Le SAF arme les avocats pour lutter contre la mise en œuvre de la loi Travail

Publié le 13/01/2017

Le Syndicat des avocats de France (SAF) a tenu le 3 décembre dernier, à Paris, son colloque annuel intitulé : « Loi Travail, la parer, s’en emparer », à l’initiative de la commission droit social du syndicat. Venus de toute la France, les participants – environ 260 personnes, selon le syndicat – étaient animés par un même objectif : trouver dans le droit des moyens de continuer à défendre les salariés, malgré une loi Travail jugée régressive. Une journée de débat très intense, suivie par un public studieux. Compte-rendu des discussions de la matinée, consacrées à la défense de la cause réelle et sérieuse et à un appel à mobiliser les textes internationaux.

Malgré l’heure matinale, l’amphithéâtre I de Tolbiac est plein à craquer en ce premier samedi de décembre. Emmitouflés dans de grosses écharpes de laine, une centaine d’avocats, de juristes et de conseillers prud’homaux ont bravé le froid hivernal pour prendre place sur les bancs bondés de la faculté. Un café encore chaud à la main, ils arrivent à neuf heures pile pour écouter attentivement des interventions dans une ambiance de cours magistral. Bons élèves aux tempes grisonnantes, ils noircissent à grande vitesse les pages de leurs carnets de notes, tels des étudiants appliqués.

En dépit de cette atmosphère détendue, le ton, lui, était bien au « combat ». Tous les intervenants de la matinée ont commencé par le même constat : la nécessité de trouver, dans le droit, des armes pour continuer de défendre les droits des salariés, lésés par la loi Travail. Le programme du rendez-vous annonçait clairement la couleur. « La loi a été promulguée. Nous devons désormais l’appliquer, tout en envisageant, lorsque cela est encore possible, de la contester. Nous devons aussi explorer les voies permettant de s’appuyer sur certaines mesures pour tenter de développer, acquérir ou revendiquer des droits nouveaux pour les travailleurs. Dans tous les cas, il nous faudra comme toujours faire œuvre d’inventivité et d’esprit combatif », stipulait le communiqué du SAF, invitant les participants à venir « construire les outils de la riposte ».

Modérés par l’avocate Judith Krivine, les débats de la matinée ont porté sur la mobilisation des droits fondamentaux et sur la défense de l’exigence de causes réelles et sérieuses pour licencier. Vers neuf heures et demie, Nicolas Moizard, professeur à l’université de Strasbourg, est le premier à prendre la parole. Il invite l’assemblée à invoquer les droits fondamentaux pour défendre ceux du salarié. « J’ai des conventions de l’Organisation internationale du travail, le droit de l’Union, la question prioritaire de constitutionnalité… qu’est-ce qui est mobilisable ? L’idée est d’apporter aux juges nationaux des éléments qui vont leur donner des appuis pour motiver leurs jugements », explique l’universitaire. « Le droit de l’Union, c’est du droit national », rappelle-t-il en tapant sur la table. La démarche des avocats, précise-t-il, doit avoir une double dynamique : à la fois contrer la loi en faisant invalider certaines de ses dispositions, mais aussi proposer la concrétisation de certains droits. Attention cependant, prévient-il, à ne pas se faire prendre à son propre jeu et obtenir l’inverse de ce que l’on escomptait. « Il arrive qu’une juridiction supranationale rende une décision peu progressiste, qui risque alors d’avoir des conséquences négatives sur les conseils des prud’hommes ». La cour de justice (CJCE), par exemple, n’aurait selon lui pas bonne presse. « Il lui arrive encore de rendre des décisions très audacieuses, mais elle a tendance à privilégier la liberté d’entreprendre. Il faut toujours mesurer le risque de réversibilité de la décision ».

Lui succèdent deux « invitées surprise », Anne Braun et Véronique Lopez-Rivoire, respectivement responsables des services juridiques de la CGT et de FO. À l’unisson de l’amphithéâtre, elles ne décolèrent pas contre cette loi Travail, « qui vise à mettre en avant la négociation alors qu’elle n’a fait l’objet d’aucune négociation. Beaucoup de dispositions ont été apprises par voie de presse… », rappellent les deux femmes en chœur. Anne Braun annonce, en continuation du combat contre la loi Travail, une « pluie de recours à venir, dans toutes les directions possibles. Le Conseil d’État, la QPC, les prud’hommes… on fera feu de tout bois ! ». Véronique Lopez-Rivoire, sa collègue de FO, confirme. « Vous connaissez l’adage : les lois ne s’usent que si l’on ne s’en sert pas », assène-t-elle avec conviction.

En deuxième partie de matinée, Savine Bernard, avocate au barreau de Paris, intervient sur la nécessité de défense de l’exigence de causes réelles et sérieuses lors des procédures de licenciement. Pédagogique, elle commence par un petit historique de cette notion, relativement récente puisqu’elle n’apparaît qu’au détour d’une loi datant du 23 mai 1973. « Auparavant, il appartenait au salarié de rapporter la preuve du caractère abusif du licenciement, ce qui était évidemment extrêmement difficile. Autrement dit, il suffisait de dire au patron : “Je licencie” ». La charge de la preuve a fini par être inversée, mais la loi portée par Myriam El Khomri contribue à détricoter, selon elle, cette avancée gagnée de haute lutte. Débit rapide, elle s’enflamme : « Depuis 2010 et 2016, sous couvert de préservation de l’emploi, la loi assouplit les conditions du licenciement économique. Il y a un point de bascule dans la nouvelle loi. Il n’y a plus d’obligation de reclasser. L’employeur peut se contenter de proposer un seul poste. Face à cela, nous avons des angles d’attaques : le poste proposé prend-il en compte la proposition de la médecine du travail ? Le reclassement n’est-il pas discriminatoire ? ». Quelques minutes plus tard, lors des échanges avec la salle, Maude Beckers, avocate en droit social du barreau de Seine-Saint-Denis, se lève pour nuancer l’exposé qui vient d’être fait. D’après elle, le nombre de propositions ne fait rien à l’affaire, certains employeurs pouvant sciemment faire plusieurs propositions inadéquates. La question restera ouverte. Fidèle à lui même, le SAF réfléchit, agite des idées, débat… quitte à perdre, en cours de route, les quelques non spécialistes présents dans la salle.

Dernier intervenant de cette session, Cyril Wolmark, jeune enseignant-chercheur de l’université de Paris Nanterre, met en lumière une disposition de la loi passée relativement inaperçue : l’introduction du principe de neutralité dans l’entreprise. « Comme vous le voyez, l’article 2 précise que le règlement intérieur peut contenir des dispositions imposant le principe de neutralité », entame le trentenaire, PowerPoint du texte à l’appui. « Cela a tout l’air du bon sens. Car en effet, qui ne saurait comprendre que la liberté n’est pas absolue ? », feint de concéder l’universitaire, avant de mieux démonter l’argument. « Il faut se méfier des apparences, car il s’agit là d’un article de rupture, lourd de menaces. Cela va a l’encontre de la laïcité telle qu’elle est définie par la loi de 1905, qui prévoit que la neutralité de l’État soit au service de la liberté de conscience. La laïcité en sort plus qu’écornée, l’article est techniquement inutile et symboliquement dangereux. La menace que fait planer cet article ne concerne pas seulement les salariés religieux. La loi l’étend à toutes les convictions : religieuses, politiques, éthiques. Elle permet ainsi à l’employeur d’étendre son pouvoir. Cela va a l’encontre de la loi de 1982 qui visait à réduire l’arbitraire patronal ».

Après un déjeuner au CROUS, exceptionnellement ouvert un samedi, l’après-midi est consacrée à la défense du droit à la santé et au respect du temps personnel. Il faut parfois s’accrocher pour suivre, tant le programme est dense et foisonnant, et les intervenants exhaustifs. Pendant les pauses, les participants saluent la qualité des prestations et l’important travail manifestement fourni par les intervenants. Le colloque est teinté de cette convivialité propre aux rendez-vous où l’on se sait entre gens du même bord, partageant les mêmes valeurs et les mêmes convictions. Lorsque Savine Bernard souligne que « le président Hollande a fait au Code du travail ce que Nicolas Sarkozy a fait au Code pénal », la formule fait mouche. Sourires approbateurs sur tous les bancs, du premier au dernier rang de l’amphithéâtre.

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