Le CNB déclare la guerre au site avocatdeconfiance.fr
Le Conseil national des barreaux (CNB) a adressé le 11 mai une mise en demeure à la société exploitant le site avocatdeconfiance.fr. par laquelle il lui enjoint de cesser son activité. Motif ? Le site enfreindrait plusieurs dispositions législatives, dont celles relatives à la protection des données et au secret professionnel.
C’est par un mail, les invitant à « revendiquer » leur page que de nombreux avocats ont découvert durant le confinement que le site avocatdeconfiance.fr référençait leurs coordonnées sans autorisation. En voici le texte :
Plusieurs ont exprimé leur colère sur les réseaux sociaux, en particulier quand ils se sont aperçu qu’on refusait de les supprimer du fichier. Le site propose trois prestations : un annuaire national (gratuit et forcé), une mise en relation (payante) et une notation. Ce n’est pas la première fois qu’une legaltech se lance sur ce créneau et que le CNB est appelé à intervenir, mais le mouvement semblait s’être calmé. L’apparition d’avocatdeconfiance.fr montre que la mise en relation fait toujours rêver les startuppers.
Pluie de protestations, injures et menaces
Ceux qui ont « revendiqué » leur page ont pu y mettre leur photo, le profil de leur cabinet et leur politique tarifaire. Certains ont déjà des notes. L’immense majorité des autres a une fiche avec seulement son nom et son adresse. La présence de professionnels décédés montre que l’annuaire utilisé n’est sans doute pas récent. « Cela fait 4 ans que je travaille sur ce projet, j’ai interrogé beaucoup d’avocats pour connaitre leurs besoins. Tous me répondaient que leurs abonnements aux plateformes leurs coutaient une fortune sans rien leur rapporter, j’ai donc conçu un modèle qui me permette de vivre et eux de trouver des clients » explique la fondatrice, une jeune startuppeuse nommée Charlène Gohaud. C’est en les alertant par mail de leur enregistrement sur mon site, conformément aux dispositions du RGPD, que j’ai reçu une pluie de protestions, injures et menaces alors que mes concurrents eux ne préviennent même pas » regrette-t-elle.
Pas de déréférencement possible !
Plusieurs choses font bondir les avocats, à commencer par la méthode consistant à les enregistrer sans leur consentement et surtout, ce qui est plus inédit, refuser les demandes de déréférencement. « On voit passer des caisses d’annuaires qui nous répertorient, mais jusqu’ici il suffisait de leur adresser un mail pour en sortir. Ce site non seulement me qualifie de spécialiste des baux commerciaux, ce que je ne suis pas, mais en plus m’empêche de me déréférencer et prétend me noter, c’est hors de question » s’insurge Jean-Yves Moyart. Ce pénaliste lillois et blogueur influent a attrapé un coup de sang sur Twitter à la réception du fameux mail lui proposant de « revendiquer sa page » et répondu vertement au site.
Ce qui lui a valu un mail en retour lui expliquant en substance que avocatdeconfiance.fr a un intérêt légitime à collecter ces informations car tel est son modèle économique et qu’en tout état de cause la démarche relève du droit à l’information des consommateurs. Charlène Gohaud s’en explique : « à partir du moment où je m’engage auprès des internautes à répertorier tous les avocats de France et leur permettre de les noter, si un avocat sort de l’annuaire je ne remplis plus mes engagements. Trip Advisor ne sort un restaurant que lorsqu’il ferme » précise-t-elle « et puis cela crée une rupture d’égalité entre les avocats qui sont dans l’annuaire et les autres ».
Une analyse à laquelle le CNB n’adhère pas du tout. L’un des motifs de la mise en demeure consiste précisément à dénoncer la méthode au regard du RGPD. Avocatdeconfiance.fr doit en effet démontrer que la constitution d’un fichier a une finalité explicite et légitime pour chacune des trois activités exercées : annuaire, mise en relation notation. Or cette démonstration n’est pas rapportée, estime le CNB. Selon Olivier Fontibus, président de la Commission de l’exercice du droit du CNB, le scénario, classique sous bien des aspects, comprend cependant une nouveauté. « Jusqu’ici aucun site d’intermédiation ne prétendait avoir la légitimité pour tenir un annuaire national de la profession d’avocat. Et en plus les fiches mises en ligne, sans autorisation des avocats, sont fausses puisqu’incomplètes par nature. Habituellement, seuls les avocats volontairement inscrits figurent sur les annuaires « privés » et peuvent donc être notés, selon en principe des règles strictes de transparence et d’objectivité ».
Les avocats n’aiment pas être notés
Sûre d’elle, et visiblement renseignée sur le terrain juridique même si, selon les avocats, certains raisonnements ne sont pas très orthodoxes, Charlène Gohaud estime que le sujet est ailleurs. «Le vrai problème c’est qu’ils refusent d’être notés, confie-t-elle. En effet la notation pose problème à l’avocat car le secret professionnel l’empêche de répondre à un client qui écrirait n’importe quoi. « On ne peut pas pratiquer la notation sans bouleverser les règles de confidentialité et de secret. Or, le secret est la pierre angulaire de la déontologie, si on y touche tout s’effondre » explique Didier Adjedj. « La notation interroge aussi l’indépendance. Est-on totalement libre en effet si on s’expose à des commentaires ? On nous répond qu’on notera la ponctualité et pas la stratégie choisie mais quel est l’intérêt de noter ce type de chose ? ».
C’est l’un des sujets sur lesquels avocatdeconfiance.fr prétend innover d’ailleurs. La notation est « vérifiée ». Le site déclare en effet n’autoriser une personne à noter un avocat que si elle apporte la preuve d’une relation effective. Las ! Ce mode de vérification fait bondir le CNB qui y voit une atteinte au secret professionnel. Comment en effet qu’on est réellement client, sauf à produire un échange de correspondance ? Or c’est une atteinte au secret professionnel. L’avocat a lui-même la faculté de répondre aux critiques, mais là encore, le secret s’y oppose formellement. Cette atteinte au secret professionnel est l’un des arguments développé dans la mise en demeure. Celle-ci évoque aussi la pratique commerciale trompeuse que pourrait constituer le fait d’invoquer la fiabilité de la notation alors que la procédure décrite n’apporte à ce sujet aucune garantie. Enfin, le CNB estime que le nom lui-même du site constitue un usage illicite du titre d’avocat dès lors que celui-ci est réservé aux professionnels ayant prêté serment et inscrit à un barreau.
Usage illicite du titre d’avocat ?
Reste un dernier problème, qui lui ne figure pas dans la mise en demeure, car depuis la jurisprudence Alexia il est acté que la déontologie de l’avocat n’est pas opposable aux tiers : la nature juridique de la commission perçue par le site. « Un justiciable peut demander à être mis en contact avec un avocat de son choix, à partir de ce moment-là, si l’avocat accepte, il achète les coordonnées du client au prix de 15 euros. La plupart des sites de BtoB prennent une commission d’apporteur d’affaires de 50 euros, je trouve cela beaucoup trop élevé, d’où le tarif que j’ai choisi de fixer » explique Charlène Gohaud.
Le problème c’est qu’un avocat n’a pas le droit de verser des commissions d’apporteur d’affaires. De même qu’il ne peut accepter un partage d’honoraires, comme le proposent certains sites qui prélèvent un pourcentage. Conséquence ? Les professionnels inscrits sur avocatdeconfiance.fr qui versent ces commissions sont en infraction avec le RIN. A ce sujet, le CNB vient de sortir un « Guide pratique de la participation des avocats aux plateformes en ligne détenues par des tiers » qui détaille les 10 questions à se poser avant de s’inscrire.
Certaines legaltechs se moquent du droit existant…
Par lettre recommandée AR en date du 11 mai, le CNB a mis en demeure la société exploitant le site avocatdeconfiance.fr de cesser cette exploitation, de lui communiquer la liste des avocats référencés et de lui rétrocéder le nom de domaine. L’institution a par ailleurs préparé un modèle de courrier qui permet à chaque avocat d’exercer son droit d’accès pour obtenir les informations nécessaires à l’exercice de ses autres droits (opposition, rectification, limitation, suppression, réclamation auprès de la CNIL…). «Certaines legaltechs se moquent du droit existant parce qu’elles ont au fond la conviction qu’elles vont faire bouger les lignes et changer la réglementation. Je pense qu’elles se trompent. La nouvelle économie n’est pas un secteur non-régulé et ne prétend pas l’être. Le gouvernement n’entend pas modifier les règles, lesquelles sont en outre eurocompatibles. C’est d’ailleurs ce qui explique sans doute la faiblesse de l’investissement dans les legaltechs en France » conclut Olivier Fontibus.
Référence : AJU66802