procède à la mise en état pénale, je leur demande si les parties seront présentes en personne, combien de pièces ils vont présenter, et combien de témoins ils comptent citer à l’audience. Je les invite d’ailleurs à en limiter le nombre. Lors de cette audience, je leur demande également d’estimer leur temps de plaidoirie. Ensuite, le jour de l’audience au fond, pour les dossiers les plus importants, avant de suspendre quelques instants l’audience après avoir instruit le dossier et avant les plaidoiries, je fais souvent une demande « amicale » aux avocats : je les invite à se concentrer sur la seule démonstration juridique, en évitant de revenir sur des éléments factuels qui ont déjà été largement évoqués lors des débats ou de rappeler des règles de droit basiques. Enfin, lorsqu’ils ont la parole, je me permets de leur dire quand ils se répètent à l’excès. Il y a un tabou en France, on considère qu’on ne peut pas interrompre l’avocat… Eh bien moi quand un avocat dit trois fois la même chose, je me permets de le lui dire, c’est tellement contre-productif… Je n’ai jusqu’à maintenant encore jamais demandé à un avocat de bien vouloir terminer sa plaidoirie mais je n’exclus pas d’y venir un jour – par exemple, quand ils m’ont annoncé 20 minutes de plaidoirie et qu’une heure s’est déjà écoulée…

LPA – Comment les avocats perçoivent-ils vos méthodes ?

F. S.-G. – Ils jouent globalement le jeu. Jusqu’à maintenant, je n’en ai pas vu beaucoup rechigner à annoncer leur temps de plaidoirie ou répondre – ce que j’ai parfois entendu – « Je plaiderai le temps qu’il faudra ». En revanche, ils sous-estiment pour la plupart très souvent leur temps de plaidoirie. Pourtant, avec de la bouteille, on doit savoir combien de temps requiert une affaire… Lorsqu’ils m’annoncent une heure de plaidoirie, je leur demande si c’est bien nécessaire. La plaidoirie est là pour mettre en valeur l’argumentation, point ! En droit de la presse, il est de tradition de plaider longtemps. Cela peut être parfois utile, mais à mon sens jamais au-delà d’une heure. D’autant plus que dans cette matière technique, l’habitude est prise de conclure. Il arrive donc souvent que la plaidoirie fasse double emploi. Et rien n’est plus pénible que d’écouter un avocat lire ses conclusions à l’audience.

LPA – Arrivez-vous à faire évoluer la pratique de la plaidoirie ?

F. S.-G. – Petit à petit, même si je n’ai naturellement aucun moyen de contrainte, j’ai l’impression que mon positionnement commence à être connu, que les avocats sont plus vigilants. Certains d’ailleurs me font remarquer qu’ils connaissent mes exigences et vont s’efforcer de les satisfaire… J’ai toutefois attendu de m’être familiarisée avec la matière avant de préconiser ces règles. Il est possible, par ailleurs, que d’autres collègues laissent plus la parole aux parties lors de la phase d’instruction. En ce qui me concerne, j’instruis au maximum le dossier que je rapporte, en instaurant, y compris pour les affaires entre parties, un vrai débat contradictoire. Cela permet de dégager du temps pour la parole de la victime, celle du prévenu, et pour la phase de questions, qui est pour moi primordiale. On parle toujours de la plaidoirie mais la manière dont un avocat pose les questions peut être tout aussi déterminante ! Je suis pour une plaidoirie plus courte, complétée par des questions.

LPA – Pourquoi les plaidoiries sont-elles aussi souvent trop longues ?

F. S.-G. – Les avocats doivent savoir utiliser utilement leur temps de parole. Tous ne le font pas ! Certains, notamment, ne tiennent pas assez compte de ce qui s’est dit à l’audience. Or la plaidoirie est utile lorsqu’elle rebondit sur ce qui a été dit, qu’elle est interactive. Ce n’est pas la peine de refaire l’historique de l’affaire, de rappeler le contexte si cela a déjà été fait. Autre chose : nous sommes des juges spécialisés, ce n’est donc pas nécessaire de nous expliquer les fondamentaux de notre matière. Par exemple, en droit de la presse, les quatre critères de la bonne foi existent depuis des années, nous les connaissons évidemment par cœur. Cela n’empêche pas certains avocats de prendre du temps pour les exposer… Mises bout à bout, toutes ces minutes sont une perte de temps précieux et m’empêchent d’audiencer une affaire de plus lors d’une séance. Or je suis contrainte par le calendrier. J’audience actuellement en 2019, alors que le délai de prescription au pénal en droit de la presse est de trois mois… Dans ces conditions, je n’ai pas d’autre choix que de rationaliser le temps de parole.

LPA – Vous reprochez donc aux avocats de s’écouter parler…

F. S.-G. – Certains ont ce défaut en effet. Je crois aussi que parfois, ils plaident pour leur client, souvent présent à l’audience. Ils doivent se dire que s’ils ne plaident qu’un petit quart d’heure, le client risque d’estimer que l’avocat n’a pas fourni beaucoup de travail ! Une plaidoirie longue doit valoir gage de sérieux… Par ailleurs, je pense qu’un avocat, et a fortiori un avocat pénaliste, choisit ce métier entre autres choses pour parler, par goût pour l’art oratoire. C’est une composante importante de la profession. Je comprends parfaitement la frustration d’un avocat qui estime qu’il a des choses à dire face à un juge qui lui demanderait de se cantonner au dépôt de ses conclusions. Cela n’est d’ailleurs pas du tout mon propos. Je serais personnellement également très frustrée si on se contentait d’un dépôt de dossier. Il est d’ailleurs des affaires dans lesquelles on attend avec impatience le moment de la plaidoirie pour voir comment l’avocat va se positionner. Il y a d’excellents avocats, dont on sait d’avance que l’on va apprécier leur plaidoirie. Ne vous méprenez pas : ce n’est pas parce que je milite pour des plaidoiries plus efficaces que je suis l’adversaire des avocats, bien au contraire ! Je reconnais très volontiers que certaines plaidoiries sont de grands moments.

LPA – Qu’est-ce donc qu’une bonne plaidoirie ?

F. S.-G. – Une bonne plaidoirie doit mettre l’accent sur ce qui est de nature à emporter la conviction du juge. Plus elle est structurée et logique, plus elle marquera l’esprit. Comme disait un de mes collègues, « il faut enlever le gras pour aller tout de suite à l’os… ». Cela peut paraître une évidence, mais la première chose pour bien plaider est de bien connaître son dossier. Un avocat qui maîtrise son sujet n’a plus besoin de passer par les détails. L’éloquence ne suffit pas, c’est avant tout le fond qui fait la différence. Les bons avocats savent en outre rebondir sur ce qu’ils ont entendu à l’audience. La dimension orale des débats prend alors tout son sens. Il peut arriver que les points qui ressortent à l’audience ne soient pas dans les conclusions, ou alors qu’une nouvelle dynamique surgisse, si un témoin change de discours par exemple.

LPA – L’éloquence importe donc peu, d’après vous ?

F. S.-G. – L’éloquence en soi ne suffit pas ! Il faut revenir aux fondamentaux, à la matière. Cela dit, on peut difficilement nier qu’un même argument utilisé par deux avocats n’aura pas la même force de conviction. La plaidoirie n’est pas que juridique, elle a une dimension émotionnelle indéniable. La force de l’argumentaire passe aussi par la gestuelle, l’élocution… Une pointe d’humour, une sensibilité, une indignation peuvent faire mouche.

Inversement, un avocat qui s’indigne de manière excessive, non maîtrisée, est extrêmement nuisible à la cause qu’il défend. Donc oui, la personnalité de l’avocat compte évidemment. Mais la vraie différence se fait naturellement sur le fond. Les bons avocats sont ceux qui sont créatifs. Ils vont penser à engager une action peu habituelle, ressortir un argument de droit auquel on n’aurait pas pensé, mettre en valeur un point qui pouvait apparaître comme un détail… Il n’y a pas de réponse univoque.

LPA – Quel souvenir gardez-vous de la période où vous avez exercé comme avocat ?

F. S.-G. – La lutte avec la partie adverse n’était pas pour me déplaire, et j’ai réalisé à quel point le fait de vous faire comprendre par un juge pouvait être gratifiant. J’ai toujours considéré que l’avocat avait un rôle essentiel à jouer dans l’œuvre de justice. Je n’avais donc pas besoin de porter moi-même la robe pour m’en convaincre. En revanche, j’ai pu comprendre à la fois les difficultés spécifiques de ce métier et aussi ce qu’était la frustration de perdre ou la joie de gagner… C’était amusant et très formateur, mais au final il me manquait toutefois de décider !

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