Les syndicats de magistrats face à la montée du RN : faire de la politique, ou pas.

Publié le 12/06/2024

Les résultats du Rassemblement national aux élections européennes du 9 juin (31,37% des suffrages) ont suscité des réactions au sein de la magistrature. Tour d’horizon des prises de position de leurs différents syndicats.

Magistrats assis en rang lors d'une rentrée solennelle
Photo : ©P. Cluzeau

Le syndicalisme dans la magistrature doit-il se limiter à la défense des intérêts professionnels de ses adhérents ou peut-il s’autoriser des prises de position politiques, y compris sur des sujets qui dépassent la justice ? Alors que le RN a recueilli 31,37% des suffrages aux élections européennes du 9 juin et que le président Emmanuel Macron a annoncé la dissolution de l’Assemblée nationale dans la foulée, les principaux syndicats de magistrats viennent de montrer, à travers leurs communiqués, les différentes conceptions de leur rôle à l’œuvre aujourd’hui dans la magistrature française.

Le SM mobilisé « contre l’accession au pouvoir de l’extrême-droite »

Le premier à avoir publié un communiqué est le syndicat de la magistrature, mardi 11 juin en milieu de journée sur le réseau X.  Fort d’un score de 29 % à la commission d’avancement en 2022 et considéré comme en progression, s’il n’est pas le premier en nombre d’adhérents, il est néanmoins très influent, en particulier au sein de l’École nationale de la magistrature. Depuis sa création en 1968, le SM  s’inscrit dans une tradition politique très à gauche. Cela lui a valu parfois des critiques et même un procès lors de la découverte du fameux « Mur des cons », un tableau situé dans le local du syndicat sur lequel les membres du SM épinglaient la photo de tous ceux qui n’avaient pas l’heur de partager leurs convictions (politiques, personnalités, justiciables…).

Dans son communiqué relatif à la montée du RN, il dénonce l’existence de « pans entiers de programmes d’extrême-droite déjà intégrés depuis plusieurs années aux politiques publiques » et « appelle l’ensemble des magistrates et des magistrats (…) à se mobiliser contre l’accession au pouvoir de l’extrême droite ».

 

Le syndicat est coutumier de ces prises de position. En avril dernier, il appelait à participer à la coalition contre le racisme systémique :

 

En avril, il a publié un Guide du manifestant arrêté :

En janvier, il appelait à manifester contre la loi asile et immigration :

En novembre, il critiquait sévèrement la décision de relaxe prise par la Cour de justice et de la République au bénéfice d’Éric Dupond-Moretti, contre lequel il avait porté plainte pour prise illégale d’intérêts (lire nos chroniques ici),

et revendiquait la suppression de la CJR.

En septembre, il appelait à participer à la « Marche unitaire contre les violences policières et le racisme systémique ».

Cette politisation du discours syndical peut surprendre. Le SM estime qu’elle a été validée par l’avis du Conseil supérieur de la magistrature du 13 décembre dernier, lequel en effet ne semble poser aucune limite en la matière. Certains constitutionnalistes, comme Bertrand Mathieu, rappellent toutefois l’importance de l’impartialité objective, laquelle s’accorde difficilement avec des prises de position politiques publiques.

L’USM, apolitique mais vigilant

Classé modéré et se présentant comme apolitique, l’Union syndicale des magistrats (USM) est le premier syndicat et pesait 62 % en 2022. S’il s’est toujours concentré sur la défense des intérêts de ses membres, il est à noter que depuis quelques années il co-signe de plus en plus de communiqués avec le Syndicat de la magistrature lorsque ceux-ci concernent directement la justice. Sa vice-présidente, Cécile Mamelin, a rappelé récemment dans nos colonnes que le syndicalisme était un droit pour les magistrats mais qu’il était parfois difficile à exercer.

Ce syndicat a adressé mardi soir à ses adhérents le message suivant :

« Chères et chers collègues,

Ce dimanche 9 juin au soir, nous avons tous pris connaissance du résultat des élections européennes puis de la décision du président de la République de dissoudre l’Assemblée nationale et de convoquer les électeurs fin juin début juillet. Nous entrons dans une période d’incertitude.

Fidèles à nos valeurs, dont l’apolitisme, nous n’entendons pas intervenir, ès qualités, dans le débat politique actuel pourtant majeur. 

Pour autant, l’USM restera particulièrement vigilante, dans ses échanges avec la Chancellerie, sur le respect de nos valeurs républicaines telles que la séparation des pouvoirs, la défense des libertés publiques, parmi lesquelles la liberté syndicale, l’indépendance de l’autorité judiciaire et l’impartialité de la justice rendue au service de tous, sans distinction.

Sans présumer du résultat des élections et de la composition du prochain gouvernement, l’USM agira pour ses valeurs et se positionnera en soutien du CSM qui, dans son rôle de conseil de justice, incarne l’indépendance judiciaire.

Nous poursuivons notre activité dans le contexte actuel de précampagne et de réserve électorale. Ainsi, aujourd’hui nous avons rencontré Jean-François Ricard, sur la thématique de la lutte contre le crime organisé, puis le CSM s’agissant de la charte déontologique des magistrats. Nous avons réclamé que les droits des magistrats soient inscrits en miroir de leurs devoirs pour se prémunir de toute instrumentalisation disciplinaire.

Bien à vous, 

Le bureau de l’USM ».

 

Unité Magistrats SNM-FO s’inquiète des « prises de position partisanes »

Enfin, le troisième syndicat, Unité Magistrats SNM – FO (7,5 %) se définissant comme apolitique mais classé par certains à droite vient de publier un communiqué ce mercredi à l’heure du déjeuner dans lequel il indique avoir refusé de signer « tout comme la CFTC et la CFE-CGC, le communiqué politique commun publié le 10 juin 2024 par cinq organisations syndicales, dont l’UNSA et la CGT, appelant à « un sursaut social et démocratique » ».

Au-delà de cette position syndicale globale, Unité magistrats rappelle, concernant spécifiquement la question de la magistrature, que tant l’article 10 de l’ordonnance statutaire que l’article 121-2 du Code général de la fonction publique leur imposent réserve et neutralité.

Et de conclure, pour enfoncer le clou : « UNITE MAGISTRATS SNM-FO, dans le respect des institutions républicaines, s’inquiète de prises de position partisanes pouvant renvoyer à l’opinion publique l’image d’une justice partiale et politisée ». Il n’est pas interdit d’y voir une allusion critique aux prises de position du Syndicat de la magistrature…

Communiqué de Presse UM Indépendance

 

 

 

 

 

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