« Le droit n’est pas une fin en soi pour les entreprises mais bien un outil »

Publié le 07/02/2019

Pour la septième année, le Club Droit et entreprise, regroupant les membres de la famille juridique des anciens diplômés d’HEC, et le bureau des juristes, association d’élèves d’HEC, décernaient le 16 novembre dernier le prix du juriste HEC. Cette édition était parrainée par Isabelle de Silva, présidente de l’Autorité de la concurrence. Ce prix a pour vocation de rassembler la communauté des juristes d’HEC et de mettre en avant des parcours inspirants. Nous avons rencontré Hortense de Roux, l’une des deux lauréates, associée en contentieux du cabinet Ashurst. Le jury a été sensible à la qualité de son parcours professionnel, combiné à un engagement associatif de longue date pour l’égalité homme-femme dans la sphère professionnelle.

Les Petites Affiches

Pouvez-nous vous présenter ce prix du juriste HEC que vous venez de recevoir ?

Hortense de Roux

C’est un prix initié par les étudiants du bureau des juristes de HEC pour récompenser le parcours d’un professionnel du droit qui est sorti de l’école il y a moins de 15 ans. Ces étudiants font une sélection puis échangent avec le Club Droit et entreprise pour identifier les finalistes qui sont ensuite contactés pour se voir proposer de participer. S’il accepte, le candidat doit rédiger une profession de foi qui permet au jury du prix de choisir les finalistes qu’il souhaite rencontrer puis de voter pour le ou les lauréats. Ce n’est pas vous qui candidatez, c’est la communauté qui vous choisit, ce qui est extrêmement plaisant.

LPA

Que représente ce prix pour vous ?

H. de R.

C’est un prix honorifique, qui récompense votre début de carrière. Car treize ans d’activité, ce n’est qu’un début pour une carrière d’avocat ! C’est un bel encouragement, qui fait du bien car nous évoluons dans un milieu qui nous amène à nous remettre en question tous les jours. Il arrive pour moi à un moment d’épanouissement professionnel. Je suis arrivée chez Ashurst en mars dernier après avoir passé 12 ans chez Jones Day. J’ai eu le plaisir que les personnes qui travaillaient avec moi, que ce soient mes clients ou mes collaborateurs, acceptent de me suivre dans cette nouvelle aventure. Ce prix vient donc confirmer une série de signaux très positifs et encourageants. Je le vois aussi comme une reconnaissance de la communauté d’HEC, ce qui est significatif pour moi, car je suis très attachée à cette école qui a été une étape importante de mon parcours.

LPA

Que vous a apporté HEC ?

H. de R.

Je suis rentrée à HEC après une maîtrise de droit à Assas par le concours d’admission directe. Ce furent trois années décisives. J’ai fait à HEC de très belles rencontres, avec des gens d’horizons différents, puisqu’il y a beaucoup d’étudiants étrangers, mais qui partagent des valeurs communes. J’avais voulu intégrer cette grande école pour sortir du monde du droit et m’ouvrir à d’autres horizons. Finalement, aussi surprenant que cela puisse paraître, c’est en intégrant une école de commerce que j’ai réalisé que je voulais bel et bien être avocate ! Mais la formation dont j’ai bénéficié me permet de comprendre les enjeux économiques, et de savoir que le droit n’est pas une fin en soi pour les entreprises mais bien un outil. Passer par HEC constitue une grande richesse sur le plan humain également. Il règne sur le campus de Jouy-en-Josas une culture du « give back » très importante. Il est naturel pour la communauté d’HEC de donner son temps pour des associations, des causes, des projets, des gens moins privilégiés… Cela m’a ouvert les yeux. En sortant d’HEC, je me suis très vite impliquée sur les questions d’égalité homme-femme, un combat que je porte encore aujourd’hui.

LPA

Pouvez-vous nous présenter votre métier ?

H. de R.

Je suis associée au sein du cabinet Ashurst, un cabinet d’avocats international dont le siège est partagé entre Londres et Sydney. Nous sommes quinze associés à Paris, dont deux pour ce que l’on appelle la résolution des litiges. Je suis en charge du contentieux des affaires tandis qu’une autre associée s’occupe des procédures d’arbitrage. J’ai une équipe dédiée composée d’un collaborateur junior, d’un collaborateur senior et d’un stagiaire. Nous travaillons pour des clients présents dans des secteurs très variés : j’assiste, par exemple, régulièrement un groupe de prêt à porter français avec une forte activité à l’international, un des leaders de l’informatique américain, des institutions financières, des acteurs de l’énergie, de l’aéronautique… Je fais principalement du droit des obligations, mais je suis amenée à travailler sur des problématiques très variées : c’est l’une des choses que je trouve passionnante dans ce métier. J’accompagne les entreprises tout au long de leur vie : je peux intervenir sur des problématiques d’approvisionnement, de responsabilités produits, d’acquisitions, de concurrence déloyale, de compliance pour des dirigeants ou des entreprises… Naturellement, cela implique d’être très présent – et vraiment disponible – pour ses clients. L’activité contentieuse peut entraîner de véritables urgences.

LPA

Vous militez également pour l’égalité entre hommes et femmes. En quoi consiste cet engagement ?

H. de R.

Deux ans après ma sortie d’école, j’ai eu envie de redonner à la communauté HEC qui m’avait tant apporté. Je me suis donc impliquée dans l’association des anciens, HEC Alumni, et suis devenue bénévole pour HEC au féminin, qui est la commission qui traite des problématiques spécifiques aux carrières féminines. J’ai également intégré le comité éditorial de la revue et suis devenue membre élue du comité – équivalent du conseil d’administration d’HEC Alumni – en 2014. Je représente depuis la même année HEC au sein du bureau de Grandes écoles au féminin, une association fondée en 2002 par dix grandes écoles françaises, parmi lesquelles X, l’ENA, Sciences-Po… J’en suis devenue la présidente en novembre dernier. Grandes écoles au féminin est un think thank qui œuvre à faire bouger les lignes concernant l’égalité homme-femme, d’une part par le biais d’études auprès de la base des diplômés, d’autre part en réunissant régulièrement les acteurs de la vie économique et politique, généralement à l’heure du petit-déjeuner, pour discuter des questions d’égalité au travail. Dans les derniers invités, nous avons eu Élisabeth Moreno, PDG de Lenovo France, Mounir Mahjoubi, secrétaire d’État en charge du Numérique, Jean-Dominique Sénard, président du groupe Michelin, Gilles Pelisson, PDG de TF1, Pierre Gattaz, aujourd’hui président de Business Europe…

LPA

Que ressort-il des études menées par Grandes écoles au féminin ?

H. de R.

Nous interrogeons les diplômés, une population qui a été formée pour occuper des postes à responsabilité et qui a a priori toutes les cartes en mains pour agir, afin de réfléchir sur ces sujets structurants pour la société. Il me semble normal que nous, qui sommes dans des positions privilégiées et disposons de moyens d’action, œuvrions pour le bien commun. Nous en sommes à la septième étude qui porte sur les codes et l’exercice du pouvoir. Pour la première fois, nous constatons que les réponses sont peu genrées, diffèrent peu selon qu’elles proviennent d’un homme ou d’une femme. Il y a une convergence sur le rejet du pouvoir tel qu’il existe aujourd’hui et sur le fait que la mixité est un des éléments permettant de faire évoluer les choses, non pas simplement par le genre du dirigeant mais par la mixité des équipes.

LPA

Qu’en est-il de l’égalité au sein de la profession d’avocat ?

H. de R.

L’égalité homme-femme est loin d’être acquise de manière globale et le barreau ne fait pas exception. Me Marie-Aimée Peyron a lancé une campagne de sensibilisation en 2018 et avait étudié de près la situation à cette occasion. Il en ressortait que 75 % des élèves de l’École de formation du barreau sont des femmes. Largement majoritaire pendant ces années d’études, elles ne sont pourtant plus que 54 % des inscrites au barreau de Paris. Leur visibilité continue de décroître pendant les années qui suivent : les femmes ne représentent ainsi que 34 % des avocats associés et dans les cabinets d’affaires, seules 17 % des associés sont des femmes. On est donc encore loin des 40 % de femmes imposées au conseil d’administration des grandes entreprises ! En tant que jeune associée d’un cabinet d’affaires, je ne peux qu’être sensible à ces questions. Au sein d’Ashurst, c’est un sujet qui est pris très au sérieux, nous sommes aujourd’hui 24 % de femmes associées, et l’objectif à court terme est de passer à 33 %.

LPA

Vous faites donc partie des happy few… comment avez-vous réussi ?

H. de R.

J’ai toujours su ce que je voulais faire, mais voyant le peu d’avocates associées autour de moi, je me rends compte que ce n’était pas évident d’être là où je suis aujourd’hui. C’est difficile de dire à quoi cela tient. Sans doute au sérieux du travail, mais aussi aux bonnes rencontres, aux bons moments. Exercer cette profession ne m’a pas empêché d’avoir trois enfants qui ont aujourd’hui entre deux et huit ans. Combiner vie de famille et vie professionnelle demande une bonne organisation, mais c’est possible ! Le moment du congé maternité est certes délicat : nous nouons un lien très fort avec les clients, et il faut savoir gérer cette absence pendant quatre mois. On peut, en revenant, sentir les effets de l’adage « loin des yeux, loin du cœur ». C’est évidemment plus facile lorsque vous êtes dans une structure importante, avec de vraies équipes qui jouent le jeu et sont à même de prendre efficacement le relais.

LPA

La communauté d’HEC considère votre parcours comme inspirant. Comment le prenez-vous ?

H. de R.

J’en suis très fière ! Je n’avais pas imaginé me retrouver dans cette situation de « role-model ». J’ai moi-même été inspirée par certaines personnes, si je peux inspirer à mon tour, j’en suis très heureuse. Dans mes premiers jours chez Ashurst, une collaboratrice est venue me dire que c’était inspirant pour elle de voir que j’étais associée. Je crois que tout le monde a besoin de modèles pour pouvoir se projeter. Si je peux contribuer à cela, tant mieux. Si j’avais quelque chose à transmettre, ce serait sans doute l’importance de l’authenticité. J’ai toujours fait des choix de cœur et privilégié le fait de travailler pour des gens avec qui j’avais des affinités et des valeurs communes. Je crois que vos employeurs comme vos clients ressentent l’engagement et l’authenticité.