Responsabilité des magistrats : le CSM estime que la justice doit communiquer davantage

Publié le 29/09/2021

Mardi 28 septembre, le Conseil supérieur de la magistrature (CSM) a publié son rapport annuel et présenté en même temps à la presse l’avis remis vendredi au chef de l’Etat sur la responsabilité des magistrats. Parmi ses 30 propositions, le CSM recommande la création dans chaque juridiction d’un porte-parole. 

Magistrats assis en rang lors d'une rentrée solennelle
Photo : ©P. Cluzeau

Initialement, le CSM avait prévu mardi 28 septembre, comme chaque année de présenter son rapport d’activité, et calendrier oblige, pensait en profiter pour expliquer aux journalistes présents le contenu de l’avis rendu au chef de l’état le vendredi précédent sur la responsabilité des magistrats. Finalement, le rapport annuel est passé à la trappe et tout l’exposé s’est concentré sur cet avis.

Celui-ci est la réponse à la saisine du CSM par Emmanuel Macron le 17 février dernier sur la question de la responsabilité des magistrats. S’appuyant sur le faible nombre de sanctions disciplinaires prononcées chaque année (moins de 10 en moyenne pour un corps de 8000 professionnels environ), le président a demandé au CSM de lui adresser des propositions visant à  :

*améliorer l’efficacité de la saisine du CSM par les justiciables,

*redéfinir la faute disciplinaire pour y inclure éventuellement les comportements déplacés à l’audience,

* renforcer la protection des magistrats contre les attaques extérieures ainsi que le harcèlement en interne.

Rappels déontologiques

 L’avis (consultable en intégralité à la fin de cet article) comporte 32 pages et autant d’annexes.

Ses 30 propositions s’articulent autour de 4 thèmes : la déontologie, la détection des fautes, les poursuites, la protection des magistrats.

Cela fait plusieurs années que le CSM est le premier à déplorer le taux ridiculement bas des plaintes des justiciables débouchant sur une procédure disciplinaire (voir notamment notre article « Justice en Corse : le juge François-Marie Cornu s’explique devant le CSM pour la seconde fois »).  Motif ? De nombreux plaideurs y voient à tort une voie de recours supplémentaire. Par ailleurs, lorsque la plainte vise un cas unique de comportement déplacé, c’est insuffisant pour déclencher des poursuites. Une solution pourrait consister, lorsque les faits reprochés ne sont pas assez graves pour justifier une procédure disciplinaire mais nécessitent néanmoins une réponse, à accorder la possibilité à la commission de faire des rappels déontologiques.  Toujours au chapitre de la déontologie, Chantal Arens, première présidente de la cour de cassation et présidente de la formation du siège du CSM,  a rappelé que depuis 2010 il existe un recueil des obligations déontologiques, lequel a été mis à jour en 2019. L’évaluation des magistrats tous les deux ans et la déclaration d’intérêts permettent déjà d’évoquer les questions de déontologie, il pourrait être prévu d’inclure systématiquement la déontologie dans l’évaluation. Concernant les chefs de cour et de juridiction, Nicole Belloubet avait saisi le CSM d’une mission sur l’évaluation à 360° « nous y sommes favorables, mais par un organe dépendant du CSM » tient à préciser Chantal Arens.

Le deuxième volet de l’avis concerne la détection des manquements disciplinaires. En l’état, le CSM peut être saisi par le ministre, les chefs de cour et les justiciables. Ces-derniers on l’a vu échouent le plus souvent. Quant aux chefs de cour, depuis 2001 ils n’ont saisi le conseil que 17 fois. Pour rendre le système plus efficace, l’avis préconise que la saisine de l’inspection des services judiciaires, pour l’heure réservée au ministère, soit étendue à la commission des saisines et aux chefs de cour. Ainsi pourraient-ils, au même titre que le ministre, mener des enquêtes administratives et donc disposer d’informations plus nourries et pertinentes sur l’opportunité ou non de poursuivre.

Modifier le serment pour l’enrichir

Le troisième point, à savoir la faute disciplinaire, est le plus sensible. Dans sa lettre de mission, le président demandait des propositions concrètes permettant de faire entrer dans la définition de la faute des comportements déplacés à l’audience. Non sans avoir rappelé qu’il n’était pas question de revenir sur la sanctuarisation de l’acte juridictionnel.  En France en effet, comme dans la plupart des pays européens d’ailleurs, on ne peut rechercher la responsabilité disciplinaire d’un magistrat du fait d’un acte juridictionnel. Il ne s’agit cependant pas d’une immunité totale, rappelle l’avis. Le 8 février 1981 le CSM a posé la notion d’acte étranger à toute activité juridictionnelle lorsqu’un juge a « de façon grossière et systématique, outrepassé le cadre de sa compétence ou méconnu le cadre de sa saisine ». Par la suite, et dans le prolongement de l’affaire Outreau, l’alinéa 2 de l’article 43 de l’ordonnance de 1958 a été modifié pour introduire la notion de « violation grave et délibérée d’une règle de procédure constituant une garantie essentielle des droits des parties » dans le champ disciplinaire.

« Tout manquement par un magistrat aux devoirs de son état, à l’honneur, à la délicatesse ou à la dignité, constitue une faute disciplinaire.

Constitue un des manquements aux devoirs de son état la violation grave et délibérée par un magistrat d’une règle de procédure constituant une garantie essentielle des droits des parties, constatée par une décision de justice devenue définitive ».

Après avoir envisagé de faire évoluer l’aliéna 2 de l’article 43 en remplaçant « et » par « ou » dans l’expression « violation grave et délibérée » , le CSM y a finalement renoncé, estimant que l’équilibre actuel était satisfaisant au regard de la jurisprudence française et européenne. En revanche, il propose de réécrire le premier aliéna de l’article 43 en ajoutant une liste des devoirs (indépendance, impartialité, intégrité, loyauté….). De même, il propose une nouvelle version du  serment :

« Je jure de remplir mes fonctions avec indépendance et impartialité, de me comporter en tout comme un magistrat digne, intègre et loyal, de porter attention à autrui, de respecter le secret professionnel et celui des délibération ».

A la place de la formule actuelle :

« Je jure de bien et fidèlement remplir mes fonctions, de garder le secret des délibérations et de me conduire en tout comme un digne et loyal magistrat. »

Au chapitre des sanctions, l’avis préconise d’en rénover l’échelle actuellement « insuffisante dans sa variété et sa graduation « . En l’état,  le conseil de discipline ne peut interdire que les fonctions de juge unique et pour une durée maximale de 5 ans. Il est proposé d’étendre cette faculté aux postes de chefs de juridiction et de cours pour dix ans, voire également aux fonctions de (premier) vice-président (adjoint) et (premier)vice-procureur (adjoint).

« Communiquer est une exigence démocratique »

Quant à la protection fonctionnelle enfin, un sondage réalisé par le CSM révèle que 35% des magistrats ont subi une atteinte personnelle entre 2018 et 2020. Il y a bien sûr les insultes à l’audience, contre lesquelles les magistrats peuvent éventuellement agir, mais aussi des agressions sur les réseaux sociaux, particulièrement mal vécues car très difficiles à contrer. Outre une meilleure mobilisation des acteurs institutionnels et notamment la mise en place d’une politique pénale de poursuites des délits dont sont victimes les magistrats, le CSM est convaincu que les juridictions doivent développer la communication. Et pas seulement le parquet dans le cadre de l’article 11 du code de procédure pénale. L’idée du CSM consiste à ce que chaque chef de cour et de juridiction désigne un magistrat porte-parole.  « Communiquer est une exigence démocratique. La motivation ne suffit pas, il faut faire davantage pour expliquer le sens des décisions » a expliqué François Molins, procureur général près la Cour de cassation et président de la formation du parquet. Cette proposition est distincte du renfort annoncé par le ministère aux parquets sur la communication de crise via des agences de communication spécialisées. Il s’agit ici de communiquer à chaque fois que c’est nécessaire pour expliquer comment fonctionne la justice et, éventuellement, défendre un magistrat mis en cause (voir encadré).

Le président de la République lancera les Etats généraux de la justice le 18 octobre prochain. Peut-être s’exprimera-t-il alors sur le contenu de l’avis qui lui a été remis. Un sujet connexe ne pourra être passé sous silence. Il est d’ailleurs présent en filigrane au fil des pages de l’avis : celui des moyens. Certes, cela fait deux années de suite que le budget connait une croissance historique de 8%. Mais l’effort, aussi louable soit-il, n’a pas le pouvoir magique de rattraper des décennies d’insuffisance structurelle de crédits. Or tous les professionnels de la justice savent que les tensions actuelles et les dérapages déontologiques sont en grande partie liés à cette situation, aggravée par la crise sanitaire, le rythme frénétique des réformes et l’accroissement continuel du contentieux.

Analyse

L’emblématique affaire Sollacaro

En renonçant à sanctionner le magistrat dans l’affaire Sollacaro, le Premier ministre a déclenché la colère des avocats. Ce refus peut avoir deux explications. Première hypothèse :  le gouvernement a voulu couper court à tout soupçon de conflit d’intérêts sachant que l’actuel garde des sceaux a été proche de la famille Sollacaro. Deuxième hypothèse : on a décommandé au Premier ministre de sanctionner un magistrat par ailleurs très apprécié et dont tout le monde s’accorde à considérer que ce jour-là, il a « pété un câble » sans doute en raison du manque d’effectifs de la juridiction.

Il n’y a qu’un malheur, aurait plaidé un avocat célèbre, c’est qu’en s’abstenant de prononcer fut-ce une simple condamnation morale, le Premier ministre ainsi que le rapport de l’Inspection générale de la justice  sur lequel il se fonde valident plusieurs comportements discutables dans un état de droit  :

* la possibilité de juger un prévenu absent pour cause de Covid dans un procès de stupéfiants,

*l’expulsion d’un avocat de la salle d’audience au motif que ses propos lui auraient fait perdre sa qualité d’avocat,

*le jugement d’une dizaine de prévenus sans défenseurs,

*l’idée que des prévenus puissent être valablement défendus par des avocats parqués à l’extérieur de la salle d’audience.

Il ne faudrait pas que le manque de moyens en vienne à justifier le renoncement aux principes de l’état de droit.

De l’intérêt pour la justice d’apprendre à s’exprimer publiquement

Les magistrats, on le sait, sont astreints au devoir de réserve. Cela les empêche de se défendre quand ils sont publiquement attaqués, mais aussi de prendre la parole pour expliquer une décision de justice lorsqu’il apparait qu’elle n’est pas comprise par l’opinion. Or, plusieurs affaires médiatiques récentes auraient sans doute gagné à ce que la justice s’exprime pour « remettre les pendules à l’heure ».  Lors de la condamnation de Jérôme Kerviel en 2010 à rembourser 4,9 milliards d’euros à la Société Générale (soit le montant de la perte de trading qu’il a provoquée par ses placements frauduleux), la justice a été qualifiée de folle.  Si une autorité judiciaire avait pu à l’époque expliquer au public le principe de la réparation intégrale du préjudice pesant sur l’auteur d’une atteinte aux biens,  le scandale se serait éteint de lui-même. Cette affaire aurait d’ailleurs gagné à ce que tout au long de la procédure la justice intervienne pour rééquilibrer une présentation médiatique du dossier uniquement alimentée par l’ancien tracer.

De même, dans l’affaire Sauvage, personne n’a pu corriger à temps la présentation erronée des faits qui a enflammé l’opinion. On a soutenu en effet l’idée qu’en France lorsqu’une femme tue en état de légitime défense l’homme qui la frappe depuis près de 40 ans et qui viole ses filles, elle est condamnée à dix ans de prison. Or, il est judiciairement établi que Jacqueline Sauvage a tiré à plusieurs reprises dans le dos de son mari qui buvait un verre assis sur sa terrasse. Elle n’était donc pas en situation de légitime défense. Néanmoins, la présentation caricaturale des faits livrée au public a enflammé l’opinion et abouti à l’invalidation injustifiée de deux verdicts d’assises par une grâce présidentielle d’abord partielle puis totale. Ici les médias n’ont pas contribué à corriger un dysfonctionnement judiciaire comme c’est leur rôle, ils ont au contraire pulvérisé deux décisions parfaitement conformes au droit. Un naufrage que la justice aurait peut-être pu éviter en expliquant en amont pourquoi en France on n’a pas le droit de se faire justice soi-même….

avis du CSM sur la responsabilité des magistrats

 
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