Lettre à mon secret

Publié le 22/10/2021

Jeudi 21 octobre, la commission mixte paritaire réunie sur le projet de loi Confiance dans la justice a adopté une version du texte qui limite le périmètre du secret de l’avocat en matière de fraude fiscale, corruption, trafic d’influence, et blanchiment de ces délits.  Me Julia Courvoisier exprime l’inquiétude et la colère de la profession face à cette atteinte à une garantie fondamentale de l’état de droit. 

Lettre à mon secret
Photo : ©AdobeStock/Patricia W

« L’avocat est le confident nécessaire du client.

Le secret professionnel de l’avocat est d’ordre public. Il est général, absolu et illimité dans le temps.

Sous réserve des strictes exigences de sa propre défense devant toute juridiction et des cas de déclaration ou de révélation prévues ou autorisées par la loi, l’avocat ne commet, en toute matière, aucune divulgation contrevenant au secret professionnel » – article 2-1 du Règlement intérieur national de la profession d’avocat.

 

Mon cher Secret,

Mon cher ami,

Mon cher frère,

 

Je crains ce soir que nous ayons perdu une bataille pour ta survie. Et j’en suis navrée.

Nos luttes sont vaines et nos mots inaudibles.

Mes confrères et moi avons manifesté, écrit des tribunes, tweeté, tenté de négocier : sans succès.

Ce soir, les députés et sénateurs français, ceux du pays des Lumières, de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen, du code pénal et des droits de la défense, viennent de te porter un coup de couteau en plein coeur.

Et donc, dans le mien, et dans celui de mes confrères.

Et mes représentants, qui ont pourtant beaucoup « braillé », n’ont rien pu faire.

Notre Ministre de la Justice, ancien ténor du Barreau, surnommé « acquitator », l’un des meilleurs pénalistes de sa génération, a laissé faire cette atteinte hors du commun, jamais vue dans une démocratie moderne. Dans quelques heures, il sera voté, pour la première fois depuis ta naissance officielle en 1810, une exception à ton existence afin de lutter contre certaines infractions.

Oui, pour lutter contre certains délinquants, la France vient de décider de s’attaquer à toi. Comme si tu étais un obstacle à la paix publique et à la sécurité des Français. Comme si, à cause de toi, des délinquants financiers étaient en liberté et continuaient de violer la loi en toute impunité.

Pourtant, lorsqu’en 1810, tu as été inscrit dans le code pénal, mes ancêtres y ont vu, à très juste titre, une avancée des Droits de l’Homme durement acquise par la Révolution française : la défense ne se conçoit que si l’avocat garantit à son client un secret équivalent à celui de la tombe. Et c’est parce que l’avocat t’es soumis que son client va se confier à lui et lui révéler des éléments importants qui pourront servir à sa défense.

Un absolu secret pour une bonne défense

La défense n’a pas pour objet de remettre des coupables en liberté, bien au contraire : il s’agit d’arriver à la vérité judiciaire et ce que nous pensons être la Justice, une décision équilibrée et juste.

Bien avant 1810, les avocats estimaient déjà devoir à leurs client un absolu secret, et ce, dans l’intérêt d’une bonne défense. C’était une obligation morale, certes, mais une obligation quand même. Cette idée que certaines professions doivent s’exercer sous le sceau du secret remonte, figure-toi, au Moyen âge et à la Renaissance, c’est dire de ton histoire séculaire !

Alors lorsque j’ai prêté serment le 2 décembre 2009, je me suis obligée à deux choses fondamentales :

*respecter mon serment coûte que coûte, c’est à dire exercer mon métier d’avocate avec « conscience, dignité, indépendance probité et humanité»,

*te respecter strictement, et ne rien divulguer des confidences de mes clients, sous peine de commettre moi-même une infraction pénale (l’article 226-13 du code pénal disposant que « la révélation d’une information à caractère secret par une personne qui en est dépositaire soit par état ou par profession, soit en raison d’une fonction ou d’une mission temporaire, est punie d’un an d’emprisonnement et de 15 000 euros d’amende»).

Et souviens-toi de ce sombre jour où, convoquée par l’IGPN, il m’a été demandé pendant près de 2 heures comment j’avais obtenu une information communiquée lors d’une audience. Te souviens-tu ce que j’ai, avec le coeur battant, les mains moites et les jambes tremblantes, répondu à ce policier attendant que je te livre en pâture ? Je lui ai répondu que je n’avais pas prêté serment pour céder à la moindre menace, et que si je devais me retrouver devant un tribunal correctionnel pour complicité de je ne sais quoi, je prendrai le risque. Et que si je devais être condamnée, je le serai la tête haute car je ne t’aurai pas jeté en pâture à ce policier avide de « savoir ».

Je t’ai protégé et en te protégeant, j’ai protégé une chose essentielle : la confiance que mon client doit pouvoir avoir en moi lorsqu’il me confie la défense de ses intérêts.

C’est ce jour-là que j’ai su que tu  coulais nécessairement et instinctivement dans mes veines.

Lorsque le 2 décembre 2009, je me suis avancée devant la première chambre de la cour d’appel de Paris pour devenir avocate, portant pour la première fois de ma vie ma si belle robe de défenseur, j’ai accepté d’être obligée.

« Nos batailles ont échoué et tu es à genoux »

J’ai accepté d’être ton obligée, et avec toi, d’être l’obligée de l’état de droit dans lequel je vis.

Mais pas uniquement. Je suis aussi le fruit d’une histoire : celle des avocats et des droits de la défense.

Devenir avocat c’est accepter d’être le défenseur d’un système de justice et de valeurs démocratiques.

Alors ce soir, je m’en veux vis à vis de toi. Nos batailles ont échoué et tu es à genoux.

Tout comme mon coeur d’avocate, tu saignes.

Il faudra dorénavant que tu cèdes dans l’espoir de pouvoir arrêter quelques délinquants en col blanc.

Et après eux, qui d’autre ? Devant quelles infractions faudra-t-il que tu te couches ? Qui sont mes clients qui ne pourront plus me faire confiance ? Qui sont ceux qui ne voudront plus me parler ?

Alors ce soir, je te fais une promesse.

« Je ne céderai jamais »

Plus tu seras attaqué, et je crains que tu ne le sois encore dans les prochains mois, et plus je soulèverai des nullités de procédure.

Plus tu seras bafoué, et plus j’opposerai aux magistrats les principes qui coulent dans mes veines, comme la présomption d’innocence ou l’égalité de tous devant la loi.

Plus tu seras en danger, et plus je débattrai de tout, plus je ferai appel de tout, plus je contesterai tout.

Je te le promets, mon cher Secret, mon cher ami, mon cher frère : jamais je me résignerai à balancer celui que je suis chargée de défendre et de protéger.

Je te le promets : je ne céderai jamais.

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