« J’ai la responsabilité de porter mon barreau »

Publié le 11/04/2017

C’est une femme à l’image du barreau qu’elle représente : chaleureuse, accessible et engagée. Vêtue d’une sage robe bleu marine et cheveux blonds noués en chignons, Valérie Grimaud a une élégance et une autorité naturelles. Passionnée, elle parle à bâtons rompus de son métier et de son engagement d’avocate, quitte à en oublier l’heure et la nuit qui tombe dehors. Avocate depuis 1994, elle est depuis le 1er janvier 2017, bâtonnière du barreau de la Seine-Saint-Denis. « Le plus beau mandat que l’on peut exercer dans la profession », assure-t-elle. Rencontre.

Les Petites Affiches – Comment vous êtes-vous préparée à ce bâtonnat ?

Valérie Grimaud – J’ai eu 6 mois pour me préparer avant de prendre mes fonctions le 1er janvier de cette année. Mais avant même de se préparer, il faut se faire à l’idée de se présenter. En ce qui me concerne, comme c’est généralement le cas pour les bâtonniers, j’avais une expérience de mandat ordinal. J’ai passé plus de dix ans au conseil de l’ordre. J’y suis entrée en 2002, j’avais alors moins de dix ans d’expérience professionnelle. Cette expérience ordinale est révélatrice : soit cela vous passionne, soit vous ne vous y retrouvez pas du tout. Personnellement, je suis arrivée par hasard au conseil de l’ordre mais cela m’a passionnée. J’ai eu l’impression de prendre de la hauteur par rapport à mon activité et des responsabilités à l’égard de mes confrères. Cette expérience m’a donné envie d’être bâtonnier. C’est une évolution somme toute assez classique.

LPA – En quoi consistait votre travail au conseil de l’ordre ?

V. G. – Il existe deux types de commissions. Les premières sont directement liées au travail du bâtonnier : on y traite par exemple de déontologie, de litiges d’honoraires… Les deuxièmes sont des commissions thématiques, sur une matière du droit. On a la charge de suivre les évolutions législatives de notre domaine, d’être en lien avec les autres avocats pour leur proposer des formations… On m’a confié la commission de droit de la famille, qui correspond à ma spécialité en tant qu’avocate. Cela m’a permis de mieux analyser mon cœur de métier et d’être dans la prospective avec mes confrères. Ce fut très enrichissant.

LPA – Comment envisagez-vous votre rôle de bâtonnier ? –

LPA – Est-ce différent d’être une femme bâtonnier ?

V. G. – Le barreau de la Seine-Saint-Denis existe depuis 1971 et je suis la cinquième femme à occuper ce poste. Il y a donc eu bien plus de femmes à ce poste qu’à Paris ! C’est à l’image de notre barreau, qui est moderne, qui ressemble à notre époque. En ce qui me concerne, je suis très à l’aise en tant que femme et en tant qu’avocat. Je reconnais ce qui est dit par les femmes en politique, lorsqu’elles évoquent les discriminations dont elles font l’objet. Comme toutes les femmes, j’ai été confrontée à des situations de ce genre. Je me souviens très bien que, lorsque j’étais jeune et que j’allais plaider en correctionnelle, certains prévenus parlaient de moi en me désignant comme « la petite jeune là-bas ». Ils n’auraient évidemment pas désigné un avocat homme dans des termes similaires. Quand j’étais enceinte, mes clients regardaient mon ventre, et avaient l’air d’avoir du mal à imaginer que je puisse me concentrer sur autre chose… Ces comportements m’ont agacée mais pas traumatisée. Dans les réunions de bâtonniers, on est évidemment moins de femmes que d’hommes mais ce n’est pas quelque chose qui me perturbe : j’ai d’autres outils. Je suis une femme mais j’ai mon petit caractère, ce que tout le monde sait. Du coup, on ne me cherche pas trop ! Finalement, le fait d’être une femme bâtonnier n’est pas tellement un sujet pour moi. Cela dit, je pense que j’incarne la fonction d’une manière un peu différente que ne le ferait un homme.

LPA – C’est-à-dire ? –

LPA – Comment envisagez-vous votre mandat ?

V. G. – Un mandat de bâtonnier dure deux ans. C’est très court et très intense, car on garde nos cabinets. Il y aura une continuité avec l’action de mes prédécesseurs. Il y a une tradition de solidarité en Seine-Saint-Denis : on s’inscrit implicitement dans la continuité de ce qui a été fait. Il y a de toutes les manières un certain nombre de tâches qui doivent être faites, quelle que soit la personne qui occupe la fonction. Vous n’arrivez pas là pour faire la révolution ! Je me perçois toutefois comme un bâtonnier d’une nouvelle génération, et c’est également l’image que l’on me renvoie. Je participe au travail de secrétariat, je manie l’informatique… Je représente une génération moins aisée que celle de mes aînés. Tous mes premiers patrons, par exemple, avaient des secrétaires. Le métier s’étant précarisé, cela n’est pas mon cas. Je suis habituée à participer à toutes les tâches, j’ai sans doute une vision moins verticale des choses que les avocats de la génération précédente.

LPA – Vous avez aussi repensé le travail en commission…

V. G. – J’ai en effet élargi toutes les commissions en faisant rentrer un maximum d’avocats dedans. J’ai veillé à mélanger des jeunes avocats, qui manient bien les outils de communication, à des avocats plus expérimentés, qui ont pour eux l’analyse, la force d’anticipation. L’association de ces deux profils me semble très pertinente. Je considère aussi que ces commissions n’appartiennent pas au bâtonnier mais aux avocats eux-mêmes : ils doivent s’en saisir ! Les bâtonniers ne sont là que pour deux ans, les commissions durent bien plus longtemps qu’eux. Je sais quel est le poids d’une commission, le travail bénévole qu’il faut fournir. Je suis exigeante par nature, je demande beaucoup. Il faut en contrepartie que les avocats puissent s’approprier leur travail.

LPA – Quelle est la spécificité du barreau de Seine-Saint-Denis ?

V. G. – C’est un petit barreau dans le deuxième TGI de France. Paris, le premier barreau de France, compte 29 000 avocats. Nous sommes le deuxième, mais avec 580 avocats seulement. Cent cinquante d’entre eux ont moins de cinq ans d’expérience professionnelle. Notre barreau est jeune de par sa durée d’existence et de par sa composition. Il est à l’image de la société. Par ailleurs, il est évident que l’on ne vient pas s’implanter comme avocat dans le 93 pour devenir riche. Nous gagnons notre vie, mais humblement. C’est un choix politique et militant de venir s’installer ici. 70 % du contentieux du TGI de Bobigny se fait avec l’aide juridictionnelle. Et lorsque nos clients ne sont pas éligibles à l’aide juridictionnelle, ils en dépassent de peu le seuil, de sorte que nous devons de toute façon adapter nos honoraires. Je ne me plains pas. J’ai fait mes études à Paris et je suis diplômée de l’université Panthéon-Sorbonne. Je me suis implantée ici en connaissance de cause. Par conviction.

LPA – Le barreau de Seine-Saint-Denis souffre-t-il de la concurrence avec Paris ?

V. G. – Les populations plus aisées ont malheureusement en effet encore tendance à aller chercher un avocat du barreau de Paris. Cette tendance tend à s’infirmer progressivement parce que nous sommes des combattants ! C’est un département dans lequel les gens sont solidaires. Avec une certaine sagesse, ils estiment qu’ils vivent ici, qu’ils y payent leurs impôts, et qu’il est donc normal qu’ils y mettent leur enfant à l’école ou qu’ils y cherchent un avocat !

LPA – C’est également un barreau engagé politiquement…

V. G. – Les avocats se mobilisent fortement à Bobigny. Nous étions nombreux, en 2015, pour dénoncer les délais de paiement de l’aide juridictionnelle. Nous avons récemment mis en place des actions en responsabilité de l’État pour dénoncer les délais de jugement des affaires familiales, qui étaient inacceptables. Nos clients nous demandaient : « Pourquoi les gens à Paris attendent seulement trois mois et nous quatorze ? ». La réponse est simple : nous avons neuf juges aux affaires familiales à Bobigny contre 20 à Paris pour le même volume d’activité. Devant la désespérance de nos clients, nous leur avons proposé de faire ces actions contre l’État. Elles leur appartiennent. Certains clients l’ont fait pour les autres, alors même qu’ils avaient fini par avoir leur jugement entre-temps. Vingt avocats ont accepté de travailler sans être payés pour participer à cette action.

LPA – Comment êtes-vous arrivée au barreau de Seine-Saint-Denis ?

V. G. – Tout simplement parce que je suis née dans ce département, et que j’y ai grandi. J’ai été à l’école au Blanc-Mesnil, au lycée à Aulnay-sous-Bois. Ensuite, j’ai été à la fac à Paris mais il était pour moi évident que je reviendrais dans le 93. Ce département, je le connais par cœur, je l’ai vu évoluer. Quand j’étais enfant, au Blanc-Mesnil, il y avait des champs, des petits pavillons… ça faisait un peu province. Pantin, Montreuil ou Aubervilliers, qui étaient les entrepôts de Paris, étaient en revanche plus dégradés. Aujourd’hui, la tendance s’est inversée : ce sont les villes à proximité immédiate du périphérique qui tirent le département. Je n’ai pas le souvenir de situations à l’époque telles que celle que l’on vit aujourd’hui. Tout le monde était Français, la question ne se posait pas. Les pères travaillaient, les gens n’étaient pas riches mais pas perdus. Le racisme était affiché, pourtant. Mais tout était plus léger. Aujourd’hui, il n’y a plus que les mères qui travaillent. Et leur travail est précaire. On voit les conséquences de cette dégradation tous les jours, lorsqu’on est avocat.

LPA – Votre métier a-t-il évolué aussi ? –

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