Le tribunal de commerce de Paris veut des moyens
Lors de la rentrée du tribunal de commerce de Paris le 15 janvier dernier, le président Paul-Louis Netter a demandé des moyens, en particulier pour pouvoir assurer la promotion de la chambre internationale. Il préconise la mise en place d’un droit fixe plafonné à 1/1 000 pour contribuer à financer la justice.
Au tribunal de commerce de Paris, tout change et rien ne change. Élu pour un mandat de 4 ans plein et entier le 23 octobre dernier alors qu’il venait de terminer, en qualité de vice-président, le mandat de Jean Messinesi atteint par la limite d’âge, Paul-Louis Netter, comme ses prédécesseurs, a consacré une partie de son discours de rentrée le 15 janvier dernier à réclamer des moyens. Certes, la justice consulaire est bénévole, mais il y a une différence entre exercer ses fonctions sans être rémunéré et payer de sa poche les dépenses de fonctionnement de la structure ou bien encore supporter les frais afférents à sa fonction. Or, avec une allocation de quelques milliers d’euros annuels, le tribunal ne s’en sort pas forcément très bien. Le président a demandé des fonds pour enrichir son site internet dans le cadre de la promotion de la chambre internationale. Il lui faut aussi des crédits pour assurer son rôle de représentation à l’étranger auprès de ses homologues.
Le dôme va être restauré
D’autres sujets, relevant eux aussi de questions budgétaires, ont en revanche avancé. Lorsqu’elle était encore première présidente de la cour d’appel, Chantal Arens a validé le projet de concevoir une chambre du tribunal modernisée pour traiter ce fameux contentieux international. Le projet en est au stade de la définition des travaux. De même, toujours au chapitre des bonnes nouvelles, la Chancellerie a décidé de procéder à la réfection du dôme du bâtiment abritant le tribunal à l’intérieur et à l’extérieur. Ce qui permettra de retirer les filets protégeant les visiteurs d’éventuelles chutes de pierre, mais aussi de préserver les fameuses toiles de Felix Jobbé-Duval qui ornent l’intérieur de la structure. Le président s’est également inquiété de la question de la promotion du droit français et de la nécessaire coordination des acteurs. S’il a été heureux d’être reçu à Bercy avec la Banque mondiale dans le cadre de la nouvelle édition de Doing Business, il regrette que la France soit encore classée à la 26e place des pays les plus favorables à la vie des affaires sur le terrain juridique et judiciaire. Il est vrai que c’est contradictoire avec la volonté de celle-ci de remplacer Londres en tant que place judiciaire internationale.
L’activité est soutenue
La rentrée est aussi et surtout l’occasion de dresser un bilan chiffré de l’année écoulée. En 2019, le tribunal a traité 67 241 affaires, ce qui correspond à un niveau d’activité élevé. Le nombre de jugements au fond, 7 910, est en croissance de 18 %, celui des affaires nouvelles reste stable (7 551), ce qui a permis une légère diminution du stock. Le délai pour un jugement au fond demeure légèrement supérieur à 13 mois, le taux de recours est de 9 % celui d’infirmation compris entre 2 et 3 %. Les modes alternatifs de règlement des conflits ont été utilisés dans 772 dossiers soit 10 % des affaires nouvelles avec un taux de réussite de 50 %. Au chapitre des difficultés des entreprises, on dénombre 120 mandats ad hoc, et 161 conciliations soit 281 décisions concernant 32 166 salariés. Les 3 228 procédures collectives ont débouché quant à elles sur 86 % de liquidations, tandis que les sauvegardes et les redressements ont concerné 11 769 salariés. Parmi les améliorations que le tribunal veut mettre en place, figure la réduction du délai de jugement au fond, actuellement de 13 mois. Une expérimentation est à l’œuvre, étant précisé que le président n’entend pas remettre en cause la qualité du dialogue et de l’écoute avec les avocats. En clair, il faut aller plus vite mais sans prendre sur le temps de la défense. Le tribunal travaille également à optimiser ses relations avec le greffe et il entend par ailleurs améliorer sa communication, à condition d’obtenir le budget tel qu’évoqué plus haut.
Créer un droit fixe devant le tribunal ?
Précisément, le tribunal de commerce de Paris a une idée pour obtenir des moyens. C’est l’ancien président Jean Messinesi qui a commencé à évoquer lors des rentrées solennelles qu’il présidait le paradoxe qu’il y avait à ce que de grands groupes se réclament des milliards moyennant des montants de frais de justice de l’ordre de quelques dizaines d’euros. Paul-Louis Netter a annoncé le 15 janvier 2020 avoir remis l’an dernier à la Chancellerie une note proposant de prélever sur les dossiers les plus importants en termes d’enjeux un droit fixe d’un maximum de 1/1 000. Si l’idée heurte en première analyse la vision radicale développée en France de la gratuité de la justice, elle n’en fait pas moins son chemin. L’actuel premier président de la cour d’appel de Paris Jean-Michel Hayat l’avait évoquée lors d’une rentrée du TGI de Paris ; il envisageait de prélever une somme sur la partie défaillante. Le professeur Nicolas Molfessis l’avait également mentionnée dans son rapport sur la procédure civile dans le cadre des chantiers de la justice initiés par la garde des sceaux Nicole Belloubet.
Rappelons que la France est le seul pays aujourd’hui avec le Luxembourg a appliquer la gratuité totale en vertu d’une appréhension du principe beaucoup plus radicale que celle des révolutionnaires qui ne l’entendaient à l’époque que comme le fait de ne plus avoir à payer son juge. C’est ainsi que jusqu’à la fin du XIXe siècle en France les frais prélevés sur le justiciable couvraient à peu près le montant du budget de la justice. Le président Netter n’a pas précisé si sa proposition avait rencontré une oreille favorable, mais il y a fort à parier que le tabou de la gratuité sera difficile à briser.…
Le parquet invite le tribunal à la sévérité
De son côté le procureur de Paris Rémy Heitz a invité le tribunal à poursuivre une politique de sévérité à l’égard des dirigeants malhonnêtes. Cela pourrait sembler en contradiction avec le droit au rebond inscrit dans la loi PACTE a-t-il fait observer, en réalité la contradiction n’est qu’apparente car en distinguant le dirigeant malheureux du malhonnête on permet effectivement au premier de rebondir sans souffrir de la concurrence déloyale du second. Il a estimé que la faillite personnelle et l’interdiction de gérer étaient parfaitement adaptés à l’objectif d’écarter les dirigeants délinquants et a encouragé les poursuites systématiques.
Autre sujet de préoccupation, le fait que les entreprises parisiennes continuent pour 1/3 d’entre elles à ne pas satisfaire à l’obligation de déposer leurs comptes. « Ce n’est pas acceptable », a commenté Rémy Heitz. Parmi les chantiers de l’année à venir il a évoqué la dématérialisation des relations entre le greffe du tribunal et son parquet, initié l’an dernier sans succès et qui devrait aboutir absolument cette année. Il a signalé également les travaux de transposition de la directive européenne du 20 juin 2019 en cours à la direction des affaires civiles et du sceau. Bien qu’elle s’inspire du droit français des procédures collectives, le procureur de Paris a souligné la nécessité d’être vigilant sur un certain nombre de points relatifs notamment aux créanciers ou encore aux procédures préventives.
Comme le président Paul-Louis Netter, il s’est inquiété des répercussions de la grève des transports. Pour ces deux magistrats, il ne faudrait pas qu’elle dure trop car le commerce, le tourisme et le transport risquent de s’en trouver impactés. Pour l’heure les chiffres de création d’entreprise en 2019 sont positifs : 430 440 immatriculations nouvelles en France dont 45 088 à Paris soit une augmentation de 10 %. Certes, on compte parmi elles beaucoup de microentreprises liées aux secteurs de la livraison à domicile, mais cela témoigne néanmoins d’un dynamisme qu’il ne faudrait pas que les mouvements sociaux, en durant trop longtemps, finissent par mettre à mal.