« La solidarité sera au cœur de mon mandat »

Publié le 19/03/2019

Vincent Maurel, avocat en droit des sociétés, est, depuis le 1er janvier dernier, le nouveau bâtonnier des Hauts-de-Seine (92). Mobilisé contre le projet de loi Justice, il se montre également soucieux des évolutions législatives pouvant affecter la profession en général, et les avocats fiscalistes en particulier. Pour les Petites Affiches, il a accepté de revenir sur son parcours et de nous détailler ses priorités pour les deux ans à venir.

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Quel est votre parcours ?

Vincent Maurel

J’ai commencé par une maîtrise de droit des affaires à l’université de Poitiers, que j’ai complété en cinquième année par un DJCE, avec le certificat de droit fiscal. J’ai passé ensuite une année d’étude à Cambridge, où j’ai étudié plus particulièrement le droit des contrats et celui de la responsabilité, dite « Tort law ». J’avais précédemment passé six mois en tant qu’étudiant Erasmus à Galway, en Irlande, où j’ai étudié les droits de l’Homme et découvert la common law. De retour en France, j’ai intégré l’école d’avocats de Versailles, tout en faisant, en parallèle, un stage chez Fidal, cabinet dans lequel j’exerce aujourd’hui encore. J’y suis rentré comme collaborateur, à la direction internationale. J’y ai exercé le droit fiscal pendant plusieurs années avant de revenir à mes premiers amours, le droit des contrats et des sociétés. J’exerce aujourd’hui dans ce domaine, avec une orientation financière. J’interviens ainsi principalement dans deux grands secteurs d’activités : dans le domaine bancaire et financier – je conseille beaucoup de sociétés de gestion, d’établissements de crédit – et dans le secteur des énergies renouvelables.

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Vous avez également des fonctions de représentation depuis longtemps… 

V. M.

Élu secrétaire de la Conférence, en 1999, j’ai en effet commencé par représenter pendant un an le jeune barreau. Puis, pendant quelques années, j’ai présidé l’association des secrétaires et anciens secrétaires de la Conférence. En 2010, j’ai présenté ma candidature à la fois aux élections de la Caisse nationale des barreaux français (CNBF) et aux élections du Conseil de l’Ordre du barreau des Hauts-de-Seine. J’ai ainsi été membre du conseil de l’Ordre pendant six ans. Et je suis aujourd’hui toujours élu de la CNBF, où j’exerce les fonctions de vice-président.

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D’où vous vient cet engagement ?

V. M.

Je suis issu d’une famille de juristes, qui compte un grand nombre de notaires, d’huissiers et d’avocats. Je baigne dans cet environnement depuis toujours, et m’engager dans la vie ordinale m’a été une chose très naturelle. La fonction de secrétaire de la Conférence m’a donné un premier contact avec cette vie ordinale, qui m’a beaucoup plu. J’ai ensuite été spontanément vers le conseil de l’Ordre et la CNBF. J’ai également exercé des fonctions au sein du conseil d’administration de l’HEDAC, l’école d’avocats de Versailles. Ces responsabilités m’ont permis de voir la profession sous toutes ses facettes. Le métier d’avocat me plaît : j’apprécie la relation avec les clients, avec les confrères… Participer à l’évolution des textes et à l’organisation de la profession m’intéresse. Pour moi qui ai un parcours très marqué droit des affaires, la vie ordinale me donne l’occasion d’exercer différemment, de découvrir autre chose. Par exemple, les relations avec les juridictions ou le contentieux, que je ne pratique absolument pas dans ma vie professionnelle.

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Que représente pour vous aujourd’hui cette fonction de bâtonnier ?

V. M.

C’est d’abord une grande joie, car je l’ai voulu. On ne devient pas bâtonnier par hasard : c’est un engagement fort, qui prend beaucoup de temps. Cela implique de se plonger vraiment dans la vie ordinale, d’échanger énormément avec les confrères. Je suis très heureux d’occuper cette fonction aujourd’hui.

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Que souhaitez-vous faire durant ce mandat ?

V. M.

La solidarité sera au cœur de mon mandat. Une de mes priorités sera d’aider les confrères à développer leur activité, via en particulier la mise en place de formations et de colloques, d’outils et de partenariats visant à faciliter l’entrepreneuriat. Par ailleurs, j’aimerais aider ceux qui rencontrent des difficultés. J’ai mis en place une commission prévoyance-solidarité pour accompagner les confrères en difficulté, leur donner les informations susceptibles de les aider, faciliter les relations avec des tiers telle la CNBF…

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Vous souhaitez également œuvrer pour inclure davantage les personnes porteuses de handicap…

V. M.

Toujours dans un esprit de solidarité, je souhaite participer au renforcement de l’inclusion des personnes en situation de handicap dans la société en général, et dans les métiers du droit en particulier. Cela me tient particulièrement à cœur. J’ai lancé cette dynamique dès que j’ai pris mes fonctions. D’une part, avec le collectif « Droit comme un H ! », constitué à l’initiative en particulier de notre confrère Stéphane Baller, nous voulons faciliter l’ouverture de la filière « droit » aux jeunes en situation de handicap. D’autre part, avec une autre consœur, Marie-Paule Descamps, nous venons de créer le projet « Handicap – Avocats 92 Solidaire », à destination des personnes handicapées du département des Hauts-de-Seine. Nous proposons à ces dernières des rendez-vous avec des avocats bénévoles pour les aider à effectuer les démarches administratives leur permettant de faire valoir leurs droits. Les premières rencontres auront lieu en mars prochain.

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Quelles sont les spécificités du barreau des Hauts-de-Seine ?

V. M.

On le qualifie souvent de premier barreau d’affaires. Nous sommes 2 300 avocats environ, et il est vrai que les deux-tiers d’entre nous travaillent dans ce que l’on appelle les grandes structures de droit des affaires. Les autres sont des avocats qui exercent surtout en structures individuelles ou de « petite taille ». Nanterre est pour cela un barreau très atypique. C’est le seul à avoir une telle configuration : des grandes structures d’un côté, des petites de l’autre, et très peu de cabinets de taille intermédiaire au milieu. Tout l’enjeu est de faire en sorte qu’il y ait du lien entre ces deux extrêmes. On y travaille beaucoup, via notamment la création d’événements qui permettent aux avocats de se rencontrer, quelle que soit leur structure d’exercice.

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Quelle est la place, au sein de votre barreau, des avocats qui ne sont pas spécialisés dans les affaires ? 

V. M.

Ils y ont toute leur place. Nous comptons de nombreux avocats spécialisés dans les différents domaines du droit. Les avocats en droit des étrangers sont par exemple nombreux et très présents à la Cour nationale du droit d’asile. Nous avons également des pénalistes de renom. Les avocats d’enfants sont aussi très investis. En fin d’année dernière, nous avons organisé les « Assises des Mineurs », un grand événement réunissant, à La Défense, de très nombreux avocats d’enfants, venus de différents barreaux. Notre barreau attache une grande importance aux avocats qui interviennent en faveur des personnes les plus fragiles.

Nous avons un conseil de l’Ordre qui reflète la diversité de notre barreau. Des représentants des gros cabinets d’affaires y côtoient des avocats des structures individuelles. Nous y avons des échanges passionnants, avec des confrères qui, bien qu’avec des visions différentes de la profession, ont les mêmes valeurs et sont attachés à notre déontologie.

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Quels sont les grands rendez-vous de votre barreau ?

V. M.

Tous les ans, au mois de novembre, nous organisons une rentrée à laquelle assistent environ un millier de personnes. C’est un événement très important pour notre barreau, à l’occasion duquel les secrétaires de la Conférence font le procès fictif d’une personnalité.

Nous organisons par ailleurs de nombreux colloques et formations qui intéressent aussi bien les avocats venus des grosses structures que ceux exerçant en structure individuelle.

Nous proposons également des moments festifs. Mon prédécesseur, le bâtonnier Pierre-Ann Laugery, a par exemple créé une fête de la musique. Cela paraît anodin mais cet événement a tout de même réuni près de 800 personnes l’année dernière ! Les avocats étaient pour beaucoup venus en famille. Ces moments sont importants pour maintenir des liens entre nous.

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Votre prédécesseur, Pierre-Ann Laugrey, s’est illustré par des prises de position très fortes contre la réforme de la justice. Allez-vous poursuivre son engagement ?

V. M.

Je vais le poursuivre à ma façon et avec mon propre style. Comme je l’ai indiqué lors du passage du bâton, les combats qui ont été les siens sont à présent les miens.

Nous avons manifesté le 15 janvier dernier contre le projet de loi Justice. Sur la forme, la méthode du gouvernement est assez critiquable, car il n’y a pas eu de réelle concertation, quoi qu’en dise la garde des Sceaux. Sur le fond, l’accès à la justice risque d’être entravé, du fait de la réorganisation des tribunaux et de la dématérialisation, car on sait que 10 millions de personnes ne maîtrisent pas, voire n’ont pas accès à internet.

Outre cette réforme, je vais observer la même vigilance que celle dont mon prédécesseur a fait preuve à l’égard des projets qui se préparent, sur l’aide juridictionnelle notamment. Je vais également être particulièrement vigilant sur le projet de réforme des retraites. Étant à la CNBF, je connais bien ce sujet. Nous avons une caisse de retraite qui permet une véritable solidarité, tant entre avocats qu’à l’égard d’autres professions. Chaque année, nous versons environ 85 millions d’euros à d’autres caisses qui sont déficitaires. La CNBF assure une retraite à chaque avocat ayant pleinement cotisé une retraite minimum de près de 1 400 euros, ce qui est bien plus élevé que le minimum vieillesse. C’est unique, je pense. Nous pouvons le faire car nous avons un système de retraite très solidaire. Je suis donc opposé à la fusion de toutes les caisses en un seul et unique régime dit « universel ».

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Vous êtes également méfiant au sujet de la loi sur la fraude fiscale…

V. M.

Je serai en effet très vigilant en ce qui concerne la pénalisation du droit fiscal. La nouvelle loi sur la lutte contre la fraude fiscale – lutte à laquelle je suis bien entendu favorable – ne doit pas être un prétexte pour s’en prendre aux avocats. Or ce risque est aujourd’hui important. La loi adoptée en octobre 2018 peut avoir pour conséquence, dès lors qu’une personne fait l’objet d’un redressement, de mettre à l’amende de manière administrative son avocat, et ce alors même qu’il n’y a pas eu de procès. C’est très dangereux, et notre barreau, qui compte beaucoup de fiscalistes, va bien sûr être très mobilisé là-dessus.

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D’autres sujets vous préoccupent-ils ?

V. M.

Je suis notamment de près les dispositions nouvelles susceptibles d’avoir une incidence sur l’exercice professionnel de l’avocat fiscaliste, avec pour objectif la préservation de son indépendance et de la plénitude du secret professionnel. Je citerais par exemple la directive dite Intermédiaire (« DAC 6 »), relative aux schémas transfrontières potentiellement agressifs sur un plan fiscal. Comment celle-ci sera-t-elle transposée en droit français ? Nous l’ignorons encore.

Je citerais également le projet du gouvernement de créer une nouvelle mission dite « examen de conformité fiscale », qui aurait pour objet de valider la fiscalité des entreprises, sur la base d’une charte rédigée à quatre mains avec l’administration fiscale…

En l’état du projet, et à notre connaissance, seuls les commissaires aux comptes seraient habilités à pratiquer ce nouveau métier, et nous ne comprenons pas bien pourquoi les avocats ne pourraient pas y prétendre. D’un autre côté, si l’on donne accès à ce nouveau métier aux avocats, cela peut poser des difficultés en termes de déontologie, de secret professionnel, de responsabilité. Ce sont des sujets que l’on suit de près. Il faut saluer la volonté du gouvernement de mettre en place une société de confiance, mais il ne faudrait pas que cela crée des activités qui viennent nous mettre, nous avocats, en porte-à-faux. C’est à nous, représentants des avocats, de veiller à ce qu’il n’y ait pas d’excès de la part de l’administration. Et que l’on n’arrive pas à des situations où l’on ne peut plus conseiller des clients sans se mettre en danger nous-mêmes.

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La profession est également bousculée par l’arrivée des legaltechs. Comment les voyez-vous ?

V. M.

C’est un formidable outil. Il ne faut pas en avoir peur, mais il faut être très vigilant car cela bouleverse notre activité. Il existe différentes formes de legaltechs. Il y a d’abord, les plates-formes, dont on entend beaucoup parler. Elles peuvent constituer une aide précieuse pour les avocats en les rendant plus visibles, mieux référencés. Il faut néanmoins veiller à ce que ces derniers ne deviennent pas eux-mêmes les produits de ces plates-formes. Le fait de payer pour être référencé peut ainsi poser question. Le CNB a mis en place une plate-forme, et cela me semble une bonne chose. Je préfère que la profession s’en saisisse plutôt qu’elle ne laisse cela à des tiers.

Les legaltechs, ce sont par ailleurs le big data, la justice prédictive… Là encore, cela peut être un atout considérable si cela permet d’anticiper ce que pourrait être, en fonction de certains critères, une décision de justice. Le big data permet d’avoir accès à une fantastique base d’informations, puisqu’à partir de quelques mots-clés, on peut trouver des décisions que l’on aurait mis des heures à trouver autrement. Il y a aussi toutes les technologies qui facilitent la rédaction d’actes. Cela permet de gagner du temps, mais cela peut également entraîner la dévalorisation d’une partie de notre activité voire sa disparition dès lors que de potentiels clients y ont accès directement. Ces technologies effraient un certain nombre d’avocats. Il faut les aider à s’en saisir. La profession d’avocat devient compliquée à exercer. C’est pourquoi il est essentiel d’aider et d’informer les confrères face à ces évolutions technologiques.

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