Le ministère de la Justice s’engage pour l’égalité femme-homme

Publié le 07/05/2019

Le 7 mars dernier, veille de la Journée des droits des femmes, la ministre de la Justice, Nicole Belloubet, et la Haute fonctionnaire à l’égalité femmes-hommes, Isabelle Rome, avaient convié la presse à un point sur l’égalité dans les professions judiciaires. Une matinée marquée par deux temps forts : la présentation d’un baromètre de l’égalité, permettant de dresser un état des lieux précieux de la situation des femmes au sein du ministère de la Justice, et le dévoilement d’un texte pour une parole non sexiste, signé à l’issue de la conférence par 27 présidents et présidentes de juridictions.

En cette veille de journée du droit des femmes, le rendez-vous était donné dans un lieu hautement symbolique : le site Olympe de Gouges, à la frontière du nord parisien et d’Aubervilliers. Un clin d’œil évident à l’auteure de la Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne, qui, en 1791, rappela que « puisque la femme a le droit de monter à l’échafaud elle doit avoir également celui de monter à la tribune ».

Ce jour-là, plusieurs femmes montèrent effectivement à la tribune : Isabelle Rome, nommée Haute fonctionnaire à l’égalité femmes-hommes en juin 2018, Ombeline Mahuzier, présidente de l’association Femmes de justice, Véronique Malbec, secrétaire générale du ministère de la Justice, et enfin, Nicole Belloubet, garde des Sceaux. Une fois n’est pas coutume, les hommes étaient relégués sur les bancs du public, d’où ils écoutaient attentivement la bonne parole délivrée par leurs supérieures.

Le baromètre de l’égalité

Isabelle Rome fut la première à prendre la parole pour présenter le baromètre de l’égalité, un très minutieux travail de statistiques réalisé avec l’aide des référents du ministère qui composent le comité femmes-hommes. Très appliquée, elle s’est d’abord astreinte à définir ses objectifs et sa méthode. Haute fonctionnaire à l’égalité femmes-hommes, sa mission trouve son origine dans une circulaire du Premier ministre, qui, en 2012, demandait à chaque ministère de désigner en son sein un ou une haute fonctionnaire pour promouvoir l’égalité. Elle est chargée, d’une part, de mettre en œuvre la politique du ministère en faveur de l’égalité et, d’autre part, de coordonner le plan d’action interministériel dans le domaine de la lutte contre les violences faites aux femmes. Son action pour l’égalité, dictée par le ministère, se concentre sur quatre axes : améliorer l’accès des femmes aux responsabilités, veiller à une meilleure féminisation des titres et des fonctions, parvenir à un meilleur équilibre entre vie professionnelle et personnelle, renforcer la mixité au sein des métiers de la justice et notamment l’attractivité de la magistrature pour les hommes.

Après s’être présentée, la Haute fonctionnaire a ensuite détaillé de manière très précise et exhaustive les chiffres de ce premier baromètre. « Ce qui se dégage, c’est que la justice est une institution féminisée », a-t-elle résumé en guise d’introduction. Chiffres à l’appui, les femmes sont en effet majoritaires à peu près partout. Il y a, en France, 66 % de femmes magistrats, 84 % de femmes dans les services de greffe, 62 % de femmes à la protection de la jeunesse, 61 % de femmes à l’inspection générale, 53 % de femmes au secrétariat général du ministère. La profession de magistrat, notamment, est largement féminisée et cette tendance continue à s’accentuer. Sur les 8 536 magistrats en poste, 66 % sont des femmes. La dernière promotion qui a pris ses fonctions en septembre 2018, en compte même 75 %. Malgré ces chiffres, conclure que les femmes ont pris toute leur place au sein de l’institution serait une erreur. « Il y a également une dynamique commune à tous ces domaines : plus on monte dans la hiérarchie, plus la place des femmes diminue », a précisé Isabelle Rome. Ainsi, au sein de la direction des services judiciaire, qui compte plus de 31 000 agents, dont 79 % de femmes, 81 % sont en catégorie C, et 50 % en catégorie A.

Ce baromètre, a poursuivi la Haute fonctionnaire, fait apparaître de manière très nette l’existence d’un plafond de verre. « On se rend compte qu’il y a un décrochage à partir de la tranche d’âge 45-49 ans chez les femmes. Cet écart n’est jamais rattrapé jusqu’à l’âge de la retraite ». Par voie de conséquence, les femmes sont moins présentes aux postes à responsabilités les plus élevées. On dénombre ainsi, au siège, 31 % de premières présidentes, 34 % de présidentes hors hiérarchies. Même tendance au parquet, où très peu de femmes son procureur hors hiérarchie. « Elles sont 12 en nombre et représentent 22 % des procureurs HH », a précisé la Haute fonctionnaire. Au sein du secrétariat général, composé de 53 % de femmes, le nombre de femmes diminue également au fur et à mesure que l’on monte les barreaux de l’échelle hiérarchique. Elles sont ainsi 72 % en catégorie C mais 37 % seulement en catégorie A. Ce baromètre, s’il met en relief cette réalité, donne également des raisons d’être optimiste. « Au siège, on a un doublement des femmes qui occupent des postes élevés sur 7 ans, entre 2011 et aujourd’hui. Au parquet, le nombre de procureures générales a triplé en 7 ans. Elles sont passées de 5 à 15 », a ainsi souligné Isabelle Rome.

Même au sein de l’administration pénitentiaire, seul service judiciaire où les femmes sont en minorité, la situation évolue. Seuls 35 % des 38 260 agents sont des femmes, avec des pics de la présence masculine à plus de 70 % dans la catégorie A + et dans la catégorie C. La tendance est en revanche inversée par rapport à celle de la magistrature. « Plus on monte en hiérarchie, plus le pourcentage de femmes est élevé », a assuré Isabelle Rome. « Chez les chefs d’établissement, on a une mixité : 42 % de femmes dirigent des établissements. Elles sont aussi majoritaires dans les services pénitentiaires d’insertion et de probation (SPIP), dans toutes les catégories. Chez les directeurs d’insertion et de probation la part des femmes augmente ». Quant à l’École nationale de la magistrature, si elle n’a jamais été dirigée par une femme, son équipe de direction est composée de 62 % de femmes.

Pour expliquer le déséquilibre qui persiste au sein des fonctions à hautes responsabilités, Isabelle Rome a pris appui sur le travail effectué par « femmes de justice ». Cette association, dont la présidente allait ensuite prendre la parole, a montré que les femmes candidatent moins que les hommes aux postes les plus élevés. « 35 % candidatent aux postes de premières présidentes, 45 % aux postes de présidentes. Au parquet, 15 % sont candidates aux postes de procureur hors hiérarchie », a détaillé la haute fonctionnaire, précisant qu’il y a une équivalence entre le nombre de nominations proposées et le nombre de candidatures.

Des axes d’amélioration

Une fois cet état des lieux chiffré posé, Isabelle Rome a évoqué les axes sur lesquels il fallait désormais travailler pour favoriser la mixité : lutte contre les stéréotypes, amélioration de la carrière des femmes, amélioration de la conciliation entre vies professionnelles et personnelles, encouragement de la mixité dans les métiers de la justice. « Lutter contre les stéréotypes, c’est d’abord inculquer une culture de l’égalité par des formations, des sensibilisations nombreuses. Un partenariat est déjà engagé avec deux des écoles : l’École nationale de la magistrature et l’École nationale des greffes ». Ces partenariats devraient être bientôt étendus à l’École nationale de protection judiciaire de la jeunesse et à l’École nationale d’administration pénitentiaire, a-t-elle développé. C’est aussi la promotion d’une parole non sexiste. « C’est tout le sens du lancement du texte pour une parole non sexiste », a-t-elle affirmé, annonçant le texte qui allait être signé en fin de rencontre.

Accompagner la carrière des femmes

Pour mieux accompagner la carrière des femmes et « réduire l’autocensure », elle a encouragé à développer le processus de revue des cadres. « Il faut sensibiliser les chefs de cours et de juridictions et les chefs de service sur le contenu et l’importance des entretiens d’évaluation pour le repérage et la valorisation des compétences, comme l’incitation à postuler à un poste plus élevé et à construire un plan de carrière », a-t-elle détaillé. Elle a par ailleurs annoncé que des mesures, telles que le travail à domicile pour les magistrats du parquet, devraient être instaurées au cours des prochains mois pour permettre une meilleure conciliation entre vie personnelle et professionnelle.

Avant de passer la parole, Isabelle Rome a tenu à évoquer la situation des femmes victimes de violences. « On ne peut pas parler d’égalité femme-homme si on ne parle pas des violences subies par les femmes. On n’aura jamais d’égalité tant qu’autant de femmes seront victimes de violences de toutes sortes », a-t-elle souligné, avant de rappeler les principales mesures prises par le ministère dans le cadre de cette lutte contre les comportements violents : mise en place du téléphone grand danger, stage pour les conjoints violents mis en place dans plusieurs juridictions, formations conjointes de fonctionnaire de police et de magistrat au recueil de la parole des femmes.

Ombeline Mahuzier, présidente de Femmes de justice, a ensuite pris la parole et prononcé un discours, à la fois personnel et militant.

Elle a commencé par une anecdote datant de sa première prise de poste, expliquant qu’elle fut alors, sur les documents officiels, qualifiée d’une « Mademoiselle » suivie de son nom de jeune fille et de sa fonction, « substitut du procureur ». « Le titre est au masculin, actionnant le schéma mental inconscient que la fonction est masculine, mais la personne qui l’occupe est qualifiée de demoiselle », a-t-elle décrypté. « Comment incarner l’égalité, l’autorité, la sagesse des magistrats et la force de la loi quand sans crier gare, dans l’univers mental de son interlocuteur, il s’allume un bouquet de pâquerettes ? C’est dire toute l’importance des mots dans les représentations mentales, l’importance majeure que représente la communication non sexiste pour faire évoluer les mentalités ».

Ombeline Mahuzier a salué l’avancée constituée par la publication du baromètre, espérant qu’il soit « une pierre d’angle ajoutée aux fondations de l’édifice qui mènera notre ministère vers plus d’égalité ». « Jusqu’ici, les sources étaient éparses et les chiffres officiels manquaient », a-t-elle précisé.

La féminisation des titres et fonctions judiciaires

Elle s’est ensuite consacrée à la présentation du texte sur la féminisation des titres et fonctions judiciaires, qui allait être proposé à la signature à la fin de l’événement. L’association, qui milite de longue date pour la féminisation des titres et fonctions judiciaires, a naturellement été sollicitée pour travailler de concert sur ce texte portant sur la féminisation des titres des fonctionnaires du ministère de la Justice. « Le ministère de la Justice avait besoin d’une impulsion forte pour se fixer de nouveaux objectifs ambitieux et fédérer les femmes et les hommes du ministère autour de cette ambition inclusive. Nous souhaitons donc que cet engagement marque un cap dans la culture de la parité au sein du ministère », a-t-elle souligné, avant d’ouvrir d’autres pistes de réflexion pour poursuivre ce chemin vers la parité : « la communication non verbale, la représentation visuelle, la mémoire des grandes femmes magistrates, la bibliographie, la composition des colloques et des équipes de direction », a-t-elle énuméré.

L’égalité dans la gestion des RH

C’est ensuite Véronique Malbec, première femme à assurer la fonction de secrétaire générale du ministère de la Justice, qui prit la parole. Elle a rappelé que les mesures prises dans le monde judiciaire s’inscrivaient dans un cadre plus général, et que l’égalité entre les hommes et les femmes avait été déclarée par le président de la République « grande cause nationale » pendant la durée du quinquennat. « Le gouvernement mène une politique volontariste, comme en témoigne la signature de l’accord majoritaire du 30 novembre 2018 dans la fonction publique. Je rappelle que le rapport de l’Inspection générale de la Justice, relatif à la féminisation des métiers du ministère de la Justice d’octobre 2017, contenait déjà plusieurs recommandations en faveur de l’égalité professionnelle. Parmi celles-ci, un axe essentiel. Celui d’inscrire la politique de l’égalité femme-homme comme fondamentale dans la gestion des RH dans l’ensemble du ministère ». Elle a précisé que le ministère de la justice allait s’engager avant la fin de l’année vers l’égalité dans sa politique de ressources humaines par le biais d’un label qui récompensera l’exemplarité des pratiques dans ce domaine. « L’intérêt est double : améliorer la gestion des ressources humaines et inscrire le ministère dans l’État exemplaire », a-t-elle commenté. Elle a par ailleurs annoncé qu’elle allait conduire un projet d’accord sur l’égalité professionnelle au ministère de la Justice. « Il s’agit de décliner les accords interfonction publique du 8 mars 2013 en les adaptant aux spécificités de notre ministère. Le projet pourrait contenir 6 axes principaux : consolider le rôle des acteurs du dialogue social dans le domaine de l’égalité, renforcer la gouvernance, assurer une égalité effective entre hommes et femmes dans les rémunérations et les parcours professionnels, garantir une meilleure conciliation entre vie professionnelle et vie personnelle, renforcer la prévention des violences faites au personnel sur leur lieu de travail, lutter contre le harcèlement et les agissements sexistes », a-t-elle décliné, estimant que ce « programme ambitieux » viendrait appuyer la démarche portée par Isabelle Rome.

Quatrième femme à prendre la parole, la garde des Sceaux, Nicole Belloubet vint conclure ce colloque. « J’ai beaucoup de plaisir à vous avoir écouté les unes et les unes présenter les actions que vous avez déjà accomplies et que vous continuez à porter ». Elle a salué les avancées déjà obtenues, rappelé « qu’aujourd’hui l’Assemblée nationale est constituée de 40 % de femmes. Ce qui est encore insuffisant mais le plus haut pourcentage jamais atteint », rappelé à son tour une réalité révélée par le baromètre : « Les prétoires de nos cours accueillent 66 % de magistrates et 90 % de greffières, les prisons sont dirigées de façons mixtes, les services éducatifs sont largement féminisés. Le ministère de la Justice avec 65 % de femmes dans ses effectifs est une institution très largement féminisée ».

Elle s’est ensuite intéressée à ce qu’il reste à faire « pour donner aux femmes les mêmes opportunités de carrière ». « Le chef de l’État ayant rappelé à de nombreuses reprises qu’il fallait faire de l’égalité femmes-hommes une grande cause nationale, j’ai souhaité en faire une priorité de mon ministère », a-t-elle précisé. « Je suis convaincue que la mixité contribue à parfaire l’image d’impartialité de la justice », a-t-elle insisté.

Elle a, à son tour, salué le « travail très utile, précieux et bien construit » que constitue le baromètre, qui marque d’après elle « un pas important », et permet d’identifier « les blocages sur lesquels nous allons devoir travailler ». Elle a rappelé les mesures prises par le ministère en faveur de l’égalité : outre la nomination d’Isabelle Rome, un Comité femme homme a été installé, et une circulaire incitant à la féminisation des titres, grades et fonctions a été signée dès octobre 2018 pour que le ministère et les juridictions s’approprient la circulaire du Premier ministre en date de novembre 2017 en l’adaptant à leurs corps de métiers. « Il faut parfois que l’oreille se fasse à de nouvelles appellations. Les choses viennent ensuite de manière naturelle », a souligné la ministre. Nicole Belloubet a ensuite rappelé qu’elle avait cherché à renforcer la répression des viols en allongeant les délais de prescription par la loi du 3 août 2018, et à mieux lutter contre les violences faites aux femmes par la création du « téléphone grave danger », avec 800 postes sur l’ensemble du territoire en 2018, et la création de dépôt de plainte en ligne.

Vers une parole non sexiste

Elle a ensuite invité vingt-sept personnalités à signer le texte d’engagement pour une parole non sexiste. Les hommes reprirent alors succinctement place à la tribune, le temps de signer ce texte engageant à mettre en place une parole non sexiste dans les présentations des grades et des fonctions, mais aussi dans l’accompagnement de carrière et les échanges, ainsi qu’à veiller à lutter contre les représentations sexistes et à composer des panels d’intervenants mixtes lors des colloques et conférences. « Ce texte d’engagement que nous signons aujourd’hui n’est que la première pièce d’un édifice que nous allons continuer à construire ensemble », a précisé Nicole Belloubet, annonçant d’ores et déjà que le prochain chantier serait celui de la conciliation entre vie personnelle et vie professionnelle. « Nous avons déjà fait des progrès. Chaque petit pas compte. De cette manière, ensemble, nous construisons véritablement la justice », a-t-elle encouragé. Hasard du calendrier ou signe d’un changement profond de la société, ce texte fut rendu public quelques jours après que l’Académie française eut pris position pour la féminisation des noms de métiers.

X