Le tribunal de commerce de Bobigny veut développer ses activités de prévention
Le 21 janvier dernier avait lieu l’audience de rentrée du tribunal de commerce de Bobigny. L’occasion de dresser le bilan d’une année particulièrement dense, et d’affirmer les priorités pour l’année qui s’ouvre : lutte contre la fraude et développement de la prévention.
Faisant face à une assemblée très largement masculine seules 3 juges consulaires sont des femmes, la procureur Fabienne Klein Donati ouvrit l’audience pour présenter les chiffres de l’année. Faisant état de 126 110 entreprises inscrites au registre du commerce et des sociétés, et de 21 241 nouvelles inscriptions en 2019, elle mit en avant une activité importante, « conforme à l’attractivité de la Seine-Saint-Denis ». Elle salua la qualité de jugement du tribunal, « indispensable pour accompagner cette dynamique économique » que les chiffres de l’année écoulée situent, d’après elle, « pratiquement au même niveau que Paris ».
Amenée à faire le bilan de l’action du parquet, elle reconnut que celui-ci était trop peu présent aux audiences du tribunal de commerce. « Quand nous sommes présents, nous le sommes pleinement », justifia-t-elle néanmoins, soulignant l’attention très importante alors portée aux dossiers. « Je sais que vous trouvez que ce n’est pas suffisant », dit-elle à l’adresse du président Francis Griveaux. « Je sais aussi, moi, que c’est un effort important », insista-t-elle. Elle tint à faire valoir les résultats de ses magistrats. Elle souligna ainsi que 20 % des 2 385 procédures collectives avaient été ouvertes suite à des requêtes du parquet, et rappela que celui-ci était actif en ce qui concerne les sanctions, 221 jugements de faillite personnelle et 272 interdictions de gérer ayant été prononcés dans l’année.
Elle rappela que la lutte contre les sociétés fictives, annoncée lors de la rentrée précédente, fut une priorité tout au long de l’année 2019. Elle rappela que le parquet s’employait à « développer une vraie stratégie pour lutter contre ces sociétés fictives et ces faux experts encore trop nombreux en Seine-Saint-Denis ». Elle indiqua ainsi que le parquet s’attelait à les déceler dès le stade de la création d’entreprise, opérant un filtre en vérifiant l’identité et les capacités de gérer de l’entrepreneur. Elle précisa que, au stade de la procédure collective, les magistrats étaient mobilisés pour traquer la fraude aux AGS. « C’est ambitieux, mais il n’y a pas de raison de baisser les bras en dépit du volume d’affaires. Mon parquet n’hésite pas à saisir les services spécialisés en cas de fraude », rappela-t-elle, estimant que par ce travail, « on arrive à un peu plus d’honnêteté sur ce tissu économique ». Elle mit en avant un résultat « honorable ». « Chaque fois qu’on peut prendre de l’argent détenu illégalement et le remettre dans les caisses de l’État, on le fait. Nous sommes loin de pouvoir tout atteindre mais si on additionne le trafic de stupéfiants, certaines entreprises naissant du blanchiment, l’habitat indigne, la saisie des avoirs criminels, on dépasse les 10 millions d’euros par an » !
La procureur fit ensuite un point sur l’activité de tribunal de commerce spécialisé, le tribunal de Bobigny ayant obtenu de haute lutte cette compétence à la fin de l’année 2015. Elle mentionna 35 dossiers jugés à ce titre en 2019. Des affaires d’ampleur, nécessitant chacune une grande implication de l’ensemble des professionnels de la juridiction. « Tous ces dossiers pour lesquels vous êtes saisis comme juridiction spécialisée nécessitent un investissement important. Cette compétence est un challenge, qui demande à tout le monde de hausser le niveau. Nous sommes au parquet amenés à requérir et à conclure. Or seulement deux magistrats peuvent assurer le suivi de ces procédures », précisa-t-elle. Elle estime que, malgré ce manque de moyens, « le tribunal de commerce n’avait pas démérité en tant que tribunal spécialisé ». Pour illustrer ces propos, elle a mis en exergue, sourire aux lèvres, le fait qu’un juge américain, dans le cadre d’une procédure de sauvegarde transatlantique, fut amené à valider le jugement des juges consulaires de Bobigny… Pour conclure son intervention, elle redit son enthousiasme à exercer en Seine-Saint-Denis. « Nous sommes un département d’innovation, il faut beaucoup d’imagination mais nous avons une belle matière ».
Francis Griveaux prit ensuite la parole, et précisa les chiffres donnés par la procureure. Il souligna que le RCS avait été purgé pendant l’année, « la relance des sociétés n’ayant pas fait leur déclaration de bénéficiaire effectif permettant un nettoyage du fichier des immatriculations ».
Il rappela que le tribunal compte sur son ressort de très importantes sociétés, telles que Aéroports de Paris et la SNCF depuis le 1er janvier 2020. Parmi les affaires ayant marqué l’année écoulée, il a noté « les litiges SNCF/SERNAM, la compétence d’ADP, la saisie conservatoire d’avions à Roissy, des litiges sur des sociétés dont la propriété du sol n’est pas la même que celle des constructions », mais aussi « des marchandises prétendument volée retrouvée en stock à l’arrivée chez le destinataire dans un pays étranger… ».
Il détailla dans un premier temps l’activité contentieuse, dont il rappela que c’est le « socle » du tribunal, tous les juges s’y formant à leur arrivée. Pendant l’année 2019, 1 867 jugements au fond ont été rendus, dont seuls 1,23 % a été infirmé en appel. Il mit en avant le développement de la conciliation, amené à se poursuivre. « Notre tribunal innove, en mettant en place en 2020 la possibilité de saisir ces conciliateurs sans passer par la phase judiciaire, ce qui permettra de résoudre des litiges dans un cadre plus serein », a-t-il annoncé.
Il fit ensuite un bilan en demi-teinte de l’activité de prévention, dont il rappela qu’elle est sa priorité depuis son élection en 2016. « C’est la base pour que la vision extérieure des tribunaux de commerce soit « l’aide aux entreprises » et non celle de « fossoyeur », insista-t-il. Il fit état de 412 entretiens menés par les juges de la prévention au cours de l’année 2019, ceux-ci étant déclenchés après une analyse des comptes par le greffe ou un signalement des experts-comptables. Il fit également état de 42 ouvertures de dossiers de mandats ad hoc ou de conciliations, précisant que « cela représente un chiffre d’affaires de 1,70 M€ et la préservation de 5 418 emplois ». Il insista sur l’impact social de ces activités, rappelant que « le nombre moyen de salariés par société concernée en prévention est de 100 salariés, alors qu’il est de 10 salariés en redressement et 0,7 salarié en liquidation ». Il dut pourtant reconnaître un léger recul de ces activités de prévention au cours de l’année 2019. « Nous déplorons que les organismes en contact avec les sociétés en difficulté ne nous adressent pas suffisamment de sociétés que nous pourrions aider », déplora-t-il, pointant également que « la cellule d’aide aux entrepreneurs mis en liquidation, tenue par des juges honoraires de notre tribunal ait du mal à trouver sa place ».
Au chapitre des procédures collectives, il mentionna 2 385 ouvertures, parmi lesquelles une écrasante majorité de liquidation, 17 sauvegardes et 318 redressements judiciaires. Il estima qu’avec des dossiers médiatiques, tels que le plan de redressement du journal L’Humanité, mais aussi des procédures transfrontalières avec l’Espagne, la Roumanie et la Croatie, cette activité avait permis au tribunal de gagner en notoriété. Il fit le bilan de l’activité de sanction, nécessitant deux audiences par mois, aboutissant principalement à des décisions d’interdictions de gérer et de faillites. Il annonça qu’en 2020, le tribunal allait développer les actions patrimoniales à l’encontre des dirigeants, en y consacrant une audience par mois.
Il termina son allocution en remerciant les différents partenaires judiciaires et économiques de la juridiction : huissiers, administrateurs judiciaires, avocats, Medef, CCI, et accorda une attention particulière aux services de greffe, et à la procureure, à laquelle il reconnut l’effort d’avoir « légèrement augmenté en 2019 le taux de présence du parquet aux audiences de procédures collectives ». Il se félicita également de la bonne entente avec les tribunaux de commerce de Meaux et de Créteil, amenés à s’en remettre, en raison de sa compétence de tribunal spécialisé, à la juridiction de Bobigny pour les affaires d’envergure. « Je tiens à souligner la bonne entente entre nos juridictions, malgré leur déception de ne pas avoir été nommées », souligna-t-il. Enfin, et comme chaque année, il rendit hommage au travail bénévole des juges consulaires de la juridiction. « Ils ne peuvent accomplir que grâce au soutien de leur famille et de leur entreprise », rappela-t-il.
En fin d’audience, Francis Griveaux donna la parole aux avocats du barreau de Bobigny, en grève depuis le début du mois de janvier. Arnaud Monin, avocat installé à Aulnay-sous-Bois, les représentait et rappela que cette réforme ne manquerait pas de toucher « ceux qui gagnent le moins et se consacrent à la défense des plus démunis », et allait provoquer la fermeture d’un nombre considérable de cabinets en Seine-Saint-Denis. Qu’il ait pu prendre la parole lors de cette audience solennelle de rentrée confirme en tout cas la solidarité bien connue entre magistrats et avocats sur le ressort de la Seine-Saint-Denis.