116e Congrès des notaires de France

Le mineur et la société civile

Publié le 29/09/2020

Vincent Prado, notaire à Châteauneuf d’Ille-et-Vilaine et rapporteur de la 1re commission du 116e Congrès des notaires relative à la protection des personnes vulnérables, analyse la situation du mineur associé d’une société civile.

La possibilité pour un mineur d’être associé d’une société civile est admise depuis longtemps par la doctrine et la jurisprudence. Pourtant la présence d’un mineur au sein d’une telle société peut poser des difficultés.

La société civile s’est largement développée ces dernières décennies car elle constitue le support de nombreuses stratégies de constitution et de transmission de patrimoine. La souplesse de son régime juridique et fiscal autorise des utilisations très variées. Combinée avec les techniques de l’endettement et du démembrement de propriété, la société civile permet d’organiser la constitution et la transmission d’un patrimoine mobilier et immobilier. Cette société dont l’usage s’est banalisé n’est pas réservée à une clientèle particulière et elle est devenue un mode ordinaire de détention de biens immobiliers.

La société civile peut ainsi être utilisée afin de constituer et transmettre un patrimoine au mineur. La doctrine considère unanimement qu’un mineur non émancipé peut faire partie d’une telle société. En raison de la responsabilité indéfinie de ses associés, cela pouvait ne pas aller de soi. L’acquisition de la qualité d’associé du mineur n’a jamais été contestée lorsque les parts sociales lui échoient par succession. Dans la mesure où ce mode d’acquisition subie et inorganisée n’était pas contesté, il aurait été contradictoire de la lui refuser lorsque la transmission est anticipée et organisée.

Cependant, selon chaque mode d’acquisition des titres sociaux, des conditions particulières doivent être observées. Le mineur peut entrer au capital d’une société civile, aux termes d’un acte de volonté, soit lors de la constitution de la société, soit lors d’une augmentation de capital. Il n’est pas inutile de rappeler que la société est un contrat et qu’elle suppose par conséquent la capacité juridique de contracter. Cette difficulté n’est pas insurmontable car l’incapacité du mineur non émancipé est une incapacité d’exercice et non de jouissance1. Le droit des sociétés et le droit de l’administration légale et de la tutelle doivent se combiner et cette articulation varie selon la nature des apports réalisés. Si les apports portent sur des biens immobiliers ou des valeurs mobilières et instruments financiers, l’autorisation préalable du juge des tutelles est nécessaire2. Cependant concernant l’apport en numéraire, la loi ne contient aucune disposition spécifique. Son régime juridique varie selon sa qualification et il convient de rechercher, selon la nature et l’importance l’opération, si l’opération constitue un acte d’administration ou de disposition par référence au décret du 22 décembre 2008. Des parts de société civile peuvent également advenir à un mineur par donation dont l’acceptation constitue en principe un simple acte d’administration. Les administrateurs ou le tuteur peuvent accepter cette donation pour le compte du mineur, sans autorisation judiciaire préalable. Ces titres sociaux peuvent également lui échoir par succession dont l’acceptation et le règlement se déroulent sous le contrôle du juge des tutelles.

On peut cependant s’interroger sur la nécessité d’obtenir systématiquement, quel que soit le mode d’acquisition des parts sociales, l’autorisation préalable du juge des tutelles. En raison de l’obligation illimitée des associés au règlement du passif social, la question est légitime et l’on pourrait considérer que, pour cette seule raison, l’entrée d’un mineur dans une société à responsabilité illimitée constitue un acte de disposition3. L’article 2 du décret n° 2008-1484 du 22 décembre 2008 définit les actes de disposition comme « les actes qui engagent le patrimoine de la personne protégée, pour le présent ou l’avenir, par une modification importante de son contenu, une dépréciation significative de sa valeur en capital ou une altération durable des prérogatives de son titulaire ». Certains auteurs estiment que si la société civile n’est pas fermée aux mineurs, la protection de leur patrimoine devrait toutefois conduire à subordonner leur entrée au sein du groupement à une autorisation du juge des tutelles4. Or nous avons vu que selon le mode d’acquisition des parts sociales, la loi n’impose pas de requérir systématiquement cette autorisation judiciaire. Il en résulte des applications différentes des règles de droit selon les praticiens et selon les juridictions. La prudence doit cependant être rappelée. Certains auteurs5 et certains CRIDON estiment d’ailleurs que l’autorisation préalable du juge des tutelles doit être systématiquement obtenue avant de faire entrer un mineur dans une société civile.

Dès lors que la qualité d’associé lui est reconnue, le mineur se trouve titulaire des mêmes droits mais également des mêmes obligations que n’importe quel autre associé, notamment l’obligation illimitée à la dette sociale. Le droit des sociétés s’applique prioritairement et la minorité ne créée pas une catégorie particulière d’associé. Pourtant son état de vulnérabilité qui justifie son régime de protection impose des règles particulières. Il convient donc d’analyser de quelle manière sa présence impacte le fonctionnement de la société. Nous distinguerons les conséquences, sur le régime de l’administration légale et de la tutelle, de l’écran de la personnalité morale (I) et de l’obligation illimitée au passif (II).

I – L’écran de la personnalité morale

La société civile constitue une personne morale distincte de ses associés, titulaire d’un patrimoine qui lui est propre et organisée par des règles de fonctionnement qui lui sont également propres. La présence d’un associé mineur pose la question de l’articulation du droit des sociétés et du droit de l’administration légale et de la tutelle en matière de représentation de l’associé mineur (A) et également de la gouvernance de la société (B).

A – La représentation de l’associé mineur

L’exercice des droits d’associé par l’administrateur ou le tuteur – La qualité d’associé d’une société civile donne vocation à exercer les droits attachés aux parts : droits politiques (information, droit de demander une expertise de gestion, participation aux assemblées générales et droit de vote), droits financiers (droit au dividende) et droits patrimoniaux (droit de céder ses parts). L’ensemble de ces droits sont exercés pour le compte du mineur, soit par l’administrateur soit par le tuteur, selon les règles applicables à chaque régime de protection. Deux questions méritent d’être approfondies.

Le droit de vote exercé pour le compte de l’associé mineur – Avant la réforme mise en œuvre par la loi n° 2007-308 du 5 mars 2007, l’exercice du droit de vote en assemblée générale était qualifié d’acte d’administration. Le décret n° 2008-1484 du 22 décembre 2008 a modulé cette qualification en fonction de la décision à prendre par l’assemblée générale. Ce décret précise dans son annexe 2 colonne 2 que certaines décisions prises en assemblées constituent des actes de disposition : reprise des apports, modification des statuts, prorogation et dissolution du groupement, fusion, scission, apport partiel d’actifs, agrément d’un associé, augmentation et réduction du capital, changement d’objet social, emprunt et constitution de sûreté, vente d’un élément d’actif immobilisé, aggravation des engagements des associés. Depuis cette modification, les modalités d’exercice du droit de vote varient selon la nature de la décision soumise à la délibération et au vote de l’assemblée générale. Dorénavant pour déterminer qui a la qualité pour exercer le droit de vote pour le compte de l’associé mineur, il convient de qualifier préalablement la décision.

Si elle ne relève pas de la liste ci-dessus, elle constitue un acte d’administration et le droit de vote peut être exercé par le tuteur seul ou un administrateur légal seul même si l’administration légale est exercée par les deux parents.

Cependant, si la décision relève de la liste ci-dessus, elle constitue un acte de disposition. Si le mineur est placé sous le régime de la tutelle, son tuteur doit préalablement obtenir l’autorisation du conseil de famille. Si le mineur est sous le régime de l’administration légale, il convient de distinguer deux catégories d’actes de disposition. Si la décision soumise au vote de l’assemblée générale relève de la liste des actes visés à l’article 387-1 du Code civil, le ou les administrateurs doivent préalablement obtenir l’autorisation du juge des tutelles. Il s’agit notamment de la vente d’un immeuble ou de l’apport en société d’un immeuble, de l’emprunt ou de la réalisation d’un acte portant sur des valeurs mobilières ou instruments financiers. La liste de l’article 387-1 n’est pas reprise dans sa totalité et il convient de s’y reporter. Nous signalons les cas qui peuvent se produire le plus fréquemment dans les sociétés civiles. Si la décision soumise au vote de l’assemblée générale ne relève pas de la liste des actes visés à l’article 387-1 du Code civil, l’exercice de ce vote constitue un acte de disposition dit « libre6 » que les administrateurs peuvent réaliser sans l’autorisation préalable du juge des tutelles. Si l’administration légale est exercée par un administrateur unique, il pourra agir seul et si elle est exercée par les deux administrateurs, ces derniers devront agir conjointement.

Est-ce que l’autorisation préalable du juge des tutelles est obligatoire pour autoriser la vente ou l’emprunt par la SCI lorsque l’un des associés est mineur ? Comme nous venons de le voir, le décret du 22 décembre 2008 impose la saisine préalable du juge des tutelles pour autoriser le tuteur ou l’administrateur légal à voter lors d’une assemblée générale réunie à l’effet de statuer sur la vente d’un actif de la société ou l’emprunt au nom de la société. Ces règles de procédure qui imposent un contrôle au fond dans l’intérêt du mineur alourdissent le fonctionnement de la société civile. Selon les juridictions, la décision du juge des tutelles peut intervenir plusieurs mois après la requête des administrateurs. Ces délais sont souvent incompatibles avec la vie des affaires et les contraintes du marché. La souplesse de fonctionnement qui est souvent mise en valeur dans la société civile est totalement ruinée par cette disposition. La prise de décision collective en assemblée générale se trouve soumise à l’intervention du juge des tutelles. La société civile perd ici l’un de ses plus beaux atours.

Est-il possible de contourner cet obstacle en attribuant au gérant tous les pouvoirs y compris celui de disposer des biens de la société ou de souscrire tout type d’engagement, notamment des emprunts ? La souplesse du régime juridique de la société civile permet effectivement d’attribuer à la gérance les pouvoirs les plus étendus. Cette attribution à la gérance, en vertu des statuts, de tous les pouvoirs, y compris de passer tous les actes de disposition, est licite. Nous verrons dans la partie suivante que la jurisprudence fait prévaloir le droit des sociétés. La minorité ne créé pas une catégorie spéciale d’associé. Le droit des sociétés et les statuts sociaux s’appliquent à tous les associés de façon identique, quand bien même ils seraient mineurs. Cette clause d’attribution de pouvoir à la gérance est donc opposable aux mineurs et à son administrateur.

L’articulation de ces deux règles révèle cependant un paradoxe. Le décret précité impose la saisine du juge des tutelles pour autoriser l’administrateur à voter en assemblée générale mais les statuts pourraient librement écarter cette saisine en attribuant tous les pouvoirs à la gérance. Il est en effet paradoxal que la liberté contractuelle exprimée dans des statuts puisse dispenser aussi simplement et sans aucune autre garantie, de respecter des dispositions d’ordre public destinées à protéger les personnes vulnérables. La responsabilité est le corollaire nécessaire et indispensable de la liberté. Les parents administrateurs et leurs conseils doivent être prudents avant d’engager des enfants mineurs dans des sociétés qui ne leur offrent pas des garanties et des protections suffisantes. Nous recommandons une certaine tempérance et un esprit de responsabilité dans l’utilisation de telles clauses statutaires en présence d’associé mineur.

Le conflit d’intérêts – Nous avons déjà évoqué l’hypothèse d’un conflit d’intérêts entre le mineur et son administrateur lors de la souscription au capital d’une société civile familiale. Les hypothèses de conflit d’intérêts pendant la vie de la société sont également multiples. Pour assurer l’équilibre des pouvoirs dans le fonctionnement de la société civile, la loi prévoit que la collectivité des associés contrôle la gérance. Ce contrôle s’exerce de plusieurs manières. Chaque année le gérant doit rendre compte de sa gestion par la production de documents comptables et d’un rapport de gestion, l’ensemble étant soumis au vote de la collectivité. Par ailleurs, les associés peuvent être amenés à autoriser la gérance à réaliser des actes particuliers qui excèdent ses pouvoirs. Enfin, les associés ont la possibilité de consulter les archives de la société, de poser des questions écrites à la gérance voire de requérir une expertise de gestion.

Dans les sociétés civiles de famille dans lesquelles l’administrateur de l’associé mineur pourrait être désigné gérant, les hypothèses de conflit d’intérêts sont nombreuses. En cas de mauvaise gestion des affaires sociales par la gérance, les droits de l’associé mineur permettant de contrôler cet organe de direction sont alors illusoires. De la même manière, au sein de la collectivité des associés réunissant les parents et les enfants, il peut arriver que leurs intérêts d’associés soient opposés. Dans ce cas l’administrateur légal, qui peut être associé majoritaire, se trouve en conflit d’intérêts avec son enfant mineur, associé minoritaire. Un administrateur ad hoc devrait donc être désigné, ce qui complique sensiblement le fonctionnement de la société.

B – La gouvernance de la société civile

La liberté d’organiser la gouvernance de la société civile – La liberté d’organiser la gouvernance de la société civile est l’une de ses qualités essentielles largement recherchée par les praticiens. Les statuts répartissent librement les pouvoirs et les compétences de la gérance et de la collectivité des associés. Ainsi la combinaison des clauses relatives à l’objet social et aux pouvoirs du gérant permet d’attribuer à ce dernier de larges pouvoirs : acquérir, vendre, emprunter, constituer des garanties. Les pouvoirs du gérant peuvent s’étendre bien au-delà de la simple administration courante et lui permettre d’engager le patrimoine social et indirectement le patrimoine personnel des associés.

Cette utilisation de la société civile permet d’une certaine façon de constituer, de fait, une fiducie en démembrant la propriété d’une manière originale : distinction de la propriété en tant qu’élément de richesse et en tant que droit exercé sur un bien. Le gérant se trouve investi des pouvoirs les plus larges sur le patrimoine social, qu’il administre pour le compte des associés.

La collision avec l’administration légale et la tutelle – L’article 387-1 du Code civil dispose que l’administrateur légal ne peut, sans l’autorisation préalable du juge des tutelles, réaliser un certain nombre d’actes de disposition (notamment disposer d’un immeuble, emprunter, constituer une sûreté pour garantir la dette d’un tiers). Les conséquences de ces actes peuvent être extrêmement graves pour le mineur et le législateur a donc estimé qu’ils ne pouvaient être réalisés sans contrôle judiciaire préalable.

Sur ce point, la collision entre la liberté du droit de la société civile et l’ordre public de la protection des mineurs est frontale. Selon les statuts, la collectivité des associés, voire le gérant seul, peut vendre ou acquérir des biens immobiliers, emprunter et constituer des garanties réelles ou personnelles engageant le patrimoine social et les associés personnellement.

La primauté du droit des sociétés sur le droit des incapacités – La question de l’articulation de ces deux corpus juridiques ou de la primauté de l’un se pose. Au nom de la protection du mineur, le juge des tutelles doit-il s’inviter dans le fonctionnement de la société et passer outre l’écran de la personnalité morale ? Au contraire, est-ce que l’être moral annihile cette protection au nom de l’autonomie de ses règles de fonctionnement ? Une doctrine a estimé que si « l’objet de la société civile est (…) d’acquérir un immeuble, il ne serait pas absurde de soutenir que par voie d’analogie, il conviendrait de recueillir l’accord du juge des tutelles, obligation qui s’imposerait d’autant plus lorsqu’il y a lieu de contracter un emprunt pour cette acquisition7 ». En effet, le mineur étant tenu indéfiniment des dettes de la société et donc de l’emprunt contracté, une telle autorisation semblerait requise. Cette analyse qui se fonde davantage sur l’esprit des textes que sur leur lettre, n’a pas été suivie par la Cour de cassation.

Par une décision du 14 juin 2000, la Cour a tranché. L’accord du juge des tutelles n’est pas nécessaire pour la souscription d’un emprunt par une société civile même si un mineur est associé majoritaire8. Il s’agit d’une stricte application des textes. En droit, l’emprunteur est la société civile et non le mineur. Il en résulte que l’article 387-1 du Code civil ne s’applique pas et que la société civile peut emprunter librement, sans autorisation judiciaire. Imposer l’autorisation préalable du juge reviendrait à nier la personnalité morale. Si la solution posée par la Cour de cassation est conforme à la lettre de la loi, elle n’est cependant pas à l’abri de critiques car l’écran de la personnalité morale est faiblement opaque en matière de société civile, spécialement en raison de l’obligation illimitée au passif social.

Équilibre et responsabilité – La jurisprudence a indiqué que les règles de fonctionnement de la société civile prévalent sur les règles de l’administration légale et de la tutelle. Elle n’a pas validé les opérations faisant prendre des risques inconsidérés à un mineur, sources de dommage pour lui. Il convient, à notre sens, de conserver une certaine mesure dans l’utilisation des sociétés civiles avec des mineurs pour deux raisons. Les montages destinés à empêcher l’application d’une protection légale au profit d’une personne vulnérable peuvent être constitutifs d’une fraude. Par ailleurs, la responsabilité illimitée de l’associé mineur pose réellement une difficulté dans le fonctionnement de la société civile. Si un associé mineur subissait un préjudice par l’utilisation mal maîtrisée de cette société, des responsabilités devront être établies. L’administrateur et le tuteur devront rendre des comptes. Il en sera de même de leurs conseils dont la responsabilité pourra être recherchée pour défaut de conseil.

Mineur

II – L’obligation illimitée au passif

L’obligation illimitée des associés au passif social constitue la principale difficulté de la présence d’un associé mineur. Avant de préciser sa situation particulière à cet égard (B), nous rappellerons le régime légal de cette obligation (A).

A – Le régime légal de l’obligation illimitée au passif

Le régime de l’obligation illimitée aux dettes sociales – L’article 1857 du Code civil dispose qu’« à l’égard des tiers, les associés répondent indéfiniment des dettes sociales à proportion de leur part dans le capital social à la date de l’exigibilité ou au jour de la cessation des paiements ». Les associés d’une société civile sont responsables du passif social au-delà de leurs apports et de façon illimitée sur leurs biens personnels. Cette obligation n’est cependant pas solidaire et les associés peuvent opposer aux créanciers les bénéfices de discussion et de division.

D’une part, l’obligation à la dette des associés est subsidiaire. Un créancier social ne peut agir personnellement contre les associés que s’il a « préalablement et vainement poursuivi la personne morale »9. Cela suppose au minimum une mise en demeure de la société et une tentative d’exécution, notamment une saisie, demeurée infructueuse. La jurisprudence est globalement protectrice des intérêts des associés : un commandement de payer ne suffit pas10, l’inscription d’une hypothèque11 ou un procès-verbal de recherches infructueuses non plus12. Une sauvegarde ou un plan de redressement ne rend pas non plus nécessairement vaine la poursuite. Cependant « dans le cas où la société est soumise à une procédure de liquidation judiciaire, la déclaration de la créance à la procédure dispense le créancier d’établir que le patrimoine social est insuffisant pour le désintéresser13 ».

D’autre part, cette obligation à la dette est conjointe, proportionnelle à la part de chaque associé dans le capital social à la date de l’exigibilité de la dette sociale ou au jour de la cessation des paiements. Ainsi un créancier qui doit recouvrer une dette sociale à l’encontre des associés personnellement doit les poursuivre tous individuellement. Les créanciers sociaux ont donc intérêt à doubler la garantie légale d’un cautionnement contractuel.

Le fondement de l’obligation illimitée aux dettes sociales – L’engagement indéfini des associés d’une société civile demeure attaché à la qualité d’associé. Cet engagement imposé par la loi aux associés est, bien que proche par ses effets d’un cautionnement, d’une nature distincte. Elle résulte de la nature particulière des sociétés de personnes. Cependant l’étude de la jurisprudence démontre une évolution du fondement et de la nature de cette obligation au passif social. La jurisprudence a admis qu’un associé puisse former tierce opposition au jugement qui avait fixé une créance dans une instance engagée contre une société civile avant l’ouverture de sa liquidation judiciaire mais alors que cette société était précisément représentée par un liquidateur judiciaire14. Elle a même reconnu la faculté de former tierce opposition à l’associé d’une société civile in bonis15. Selon une doctrine16, cette jurisprudence accrédite l’idée que c’est la qualité de garant qui fonde la possibilité de mettre en œuvre cette voie de recours, qui devrait lui être refusée si l’on ne prenait en compte que sa qualité d’associé.

Si cette analyse était validée, on devrait considérer que l’obligation au passif social n’est pas simplement un effet légal de la qualité d’associé. L’acquisition de la qualité d’associé, quel que soit le mode, emporte la souscription d’un engagement de garantie des dettes de la société considérée comme un tiers. Pour un mineur, cela signifierait que l’autorisation préalable du juge des tutelles soit obligatoire en toutes hypothèses d’acquisition de la qualité d’associé, sur le fondement de l’article 387-1 du Code civil.

B – La situation de l’associé mineur

Un risque aggravé pour le mineur – Les hypothèses de mise en œuvre de l’obligation au passif des associés en société civile sont multiples. La doctrine envisage habituellement la dette bancaire contractée pour financer un investissement immobilier mais il en existe bien d’autres. Une société civile immobilière peut être amenée à construire, louer et vendre des biens immobiliers. Ces activités peuvent être génératrices d’obligations à l’égard d’un locataire (obligation de réaliser des travaux, de verser une indemnité d’éviction), à l’égard d’un acquéreur (obligation de livraison, obligation de garantie et d’éviction, voire une garantie décennale lorsque la société a la qualité de maître d’ouvrage). Ces activités immobilières génèrent par ailleurs quelques impôts et taxes et donc une responsabilité fiscale. Enfin il peut arriver que le schéma d’organisation patrimoniale du chef d’entreprise ne se déroule pas tout à fait comme prévu. Il est courant de séparer le fonds de commerce, exploité dans une société commerciale et les locaux professionnels détenus par une SCI et loués à la société commerciale. La procédure de liquidation judiciaire qui frappe la société commerciale peut être étendue à la société civile, notamment dans l’hypothèse d’une confusion de patrimoine. Ce risque n’est pas théorique et la jurisprudence récente l’a encore démontré17.

Les activités d’une société civile, souvent présentées comme simplement patrimoniales, peuvent en réalité être sources d’obligations à la charge de la société et indirectement de ses associés. L’entrée d’un associé mineur dans une société civile lui fait donc courir un risque aggravé de responsabilité de nature à entraîner sa ruine avant de prendre en main sa vie d’adulte.

La limitation jurisprudentielle de la responsabilité du mineur – Pour limiter les effets ravageurs de la responsabilité illimitée d’un associé à l’égard d’un mineur, la jurisprudence a posé quelques tempéraments.

Elle a d’abord sanctionné la fraude. La création d’une société civile ne saurait en effet être motivée par une volonté de contourner les règles de protection des mineurs, en particulier lorsqu’un emprunt est contracté. Le procédé révèle la fraude sanctionnée par la nullité de la société18. Dans ce cas, la responsabilité du prêteur pourra être engagée s’il a participé au montage frauduleux et l’associé mineur pourrait ne pas répondre de la dette ainsi contractée par la société19.

La jurisprudence a également limité la portée de l’emprunt bancaire contracté par une société civile à l’égard des associés mineurs20. La Cour de cassation a approuvé les juges du fond d’avoir retenu la responsabilité d’une banque ayant consenti un prêt à une société civile immobilière constituée avec des enfants mineurs sans s’être assurée que ces derniers, encourant un risque élevé de se retrouver personnellement débiteurs, avaient bénéficié de la protection qui leur était due en raison de leur état de minorité. C’est donc sur le terrain du devoir de conseil du banquier qu’est assurée la protection du débiteur. Cette obligation impose au banquier de vérifier la situation de l’emprunteur, notamment par la consultation des statuts et de l’extrait K bis de la société. Il convient de préciser que la responsabilité du banquier n’est engagée qu’en raison des risques d’endettement pesant sur le mineur. Par conséquent, l’appréciation de la faute du banquier dépendra notamment du montant emprunté et de la proportion du capital détenu par le mineur.

Les aménagements statutaires de la responsabilité de l’associé mineur – La responsabilité indéfinie aux dettes sociales est attachée légalement à la qualité d’associé mais les statuts peuvent aménager ses modalités.

Les statuts sociaux peuvent d’abord aménager le régime de l’obligation à la dette, c’est-à-dire les rapports des associés vis-à-vis des créanciers, en limitant ou supprimant la responsabilité d’un associé mineur. Les statuts peuvent contenir une clause stipulant que le gérant ne pourra conclure un acte qu’après avoir obtenu la renonciation du créancier à poursuivre un associé mineur. Cette limitation des pouvoirs du gérant est inopposable aux tiers et sa violation entraînera uniquement la mise en jeu de la responsabilité du gérant.

Les statuts sociaux peuvent également aménager le régime de la contribution à la dette, c’est-à-dire dans les rapports entre associés, en modulant le principe de la répartition des pertes proportionnellement à la participation au capital. La seule limite demeure la prohibition des pactes léonins. Une répartition des pertes non proportionnelle aux apports voire une responsabilité limitée aux apports au bénéfice d’un associé mineur est donc envisageable. Cette clause a cependant une portée limitée aux relations entre associés et demeure inopposable aux créanciers qui pourront toujours poursuivre un associé mineur.

La renonciation des créanciers à poursuivre un associé mineur – Ces clauses statutaires destinées à limiter voire supprimer la responsabilité de l’associé mineur sont totalement inefficaces car inopposables aux créanciers. On pourrait conclure qu’elles ont tout de même le mérite d’exister. On peut également supposer qu’elles induisent les administrateurs de l’associé mineur en erreur en leur faisant croire que le problème est résolu et leur enfant protégé. Il n’en est rien. La seule protection efficace du mineur consiste en la renonciation des créanciers à le poursuivre individuellement. Cette renonciation résulte de la négociation et dépend des conditions particulières de chaque affaire. Elle reste donc rare en pratique et elle ne peut concerner que les dettes contractuelles et prévisibles.

Une évolution de la loi ? – La question de la responsabilité illimitée du mineur associé d’une société civile inquiète la doctrine et les praticiens depuis longtemps. Le 80e Congrès des notaires de France avait en son temps dénoncé les lacunes du droit des incapacités devant les dangers pesant sur l’associé d’une société civile21. Trente-cinq ans plus tard, la question demeure entière. Avec un brin d’audace, un auteur a proposé de résoudre cette épineuse question par un remède drastique : déclarer l’associé mineur irresponsable des dettes sociales sur son patrimoine personnel22. Cette proposition est intéressante et devrait être approfondie afin de faire évoluer la loi dans le sens de la protection de l’associé mineur.

Notes de bas de pages

  • 1.
    F. Magnin, « La société civile immobilière et le mineur », LPA 22 nov. 1999, p. 4.
  • 2.
    C. civ., art. 387-1.
  • 3.
    J. Delgado et J. Piedelièvre, « Réflexions sur les sociétés civiles face au mineur », JCP N 1995, 601, spéc. n° 15.
  • 4.
    E. Naudin, « La protection de l’associé mineur d’une société civile immobilière face aux emprunts contractés par la société », Dr. famille 2006, étude 26, n° 4.
  • 5.
    M. Laroche, « Le mineur en société civile », Defrénois 15 janv. 2010, n° 39049, p. 34.
  • 6.
    V infra.
  • 7.
    Cass. 1re civ., 14 juin 2000, n° 98-13660 : Defrénois 30 nov. 2000, n° 37261, p. 1315, note J. Massip.
  • 8.
    Cass. 1re civ., 14 juin 2000, n° 98-13660 : Defrénois 30 nov. 2000, n° 37261, p. 1315, note J. Massip ; Defrénois 30 avr. 2001, n° 37348, p. 528, note J. Honorat ; BJS nov. 2000, n° 272, p. 1090, note D. Randoux ; RJ com. 2001, p. 90, note D. Gibirila.
  • 9.
    C. civ., art. 1858.
  • 10.
    Cass. 3e civ., 23 avr. 1992, n° 90-17529 : Rev. soc. 1992, p. 763, note B. Saintourens.
  • 11.
    Cass. com., 20 nov. 2001, n° 99-13894 : Dr. soc. 2002, comm. 35, obs. T. Bonneau.
  • 12.
    Cass. 3e civ., 26 oct. 2017, n° 16-24134 : Gaz. Pal. 3 avr. 2018, n° 319y1, p. 73, note E. Casimir.
  • 13.
    Cass. ch. mixte, 18 mai 2007, n° 05-10413 : RJDA 2007, p. 766, note A. Besançon ; BJS nov. 2007, n° 316, p. 1174, note F. Pérochon ; Rev. soc. 2007, p. 620, note J.-F. Barbiéri ; JCP E 2007, 2119, note P. Pétel.
  • 14.
    Cass. com., 26 mai 2010, n° 09-14231 : JCP E, 2010, 1861, note R. Perrot.
  • 15.
    Cass. 3e civ., 6 oct. 2010, n° 08-20959 : Bull. civ. III, n° 180 ; BJS févr. 2011, n° 61, p. 120, note F-X. Lucas.
  • 16.
    P. Le Cannu, B. Dondero, Droit des sociétés, 7e éd., 2018, Précis Domat, p. 942, n° 1426.
  • 17.
    CA Paris, 5, 8 nov. 2018, n° 17/15587.
  • 18.
    Cass. com., 10 janv. 1970, n° 68-13415 : RTD com. 1970, p. 736, obs. R. Houin.
  • 19.
    E. Naudin, « La protection de l’associé mineur d’une société civile immobilière face aux emprunts contractés par la société », Dr. famille 2006, étude 26, spéc. n° 6.
  • 20.
    Cass. 3e civ., 28 sept. 2005, n° 04-14756, obs. M. Strock : Banque et droit janv.-févr. 2006, p. 46.
  • 21.
    80e Congrès des Notaires de France, « Le notariat et les personnes protégées », Versailles, 27 au 30 mai 1984, p. 260, nos 159 et s.
  • 22.
    E. Naudin, « La protection de l’associé mineur d’une société civile immobilière face aux emprunts contractés par la société », Dr. famille 2006, étude 26, spéc. n° 12.
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