Les notaires : une compétence reconnue et protégée en droit de l’Union
Au regard de ses qualités et des contraintes qui lui sont imposées par l’État, le notaire s’affirme comme un acteur majeur pour la sécurité juridique de certains actes, notamment liés aux transactions immobilières. Cette considération n’est plus partagée seulement par les États membres, comme la France, elle est reconnue par la Cour de justice de l’Union européenne qui protège pour la première fois l’attribution de compétences exclusives aux notaires, plus particulièrement en matière d’authentification d’actes nécessaires à la publicité foncière, écartant l’intervention des avocats. Cette reconnaissance est amenée à se développer en raison des critères sur lesquels s’appuie la Cour de justice de l’UE.
Les premières relations entre l’Union européenne et la profession des notaires ont été houleuses en raison de l’exigence de la Cour de justice de l’Union concernant l’accès de la profession à des ressortissants de l’Union1. Un pavé était jeté et la confrontation était brutale et sources de bouleversements profonds pour la profession. Le droit de l’Union a été appréhendé par les notaires comme une menace majeure pour la profession alors même que les notaires constituent un pilier du système juridique romano-germanique et en conséquence de l’organisation du fonctionnement de notre société. Cette interprétation ignorait les aspects plus favorables de la jurisprudence2. Sans nul doute l’arrêt du 9 mars dernier, Leopoldine Gertraud Piringer3, va ouvrir la voie à une nouvelle approche du droit de l’Union et des conséquences découlant de la liberté d’établissement et de la libre prestation de services, respectivement visées aux articles 49 et suivants et 56 suivants du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (ci-après TFUE).
Cet arrêt établit les conditions d’une reconnaissance de l’apport spécifique des notaires et de la capacité des États membres à leur accorder certaines exclusivités de compétences. Ainsi des conclusions ont sans doute été tirées trop vite de l’arrêt Commission européenne contre France du 24 mai 2011, qui obligeait la France à ouvrir l’accès à la profession de notaire à des ressortissants d’autres États membres. À l’époque le recours en manquement visait uniquement l’accès à la profession et non directement les spécificités de celle-ci et les garanties apportées par les notaires. En outre, la défense de la France, comme d’autres États membres qui étaient visés par une procédure identique, n’avait pas porté ses fruits, tant les arguments n’apparaissaient pas véritablement adaptés à la jurisprudence de la Cour de justice relative à l’article 51 TFUE. En effet, la Cour interprète strictement cet article excluant les ressortissants des autres États membres des activités participant à l’exercice de l’autorité publique dans le cadre du droit d’établissement et de la libre prestation de services4. Cependant les règles relatives à l’accès d’une profession et celles liées à l’exercice sont dans leur objet très différentes. L’exercice d’une profession, au-delà de celle des notaires, implique parfois de prendre en considération cette fois le contenu des compétences, le lien avec les autorités publiques et les exigences propres à la profession que les États veulent sauvegarder dans l’intérêt général, notamment l’indépendance. Des aménagements aux libertés de circulation peuvent ainsi être envisagés, sous réserve d’une argumentation solide de l’État, garantissant une prise en considération des particularités d’un État à un autre. Ce raisonnement a été pleinement mis en œuvre dans l’arrêt Piringer du 9 mars 2017.
En l’espèce, le contentieux portait sur l’authentification d’une signature apposée sur une demande d’inscription au livre foncier d’un projet de vente de quotes-parts immobilières. Cette demande avait été effectuée par Mme Piringer, propriétaire pour moitié d’un bien immobilier en Autriche. La particularité de l’affaire est que l’acte a été réalisé en Autriche par un avocat, conformément à la législation tchèque. Cependant, au moment de faire reconnaître cet acte devant un tribunal autrichien, la requérante s’est vue opposer un refus. En effet, en Autriche, ce type d’acte doit être obligatoirement authentifié par un tribunal ou un notaire. La juridiction s’est toutefois posée la question de savoir si cette exclusivité était compatible avec le droit de l’Union européenne et plus précisément si celle-ci pouvait être justifiée dans le cadre de la libre prestation de services par des raisons impérieuses d’intérêt général visant à garantir la légalité et la sécurité des actes juridiques.
La Cour de justice juge, certes, que la législation autrichienne constitue une restriction dans une première partie du raisonnement, admettant dans une seconde partie la compatibilité de la législation au regard des objectifs de sécurité juridique des transactions immobilières et du bon fonctionnement du livre foncier. La Cour de justice s’appuie largement sur l’objet des compétences en cause, mais également sur le statut des notaires, notamment en raison de la confiance publique qui leur est accordée et du contrôle qu’exerce l’État sur cette profession. Cet arrêt est une reconnaissance pour le notariat de type latin, refusant de confondre derrière la dénomination d’un acte une équivalence des missions. Cette reconnaissance renforce le notariat en France et la capacité des États membres, dont la France, à conserver le modèle en cause (I). L’arrêt constitue une réelle protection, qui maintient cependant une concurrence transnationale entre notaires du même type (II).
I – Une reconnaissance explicite de la compétence spécifique des notaires
Le droit de l’Union européenne n’a pas pour objectif une unification des règles, la jurisprudence permet au contraire de préserver des approches nationales au regard de l’organisation administrative ou juridique locale. Cet arrêt en est une illustration, la Cour s’appuyant explicitement sur un notariat de type latin pour isoler le contenu des compétences et admettre la protection d’objectifs légitimes (A), et renforce son raisonnement, lors de l’étude de la proportionnalité, sur les caractéristiques de la profession (B).
A – La protection d’objectifs légitimes liés à l’objet des compétences
Les juges de l’Union étaient confrontés clairement à l’existence d’une restriction en matière de libre prestation de services, au regard de l’interprétation de l’article 56 TFUE relatif à la libre prestation de services depuis plusieurs années. La restriction résultait en l’espèce de l’absence de reconnaissance d’un acte authentifié par un avocat d’un autre État membre, alors même que celui pouvait fournir ce service dans son État. Ceci empêchait clairement la réalisation d’une telle prestation pour s’en prévaloir ensuite en Autriche. La Cour précise depuis plusieurs années que constitue une restriction, toute mesure nationale qui est de nature à prohiber, à gêner, ou à rendre moins attrayantes les activités du prestataire établi dans un autre État membre, dès lors qu’il fournit cette même prestation légalement dans cet État membre. Le principe est celui de la reconnaissance mutuelle qui est d’ailleurs applicable depuis longtemps à la profession d’avocat, le seul titre d’avocat obtenu dans un État membre permettant de prester dans les vingt-sept autres États membres. La différence est que les avocats s’appuient sur une directive sectorielle5 et qu’il n’existe pas de texte équivalent pour la profession de notaires. L’existence d’une restriction est retenue indépendamment de la prise en compte d’un quelconque seuil de sensibilité, et peu importe que la mesure soit discriminatoire ou indistinctement applicable. Cette approche large conduit à retenir de manière quasi systématique l’existence d’une restriction. L’enjeu ne se situe ainsi plus au niveau de cette phase de raisonnement, mais à celle de la justification. C’est pourquoi, la Cour de justice s’arrête largement sur les objectifs que l’Autriche souhaite préserver, objectifs qui découlent des compétences particulières confiées aux notaires dans le domaine de la publicité foncière.
Tout le raisonnement de la Cour par rapport aux objectifs avancés par l’Autriche, sécurité juridique des transactions immobilières et bon fonctionnement du livre foncier6, est fondé sur l’existence et la reconnaissance d’un notariat de type latin. Il en découle que l’appréhension du livre foncier en est modifiée, les juges indiquant que « livre foncier revêt, surtout dans certains États membres connaissant un notariat de type-latin, une importance décisive notamment dans le cadre des transactions immobilières »7. Cette appréciation est fondée sur une étude concrète de la fonction du livre foncier dont les juges identifient qu’il est un fait générateur de droits et une garantie essentielle en matière de sécurité juridique pour les particuliers8. Ce raisonnement est extensible aux différentes situations mettant en œuvre la publicité foncière dès lors que celle-ci nécessite l’établissement d’un acte authentique émanant d’un notaire, dont l’intervention est justifiée à des fins de sécurité juridique. Cette sécurité juridique est rattachée à une mission à la charge de l’État dont la mise en œuvre est finalement assurée par les notaires, dont l’action est elle-même encadrée par l’État. Ce n’est ainsi pas la qualité de notaire qui est retenue de manière générale, mais le lien entre le notaire et le livre foncier, et plus largement la publicité foncière, au travers de l’acte d’authentification qui est une exigence des autorités publiques. Ce lien est singulier pour le notariat de type latin, le notaire étant le véritable garant du bon fonctionnement du livre foncier, ou plus largement de la publicité foncière, et de la sécurité juridique des actes. Les justifications avancées constituent pour la Cour de justice des raisons impérieuses d’intérêt général se rattachant plus largement à la bonne administration de la justice. Cet objectif est reconnu d’intérêt général depuis plusieurs années, la France l’avait déjà invoqué au sujet des traducteurs judiciaires9. Si l’approche de la Cour n’est pas nouvelle, elle confirme l’arrêt du 24 mai 2011 dans lequel elle indiquait qu’elle admettait que « les activités notariales poursuivent des objectifs d’intérêt général, qui visent notamment à garantir la légalité et la sécurité juridique »10. L’arrêt du 9 mars dernier en est la première illustration concrète. Cependant, au regard du droit de l’Union, la législation arrêtée doit être nécessaire et proportionnée.
B – La proportionnalité de la législation appuyée sur les caractéristiques de la profession de notaire
Toute mesure nationale est soumise au test de la proportionnalité afin de déterminer si elle est compatible avec le droit de l’Union. Il n’est pas suffisant de protéger des intérêts légitimes, la Cour vérifie que la législation ne constitue pas une restriction déguisée, c’est-à-dire une mesure protectionniste et qu’il n’y a pas d’autre solution aussi efficace pour atteindre le même résultat. La Cour reconnaît aisément que la condition de la nécessité est remplie dès lors qu’il y a un lien entre le fait de recourir à un notaire et les exigences poursuivies. La solution dépend largement de ce que recouvre l’authentification d’un acte. Or les conclusions de l’avocat général sont peu favorables aux notaires, ce dernier expliquant qu’une « authentification telle que celle en cause dans l’affaire au principal n’exige pas de connaissances en droit autrichien ni même, au demeurant, de connaissances en droit (…) l’authentification ne requiert pas la rédaction d’actes ou la fourniture de conseils juridiques sur des questions complexes, mais revient simplement à constater l’identité de la personne présente et à confirmer qu’elle a bien signé un document »11. Cette approche très restrictive et erronée conduit à nier l’apport du notaire en matière de sécurité juridique, comme le démontre d’ailleurs le contenu de l’article 710-1 du Code civil qui précise que la reconnaissance d’écriture et de signature ne suffit pas à répondre aux formalités de la publicité foncière. D’autres exigences accompagnent la réalisation de la publication foncière, impliquant nécessairement le notaire au regard de sa capacité à s’assurer de la validité de l’acte. Cette position de l’avocat général n’est d’ailleurs pas celle de la Cour qui, au contraire, juge que l’intervention du notaire est plus complexe, celui-ci ne se contentant pas de vérifier l’identité de la personne, puisqu’il opère un contrôle du contenu de l’acte. La Cour se refuse ainsi à confondre la certification et l’authentification12 et reconnaît expressément toute la dimension du rôle du notaire qui n’est pas assimilable dans ses missions à d’autres professions juridiques.
Ainsi c’est l’existence même de ce contrôle qui justifie que l’État peut réserver l’exclusivité de cette authentification aux notaires. L’aptitude du notaire et ses compétences sont en effet au cœur du raisonnement de la Cour, étant donné que celle-ci fait référence à la fois au contrôle de la régularité de la transaction et la capacité de la personne à effectuer une telle opération13. Le caractère approfondi du contrôle est déterminant, ce qui implique que les évolutions de la profession de notaire ne reviennent pas sur ces exigences. Dans le cas contraire, la nécessité de recourir à un notaire ne pourrait plus être justifiée. Il est une nouvelle fois intéressant de remarquer que la Cour est dans une démarche d’un examen très concret de l’activité des notaires et qu’elle ne se contente pas d’une affirmation évasive. La Cour de justice insiste pour que les États membres apportent la preuve de la nécessité de la législation par une analyse et des éléments précis. Il ne peut s’agir d’une argumentation générale et abstraite, ainsi que l’affirme régulièrement la Cour de justice14.
La Cour s’appuie également sur des éléments extérieurs au contenu même de la compétence, à savoir la confiance publique placée dans les notaires et le contrôle exercé par l’État, rejoignant sur ce dernier aspect les conclusions de l’avocat général15. Ces éléments ne sont nullement superfétatoires. Il s’agit d’éléments déterminants pour sauvegarder la compétence d’authentification aux seuls notaires. Le second élément lié au contrôle exercé se comprend pleinement. En effet, le contrôle est la garantie d’un respect des obligations par les professionnels, n’étant considéré comme effectif que s’il est opéré par l’État. Or le contrôle des notaires est très strict en Autriche pour l’avocat général16 et il est « particulier » pour la Cour17, exprimant l’existence de règles précises dans le corpus autrichien qui se retrouve également en France, notamment au travers du règlement national de profession et par des contrôles inopinés réguliers. Le premier élément lié à la confiance apparaît moins juridique et renvoie à une échelle de valeurs. Cependant, il est tout aussi essentiel, étant donné que ce critère permet de différencier le notaire d’autres professions, pour exercer cette authentification. Cette confiance publique découle des obligations éthiques qui s’imposent au notaire et du contrôle qui n’a pas nécessairement d’équivalent. En reprenant ces éléments, la Cour affirme la singularité du notaire, mais surtout élabore un raisonnement favorisant une protection durable de cette profession par rapport à l’intervention d’autres professionnels. Cependant si l’exclusivité de la compétence est reconnue, elle maintient une situation de concurrence, intégrant les notaires dans la logique du marché intérieur.
II – Une reconnaissance n’annihilant pas la concurrence
La compatibilité de la législation autrichienne n’épuise pas d’autres aspects découlant de cette activité. En effet, cette reconnaissance ne peut être appréhendée comme un cloisonnement du marché intérieur et une protection de la concurrence des autres notaires (A). Elle constitue en revanche plus sûrement une protection face à la concurrence des avocats (B).
A – L’absence d’une protection nationale
L’arrêt du 9 mars dernier affirme la possibilité de réserver aux notaires la faculté d’authentifier les signatures apposées sur les documents nécessaires à la création ou au transfert de droits réels immobiliers, mais elle n’implique pas que cette authentification ne puisse pas être opérée par un autre notaire installé dans un autre État membre. Une autre interprétation de l’arrêt conduirait à admettre que le marché intérieur n’est pas effectif pour la profession notariale et qu’elle serait finalement en marge de l’application du droit de l’Union quant à la mise en œuvre de la libre prestation de services. Une telle dérogation générale et absolue ne pourrait être admise par la Cour, d’autant qu’elle serait difficile à justifier. Cependant, la concurrence en matière de prestation d’authentification connaît nécessairement des limites en lien avec le raisonnement précédent de la Cour sur la justification. En effet, la Cour s’est appliquée à reconnaître que le notariat de type latin entraînait des conséquences particulières par rapport à la publicité foncière. Cette référence signifie que le raisonnement n’est ainsi pas transposable pour le notariat de type anglo-saxon. Si, dans les deux cas, il est fait référence à l’activité de notaire, en réalité elle emporte un contenu différent avec des qualités différentes. L’activité n’est ainsi pas comparable et exclut qu’une authentification de signature puisse avoir une valeur juridique dans un État où le notariat est de type latin. La Cour valide cette approche en refusant de considérer comme équivalentes deux procédures qui ont, en réalité, un contenu différent. Ainsi il n’est pas possible qu’une authentification réalisée par un notaire, correspondant en réalité à une certification, soit ensuite considérée par application du droit de l’Union, comme une authentification véritable dans un État membre reposant sur un notariat de type latin. La Cour s’y refuse considérant que ceci reviendrait à donner une force différente à l’authentification selon le lieu où le client s’en prévaut. Ainsi la concurrence ne peut provenir qu’entre notaires d’États membres de type latin.
Cependant, cette condition n’est pas suffisante. En effet, la concurrence n’est envisageable que si le notaire est soumis dans l’État membre où la prestation se déroule aux mêmes obligations en matière de contrôle exercées par l’État. La Cour insiste sur ce contrôle exercé strictement par l’État pour admettre l’exclusivité de la compétence18. Cette exigence peut être reprise par un État pour limiter le recours à des notaires installés dans d’autres États membres par des clients. Il en va de l’effectivité de la sécurité juridique des transferts immobiliers et, ici, du bon fonctionnement de la publicité foncière. Cette restriction peut être envisagée dès lors que le contrôle apparaît uniquement dans les dispositions législatives ou règlementaires de l’État membre de la prestation mais qu’il n’est pas effectif, au sens où il n’est pas réellement mis en œuvre. En revanche, si l’État, au sein duquel est implanté le notaire, a un niveau d’exigence équivalent ou supérieur à la France par exemple, il ne pourra pas être fait obstacle sur le principe à la libre prestation de services.
Les limites à cette concurrence peuvent toutefois être envisagées sous un autre angle, celui de la difficulté de pouvoir opérer un contrôle sur un notaire établi dans un autre État membre pour s’assurer de validité de la signature et de l’acte. En effet, une telle prestation de services conduit à remettre en cause, en outre, les fonctions de contrôle de l’État dans lequel une personne se prévaut de l’acte et implique une atteinte au système d’administration préventive voulue par la publicité foncière. Enfin, il semble compliqué en cas de manquements par le notaire à ses obligations que celui-ci puisse être sanctionné par un État membre dans lequel il n’est pas établi. Ce sont autant d’éléments qui pourraient être avancés par la France par exemple pour limiter le recours à des notaires situés dans d’autres États membres.
B – La neutralisation de la concurrence en provenance des avocats
L’enjeu de l’arrêt, indépendamment de l’apport des notaires en matière de sécurité juridique, était de déterminer dans quelle mesure les avocats pourraient intervenir dans les compétences que les États membres souhaitaient réserver à la profession notariale. Les règles consacrées à la libre prestation de services des avocats pouvaient-elles servir de support à cette intrusion ? La Cour de justice écarte non seulement la possibilité de se fonder sur le droit dérivé, en l’occurrence la directive 77/249, mais aussi sur le droit primaire, c’est-à-dire l’article 56 TFUE.
La directive 77/249 est un texte dont l’objet est de garantir la libre prestation de services des avocats, c’est-à-dire à la fois de conseiller et de représenter un client, tout comme de réaliser des actes juridiques. Le risque d’une extension de l’authentification était possible selon le champ d’application de cette directive notamment par rapport à la notion d’activité d’avocat. Or la Cour de justice juge que des prestations telles que celle de l’authentification, entrent par leur objet dans le champ de la directive. Elles peuvent être réalisées par un avocat sans que celui-ci se déplace à partir du moment où le bénéficiaire fait usage de sa mobilité. Le danger était ainsi grand de créer une concurrence frontale entre les notaires et les avocats soumis pourtant à des contraintes et des compétences différentes. Cependant, la Cour de justice va juger par rapport au champ personnel de la directive que celle-ci ne peut s’appliquer à une législation d’un État membre réservant aux notaires l’activité d’authentification, la directive ne visant que la situation de concurrence entre les avocats et non avec les autres professions juridiques19. En effet, la directive s’adresse et prévoit des dérogations d’exclusivité uniquement pour des catégories d’avocats au regard de la spécificité du système juridique de l’État membre, notamment au Royaume-Uni, où seuls les sollicitors peuvent établir des actes juridiques relevant du droit immobilier, contrairement aux barristers. La directive permet de conserver cette différenciation.
La concurrence ne pouvait dès lors relever de l’article 56 TFUE, ce que la Cour n’a pas imposé, reconnaissant non seulement que les notaires avaient un rôle unique, mais également qu’il n’était pas possible de modifier la force d’un acte selon l’État dans lequel une personne s’en prévaut et notamment de lui accorder une force plus importante que celle qui lui est reconnue au moment de sa réalisation20.
La Cour est ainsi protectrice des différents systèmes juridiques, ne les opposant pas, mais permettant de les juxtaposer pour préserver la sécurité juridique des transactions immobilières notamment par la publicité foncière. Les notaires bénéficient de cette approche, mais elle n’est pas une conséquence d’un statut abstrait, elle est fondée sur l’apport bénéfique des notaires et les conditions de l’exercice de leurs missions. Pour ces raisons, la solution sera pérenne et sans doute étendue à d’autres actes.
Notes de bas de pages
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1.
CJUE, 24 mai 2011, n° C-50/08, Commission européenne c/ France, ECLI:EU:C:2011:335.
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2.
CJUE, 24 mai 2011, n° C53/08, Commission européenne c/ Autriche, EU:C:2011:338, point 96.
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3.
CJUE, 9 mars 2017, n° C-342/15, Leopoldine Gertraud Piringer, ECLI:EU:C:2017:196.
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4.
CJCE, 21 juin 1974, aff. n° 2/74, Reyners c/ Belgique, ECLI:EU:C:1974:68.
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5.
Dir. CE, n° 77/249/CEE, 22 mars 1977, tendant à faciliter l’exercice effectif de la libre prestation de services par les avocats : JOCE L, 78, 19 déc. 1977, p. 17.
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6.
Il faut préciser que le livre foncier est uniquement en vigueur en Alsace-Moselle actuellement en France. Cependant, le raisonnement de la Cour de justice vise plus largement la publicité foncière et les conséquences juridiques qui en découlent.
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7.
CJUE, 9 mars 2017, op. cit., pt 58.
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8.
CJUE, 9 mars 2017, ibid., pt 58.
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9.
CJUE, 17 mars 2011, n° C-372/09, Penarroja, ECLI:EU:C:2011:156.
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10.
CJUE, 24 mai 2011, op. cit., pt 87.
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11.
Conclusions de l’avocat général Maciej Szpunar sous l’arrêt du 9 mars 2017, n° C-342/15, Piringer, ECLI:EU:C:2016:710, pt 60.
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12.
En ce sens CJUE, 9 mars 2017, op. cit., pt 67.
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13.
Ibid., pt 64.
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14.
CJUE, 19 oct. 2016, n° C-148/15, Deutsche Parkinson Vereinigung, ECLI:EU:C:2016:776, points 35 et s.
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15.
Conclusions sous l’arrêt du 9 mars 2017, op. cit., pt 63.
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16.
Ibid., pt 63.
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17.
CJUE, 9 mars 2017, Piringer, op. cit., pt 65.
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18.
CJUE, 9 mars 2017, ibid., pt 65.
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19.
CJUE, 9 mars 2017, Piringer, op. cit., pt 40.
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20.
CJUE, 9 mars 2017, Piringer, ibid., pt 68.