Martin Pradel : « On vient de pulvériser le secret professionnel en matière de conseil »

Publié le 22/10/2021
Depuis l’adoption jeudi en commission mixte paritaire du texte sur le secret professionnel de l’avocat, les professionnels ne décolèrent pas. Ils dénoncent un recul considérable, voire historique,  des droits de la défense. Les explications de Martin Pradel, avocat au barreau de Paris. 
Martin Pradel : "On vient de pulvériser le secret professionnel en matière de conseil"
Photo : ©AdobeSTock/Lusyaya

Actu-Juridique : Suite à l’adoption en CMP jeudi d’une version restrictive du secret de l’avocat, la profession est révoltée. Que prévoit donc ce texte de si choquant ?

Martin Pradel : Ce texte est perçu par beaucoup d’avocats comme une remise en cause très profonde du secret auquel ils sont tenus, et qui leur permet de pouvoir travailler en confiance avec ceux qui les sollicitent, qui savaient jusqu’à présent qu’ils pouvaient compter sur l’avocat pour le respecter. Ce texte alambiqué doit être lu avec attention pour bien le comprendre. Globalement, il dit deux choses très graves.

D’abord que lorsque l’enquête préliminaire ou l’instruction porte sur une infraction de fraude fiscale, de financement du terrorisme, de corruption ou de trafic d’influence – et blanchiment de ces délits – et que les éléments détenus ou transmis par l’avocat établissent la preuve de leur utilisation aux fins de commettre ou faciliter le délit, le secret saute. Cela concernera donc l’avocat qui conseille, plus que celui qui défend devant les cours et tribunaux. Mais cet anéantissement du principe du secret du conseil, qui vise particulièrement le conseil en droit des affaires, ne peut laisser indifférent. Pour contourner le secret de l’avocat, il suffira donc de mentionner que l’investigation porte sur l’une des infractions visées au texte. Et comme la liste de ces infractions recouvre l’essentiel des infractions financières, cela revient à dire que le conseil en droit des affaires, dans le cadre des enquêtes pénales, ne pourra plus opposer le secret professionnel.

La deuxième disposition est encore plus inquiétante : lorsque qu’il est suspecté que l’avocat est au coeur d’une manœuvre, même de façon non intentionnelle, aux fins de commettre poursuivre ou dissimuler la commission d’un de ces délits, alors le secret ne sera pas opposable. Là encore, cela rend de facto le secret inopposable en toutes circonstances car il suffira à l’enquêteur de dire qu’il soupçonne qu’une consultation est à la source d’une infraction pour saisir un document ou des correspondances. On vient de pulvériser le secret professionnel en matière de conseil.

Actu-Juridique : Pourtant à l’origine, le projet de la loi sur la confiance dans la justice avait introduit le secret de la défense dans l’article préliminaire du code de procédure pénale, puis celui du conseil…

MP. : C’est un terrible retour de bâton. Auparavant, pour pouvoir dire que le secret ne pouvait être opposé, il fallait démontrer que le document saisi et couvert par le secret professionnel révélait la commission de l’infraction. En clair, à l’exception de la matière fiscale, et en dehors du cas ou l’avocat était co-auteur de l’infraction reprochée, le secret professionnel prévalait largement. Désormais, sur le fondement de ce texte, on ne voit pas ce qu’on pourrait encore opposer. C’est la négation d’un pilier absolument fondamental de notre système. On a toujours considéré en France le secret de l’avocat comme cardinal. La réforme mise en oeuvre bouleverse le fondement même de la profession, et remet en cause profondément les droits de la défense.

Actu-Juridique : Comment a-t-on pu en arriver à un tel renversement ?

MP. : Après avoir largement voté le principe d’une loi qui allait très au delà de ce que demandaient les avocats, la majorité républicaine au Sénat a violemment laissé entendre que le secret de l’avocat permettait la dissimulations d’infractions. Lors de la Commission mixte paritaire, les parlementaires qui avaient voté unanimement le renforcement du secret ont changé d’avis, devant la pression des syndicats de policiers. Les Socialistes se sont abstenus, et le garde des sceaux n’a pas su s’opposer. Avec ce texte, le secret est réduit à la défense pénale à l’audience.  Le seul espoir réside désormais dans la saisine du Conseil constitutionnel.

 

 

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