La réforme de la justice démarre sur les chapeaux de roues

Publié le 07/11/2017

C’est à Nantes que le Premier ministre, Édouard Philippe et la ministre de la Justice, Nicole Belloubet ont choisi le 6 octobre dernier d’annoncer les cinq chantiers de la justice, présentés le mercredi précédent en conseil des ministres. Les travaux devront être remis au garde des Sceaux le 15 janvier prochain. Chez les magistrats et les avocats, les réformes annoncées suscitent un mélange d’espoir et d’inquiétudes.

Le gouvernement est visiblement décidé à mener la réforme de la justice tambour battant. En déplacement à Nantes le 6 octobre dernier, Édouard Philippe et Nicole Belloubet ont présenté les cinq chantiers qu’ils avaient annoncé le 4 octobre en conseil des ministres et lancés la veille. Ils portent sur les thèmes suivants : réforme de la procédure civile et pénale, réorganisation judiciaire, transformation numérique, sens et efficacité des peines. Confiés à 5 groupes de travail (voir infra) les missions de réflexion devront rendre leurs conclusions d’ici le 15 janvier. S’il faut aller vite c’est parce que les réformes les plus importantes doivent toujours politiquement être amorcées en début de mandat. C’est aussi s’agissant de la justice parce que l’indispensable loi de programmation budgétaire sur cinq ans, qui doit revaloriser ses crédits de façon significative, ne sera pas efficace si elle ne s’accompagne pas d’une réforme en profondeur de l’institution. Ce point fait désormais l’unanimité chez tous ceux qui travaillent sur le sujet, depuis les magistrats jusqu’aux politiques. C’est notamment la conclusion à laquelle est arrivée la commission des lois du Sénat dans son rapport « Sauver la justice » piloté par Philippe Bas. Or la loi de programmation quinquennale a déjà pris un an de retard en raison notamment du changement de garde des Sceaux en début de mandature et du lancement de la loi de moralisation de la vie publique.

Alléger le travail des enquêteurs

Dans sa présentation à Nantes, la ministre a indiqué que cette réorganisation allait s’articuler autour de deux axes : améliorer le fonctionnement de la justice au quotidien et renforcer le sens et l’efficacité des peines. Elle a précisé qu’elle le ferait sans idéologie. Le premier chantier portera sur la transformation numérique. Pour la ministre en effet « le justiciable ne peut plus comprendre que la justice reste à l’écart de l’évolution numérique ». Elle entend que celui-ci puisse suivre l’état de sa procédure en ligne, que les demandes d’aide juridictionnelle soient simplifiées, les juridictions saisies en ligne et les procédures pénales dématérialisées, depuis l’enquête jusqu’à l’audience. Ce travail se fera en lien avec Mounir Mahjoubi, secrétaire d’État au numérique ; il commencera par une mise à niveau du matériel et devra se faire de concert avec la réforme des procédures. C’était l’une des recommandations laissées par Jean-Jacques Urvoas à celui ou celle qui lui succéderait au ministère. La deuxième réforme est celle de la procédure civile. L’objectif ? Simplifier les modes de saisine du juge et développer la conciliation et la médiation. Parmi les questions posées par la ministre au groupe de travail figure l’opportunité de rendre la médiation obligatoire préalablement à la saisine du juge. Nicole Belloubet a par ailleurs demandé que l’on s’interroge sur la nécessité de maintenir la distinction entre procédure orale et procédure écrite, ou encore sur la manière de responsabiliser les parties sur la mise en état du dossier. En outre, elle entend revaloriser le rôle du juge de première instance, par exemple en réformant l’appel ou en généralisant l’exécution provisoire. Au chapitre procédure pénale, il s’agit d’alléger la « bureaucratie » et d’accroître l’efficacité de la procédure. Ici, l’influence des préoccupations du ministère de l’Intérieur est notable, la ministre a d’ailleurs précisé qu’elle partageait les préoccupations de son collègue Gérard Collomb « pour alléger et rendre plus efficace et plus fluide  le travail des enquêteurs dans le respect des libertés individuelles ». Parmi les pistes de simplifications figurent la forfaitisation de certains petites délits, la création d’un cadre permettant le développement de plates-formes de plaintes en lignes, ou encore la simplification de l’habilitation des OPJ. La ministre a aussi évoqué l’idée d’une audience de mise en état consacrée aux incidents de procédure ou encore d’un élargissement du plaider-coupable.

Aucun lieu de justice ne sera fermé

Le quatrième chantier, et sans aucun doute le plus sensible, porte sur l’organisation judiciaire. « Je veux, à cet égard, indiquer que cette réforme doit se faire en conservant le maillage actuel de nos juridictions, en maintenant les implantations judiciaires actuelles. Je veux donc confirmer que ces adaptations ne se traduiront par la fermeture d’aucun lieu de justice », a précisé la ministre.  Quant au fait qu’une réforme serait déjà prête à la Chancellerie, elle a réfuté catégoriquement toute idée de se référer à des travaux déjà réalisés : « J’ai lu dans les journaux que je disposerai d’une carte judiciaire déjà toute tracée. Je ne sais pas si ce sont des « fake news » ou des cartes venues d’un temps désormais trop ancien. Mais en tout cas, en tant qu’autorité politique aujourd’hui en responsabilité à la tête de ce ministère je puis affirmer que je ne m’appuierai sur aucune carte préétablie ». Enfin, elle entend travailler sur le sens et l’efficacité des peines. S’il ne s’agit pas d’engager la réforme copernicienne que certains espèrent et qui consisterait à cesser de construire des places de prison, au contraire, elle a confirmé un programme de 15 000 places, en revanche elle entend relancer les peines alternatives avec des objectifs chiffrés de sorte à « ne plus faire de la prison la seule peine de référence ». Il s’agira également de revoir le système d’aménagement des peines et des fins de peines. Ces réformes, a assuré Nicole Belloubet, seront menées sans idéologie, mais avec un souci constant de pragmatisme et une grande attention aux solutions qui remonteront du terrain.

Le Premier ministre très investi dans la réformes de la justice

La réforme de la justice sera menée avec le soutien du Premier ministre, ce qui constitue une sérieuse assurance politique. Édouard Philippe était présent à Nantes où il a commencé par rappeler son passé de conseiller d’État et d’avocat pour justifier son engagement en faveur de ce chantier. « L’État investit dans la justice car il lui fait confiance », a-t-il souligné en commentant l’augmentation de 3,9 % du budget de la justice pour 2018. Certes, la période budgétaire est tendue mais Jean-Jacques Urvoas avait obtenu + 4,5 %, ce qui venait compenser les budgets modestes du mandat de Christiane Taubira (d’abord 4,3 % la première année puis 1,7 %, 2,3 % et 1,3 %). Lors de la présentation du budget au mois de septembre, Nicole Belloubet a indiqué qu’une loi de programmation serait présentée début 2018 et prévoirait des augmentations de + 4,3 % en 2019 et de + 5,1 % en 2020. S’agissant de l’état de la justice, le Premier ministre a semblé l’attribuer à des « attentes immenses, passionnées, pas toujours rationnelles », pointant également des conservatismes et des résistances. Ce faisant, il traduit une vision politique assez classique de la justice qui n’a semble-t-il pas pris toute la mesure du fait que la justice paie aujourd’hui des décennies de budgets insuffisants qui l’ont rendue exsangue. L’essentiel est que, citant Cicéron, il se soit déclaré convaincu que sans la justice, les grands principes d’une démocratie demeuraient lettre morte. À la Convention nationale des avocats, qui s’est tenue du 18 au 21 octobre à Bordeaux, le Premier ministre qui s’était également déplacé avec la garde des Sceaux, a annoncé qu’il allait demander à l’Inspection générale des finances et à l’Inspection générale de la justice de mener une mission conjointe sur l’aide juridictionnelle et de lui rendre un rapport d’ici le 15 janvier. « Il ne s’agit pas d’ajouter un rapport aux nombreux rapports qui se sont penchés sur le sujet mais je voudrais que nous menions une réflexion plus opérationnelle en n’écartant à ce stade aucune piste ». Parmi les fameuses pistes, figurent l’extension de la protection juridique, mais aussi des solutions beaucoup moins consensuelles comme « la création dans les universités et les écoles d’avocats, de structures comparables aux internats dans les hôpitaux » ou encore la possibilité de salarier des avocats pour accomplir des missions d’aide juridictionnelle.

Si les réformes sont évidemment souhaitées par les magistrats, elles suscitent les inquiétudes traditionnelles relatives aux choix politiques qui vont être faits et à leur pertinence. Lors du congrès de l’USM qui s’est tenu à Paris le 13 octobre dernier, la présidente du syndicat Virginie Duval a confié à la ministre la lassitude des magistrats à l’égard de réflexions chronophages sur les sujets de procédure qui trop souvent ne mènent nulle part. Quant à la carte judiciaire, pour le syndicat, si des juridictions doivent fermer qu’elles ferment, mais il rejette l’idée de chambres détachées  qualifiée d’ « hypocrisie ». Enfin, Virginie Duval a noté, pour les regretter, l’absence d’évocation d’une réforme de la justice des mineurs et le peu d’informations sur la très attendue réforme constitutionnelle de l’indépendance du parquet. Des réactions qui confirment que le gouvernement avance en terrain miné, en particulier sur la carte judiciaire, l’indépendance et l’aide juridictionnelle. Il n’est pas certain dans ces conditions qu’il puisse tenir le calendrier qu’il s’est fixé. Déjà le programme se fissure puisque, à l’issue de la Convention nationale des avocats, Nicole Belloubet a indiqué que si la réforme de la procédure pénale aurait bien lieu au printemps prochain, en revanche, celle de la procédure civile était déjà reportée à 2019. Après le report d’un an de la loi de programmation cela commence à faire beaucoup…

Les propositions Bas approuvées en commission des lois

La commission des lois du Sénat a approuvé le 18 octobre dernier une proposition de loi d’orientation et de programmation des crédits de la justice pendant cinq ans et une proposition de loi organique, réformant en profondeur la justice. Celles-ci sont la traductions législative des recommandations du Rapport « Sauver la justice », publié en avril dernier. Philippe Bas a indiqué son souhait que le gouvernement inscrive ces deux propositions de loi sur le redressement de la justice à l’ordre du jour de l’Assemblée nationale dès la remise des conclusions des chantiers de la justice en janvier prochain, afin que le processus législatif enclenché aboutisse le plus rapidement possible, en indiquant que le Sénat serait naturellement ouvert aux propositions qui résulteront de ces chantiers et du débat à l’Assemblée nationale.

Les pilotes des 5 groupes de travail :

 Simplification de la procédure pénale  : Jacques Beaume, procureur général honoraire et Franck Natali, avocat au barreau de l’Essonne.

 Simplification de la procédure civile : Nicolas Molfessis, professeur des universités, et Frédérique Agostini, présidente du tribunal de grande instance de Melun.

– Transformation numérique : Didier Casas, secrétaire général de Bouygues Télécom et Jean-François Beynel, premier président de la cour d’appel de Grenoble.

 Adaptation de l’organisation judiciaire : Dominique Raimbourg, avocat et ancien président de la commission des lois de l’Assemblée nationale et Philippe Houillon, avocat, élu local et ancien président de la commission des lois de l’Assemblée nationale.

 Sens et efficacité des peines : Bruno Cotte, ancien président de la chambre criminelle de la Cour de cassation et ancien magistrat à la cour pénale internationale et Julia Minkowski, avocate au barreau de Paris, cofondatrice et présidente du Club des femmes pénalistes.

X