Le Conseil supérieur de la magistrature revendique une évolution de son statut

Publié le 10/07/2018

La présentation à la presse du rapport annuel du CSM, le 28 juin dernier, a été l’occasion pour les membres du Conseil d’exprimer leur déception à l’égard d’un projet de réforme constitutionnelle qui à leurs yeux ne va pas assez loin. Ils réclament l’autonomie du Conseil et espèrent à terme gérer entièrement les nominations de magistrats.

Pour Bertrand Louvel, président de la formation du siège du Conseil supérieur de la magistrature, le Conseil est « une institution hybride, inachevée ». Certes il garantit l’indépendance de la magistrature, mais son garant demeure le président de la République. Signe de cet « inachèvement », le CSM n’est pas un pouvoir public à part entière mais une simple mission au sein du ministère de la Chancellerie. Par ailleurs, ses décisions sont susceptibles de recours devant le juge administratif. Si Bertrand Louvel a choisi de débuter la présentation du rapport annuel à la presse, le 28 juin dernier, par cette réflexion sur le statut du CSM, c’est que la réforme constitutionnelle en cours d’examen est jugée décevante par les membres du Conseil. Lors de la rentrée solennelle de la Cour de cassation, le président de la République avait déjà prévenu qu’il ne couperait pas le lien entre le parquet et la Chancellerie. Il avait accepté en revanche d’aligner le statut du parquet sur celui du siège.

Finalement, le projet de réforme constitutionnelle accorde à la formation du parquet le pouvoir de sanctionner disciplinairement et non plus seulement de rendre des avis au garde des Sceaux qui prend la décision. Quant aux nominations des magistrats du parquet, certes elles évoluent, mais leur régime demeure distinct de celui des magistrats du siège. Le projet de loi prévoit en effet que toutes les nominations au parquet seront réalisées sur avis conforme du CSM, ce qui revient à entériner la pratique des gardes des Sceaux depuis 7 ans. La formation du siège, quant à elle, bénéficie d’une autonomie supplémentaire puisqu’elle propose les plus hauts postes que sont ceux de magistrats à la Cour de cassation et de chefs de cour et de juridiction. Les magistrats saluent l’avancée que constitue la réforme, tout en la jugeant très en-dessous de leurs espérances. À terme en effet, le CSM ambitionne de gérer entièrement la nomination des magistrats. Il souhaite aussi pouvoir rendre des avis sans être obligé d’attendre qu’on le saisisse et conquérir son autonomie budgétaire en accédant à la catégorie des pouvoirs publics. Mais ces objectifs semblent encore bien lointains…

Préoccupante mobilité

Ces précisions ayant été faites, la suite de la conférence de presse a été consacrée au traditionnel bilan de l’année écoulée. L’activité de nomination a encore été très soutenue en 2017 : 2 856 propositions du garde des Sceaux ont été examinées. Certes, parmi ces propositions figurent 700 dossiers concernant le changement de statut des juges de proximité consécutif à la loi organique du 8 août 2016. Mais même sans cela, le niveau élevé d’activité constaté depuis quelques années se confirme. Il s’explique par la très grande mobilité des magistrats. Chaque année en effet, c’est près d’un tiers du corps qui change d’affectation, ce qui inquiète le CSM car évidemment cela désorganise les services, entraîne des vacances de poste, incite les chefs de cour à des visions court-termistes… Pour lutter contre ce turn over, le Conseil publie 35 propositions qui s’articulent autour d’un approfondissement des raisons de ces mouvements, de mesures visant à encourager la stabilité et d’un renforcement des outils et de la politique de ressources humaines au ministère. Cette année, le solde net de magistrats, autrement dit le nombre de magistrats supplémentaires une fois décomptés le remplacement des départs en retraite, devrait s’élever à 147, étant précisé que la Chancellerie annonce qu’elle devrait avoir éradiqué les vacances de postes d’ici 3 ans.

Néanmoins, précise-t-on au CSM, il sera toujours nécessaire de gérer la mobilité en raison du différentiel d’attractivité entre les juridictions qui impose de gérer lors des nominations l’articulation complexe entre les désirs des candidats, les questions d’avancements et les besoins de juridictions… Parmi les autres constats relatifs aux nominations, le Conseil note cette année une relative désaffection des postes de chefs de cour et de juridiction ; les magistrats en revanche sont très demandeurs d’aller à la Cour de cassation. Il est à relever également que les fonctions pénales attirent plus que le civil. Ce serait lié en partie au cursus universitaire. Les civilistes s’orientent souvent vers le droit des affaires et partent naturellement ensuite en cabinet d’avocats ou en entreprises. Les pénalistes ont un choix plus restreint entre police-gendarmerie et magistrature. Certains y voient également l’influence pernicieuse des séries télévisées et notamment l’une d’entre elle jugée particulièrement néfaste, Le juge est une femme. Ce feuilleton met en scène une juge d’instruction qui enquête sur le terrain avec son policier préféré. Une présentation erronée du métier de juge d’instruction qui semble faire des ravages dans la représentation que se font les étudiants de cette fonction.

Toujours est-il que la désaffection du civil est si nette que la première présidente de la cour d’appel de Paris, Chantal Arens, s’en est ouvertement inquiétée lors de sa dernière rentrée solennelle, craignant à terme une pénurie de juges y compris dans sa cour.

Quand les justiciables enregistrent leur juge

Outre les nominations, la deuxième grande mission du CSM concerne la discipline des magistrats. Depuis la réforme constitutionnelle du 25 juillet 2008, les justiciables peuvent saisir directement le CSM s’ils estiment qu’un juge a commis une faute. Le problème, dénoncé chaque année par le Conseil, c’est que les intéressés confondent faute disciplinaire et voie de recours. Conséquence, sur les 245 plaintes enregistrées en 2017, 230 ont été examinées, parmi lesquelles 163 étaient manifestement irrecevables et 65 manifestement infondées. À l’arrivée, il n’en restait que deux dont finalement aucune ne justifiait de poursuites contre les magistrats concernés. Le CSM commence à envisager l’idée d’imposer le recours à un conseil, ne serait-ce que dans l’intérêt du justiciable qui aurait plus de chance de voir prospérer sa plainte. Les fonctions les plus exposées au siège sont le civil général, les affaires familiales et l’instruction. Quant au parquet, la moitié des plaintes sont liées à un classement sans suite.

Le CSM attire l’attention cette année sur des tendances plutôt inquiétantes. D’abord,  les justiciables utilisent de plus en plus les moteurs de recherche pour trouver des informations sur leur juge, ce qui les amène à saisir le CSM pour dénoncer des conflits d’intérêts fantaisistes, voire fondées sur des homonymies. Plus grave, certains justiciables enregistrent les audiences en cabinet, les audiences publiques, voire les entretiens téléphoniques et transmettent leur captation au CSM pour étayer leur plainte. Bien que cette pratique soit interdite, dans un cas, le CSM a usé du contrôle de proportionnalité et admis la recevabilité de l’enregistrement.

Face à ces nouveaux comportements, le CSM conseille aux magistrats de veiller à être particulièrement exemplaires et à faire preuve de prudence dans l’usage des réseaux sociaux. Accessoirement, de nombreuses plaintes trouvent leur source dans la rédaction des jugements. Gare aux petites pointes d’ironie dictées par le comportement irritant d’un justiciable. Elles peuvent être fort mal vécues et déclencher la plainte. Ce n’est pas du ressort du disciplinaire, mais le CSM incite les juges a rédiger avec prudence…

Révoqué pour dépendance à l’alcool

L’autre volet disciplinaire, plus classique, a donné lieu en 2017 à 5 décisions concernant un juge du siège et 2 relatives à un magistrat du parquet. Une décision a sanctionné une juge de proximité, avocate de son état, qui avait livré à un ancien client des informations sur une procédure pénale qu’elle était amenée à juger et dans laquelle son ancien client lui demandait d’être ferme. Le CSM a prononcé un blâme avec inscription au dossier. Un autre magistrat du siège a lui été révoqué en raison de sa dépendance à l’alcool qui l’avait conduit à divers débordements avec la police et ses collègues. Une magistrate du parquet a reçu un blâme pour avoir répandu des rumeurs sur de supposés conflits d’intérêts qui auraient influencé le traitement des dossiers par le procureur, mais aussi fait pression sur un enquêteur dans un dossier la concernant. Dans deux affaires sur sept, le CSM a constaté une faute disciplinaire mais n’a pas prononcé de sanction.

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