Nathalie Attias : « Le consentement est la chose la plus précieuse que vous avez » !

Publié le 25/10/2023

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À l’occasion de la 6e édition de la Journée du droit dans les collèges, qui a lieu chaque 4 octobre, Actu-Juridique a suivi Me Nathalie Attias qui exerce au sein du cabinet Wan principalement en droit social et membre du CNB, qui intervenait dans les Hauts-de-Seine, dans un collège de Courbevoie. Une intervention sur le thème du harcèlement et des discriminations à laquelle les élèves ont participé activement et avec brio. Reportage.

Quand elle évolue dans une classe, l’aisance naturelle de Nathalie Attias – chemise blanche impeccable, lunettes graphiques sur le nez – ne lui fait jamais oublier la mission importante qu’elle et les autres avocats véhiculent chaque 4 octobre, lorsqu’ils franchissent la porte d’un nouvel établissement. La Journée du droit dans les collèges, issue d’un partenariat entre le CNB et l’Éducation nationale, fait en effet entrer le droit dans l’arène éducative. Mais après tout, n’est-il pas partout, y compris dans l’achat d’une baguette, « un contrat de vente », ou le contrat tacite passé avec les réseaux sociaux quant au « respect des conditions générales de vente », rappelle d’emblée l’avocate ?

Aujourd’hui, c’est au collège la Bruyère de Courbevoie (92) que Nathalie Attias rencontre des élèves de 5e. Le thème de cette édition porte sur le harcèlement et les discriminations. L’actualité, avec les suicides récents de Lucas, Lindsay, de cet adolescent de 15 ans à Poissy ou encore la dernière interpellation en pleine classe d’un présumé élève harceleur à Alfortville soupçonné de propos homophobes – montre combien le sujet est en train de percer. Le ministre de l’Éducation nationale, Gabriel Attal, tient à faire de la lutte contre le harcèlement scolaire une priorité, alors que le plan Phare a été expérimenté de 2019 à 2021 et est désormais présent dans 64 % des écoles et 91 % des collèges. Dans cet établissement de Courbevoie, la question parle à Jamila Saafi, la principale adjointe. « Nous sommes en plein dedans. Ce sujet est difficile, car on demande beaucoup à l’école, alors que la responsabilité parentale compte également. Certains élèves se retrouvent par exemple avec des comptes personnels sur des réseaux sociaux en dessous de l’âge normalement demandé ». Mais le vrai « fléau » à ses yeux, ce sont les « groupes classes ». « Ça part d’une bonne intention, échanger des informations, mais cela peut déraper rapidement. La plupart des élèves surenchérissent par effet de groupe. On demande à l’école d’intervenir mais nous n’avons aucun moyen », regrette-t-elle.

« Internet n’oublie jamais »

10 heures : La séance débute. Après avoir brièvement parlé de la formation nécessaire pour devenir avocat, Nathalie Attias interroge les élèves : savent-ils ce qu’est le harcèlement ? L’idée de l’exercice est de « leur permettre d’identifier, ce qui, dans leur quotidien, peut ou non relever du harcèlement », nous explique-t-elle. L’occasion aussi de « mettre des mots sur des pratiques ». Les mains se lèvent, les réponses fusent. « Oui, c’est cela, il y a bien le critère de la répétition, une agression physique ou verbale, commente-t-elle. Un autre critère important est l’atteinte portée à la dignité ». Quand la question du harcèlement sexuel est abordée, elle en donne cette définition. « Faire pression sur quelqu’un pour coucher ou sortir avec. Mais dans ce cas, quand la personne a tellement insisté que vous avez cédé pour ne plus avoir à subir cette pression, votre volonté n’a pas été respectée. Quelle question cela soulève-t-il ? » Un élève avance : « Le consentement ? » – « Oui ! Dans la vie, que l’on soit enfant ou adulte, on ne doit jamais faire quelque chose qu’on n’a pas envie de faire. Vous savez, cette petite voix qui vous parle et vous fait sentir que quelque chose ne vous plaît pas ? Elle ne vous trompe jamais. Votre consentement est la chose la plus précieuse que vous avez, avec votre réputation. On en reparlera quand on évoquera le cyberharcèlement ».

Au fil de la discussion, elle met aussi sur la table le principe de la présomption d’innocence ou encore l’âge à partir duquel un enfant peut être emprisonné dans un CEF. « 13 ans », lance une élève. Nombre d’entre eux tombent des nues, mais définir le « discernement » permet de leur faire prendre conscience de leurs responsabilités. « À 13 ans, on est capable de comprendre ce pour quoi on est jugé », avance Nathalie Attias. Identifier le harcèlement, notion de consentement, de dignité humaine et de responsabilité, autant de concepts qui constituent des outils pour faire de « ces élèves des adultes et des citoyens responsables ».

D’autres idées sont abordées au cours de ces deux heures très intenses. Le casier judiciaire, avec son volet judiciaire qui ne s’efface jamais contrairement au bulletin numéro 3, et quelque chose « d’encore plus impitoyable… Internet ! Oui, internet n’oublie jamais » ! Nathalie Attias glisse alors un conseil : « avant de poster une photo indécente de vous, un commentaire insultant ou de citer quelqu’un en des termes négatifs, posez-vous cette question : est-ce que j’ai envie qu’on se souvienne de moi comme ça sur internet ? »

Quand elle évoque les menaces de mort que les élèves peuvent envoyer ou recevoir, les enfants lancent de nombreux exemples : « Je vais t’égorger », « va te noyer ». Le pire ? « Va te suicider ». Pourquoi, interroge l’avocate ? « Car on fait sentir à la personne qui reçoit ce message qu’elle ne vaut rien, qu’elle n’a aucune importance, que c’est mieux qu’elle n’existe pas », analyse une élève. Face à cela, le respect, l’empathie, dont sont dénués « les psychopathes et les tueurs en série », précise-t-elle, sont les meilleurs outils. Enfin, l’exhibition sexuelle, qui consister à envoyer une photo de son sexe sans le consentement du récipiendaire, ou encore le « revenge porn » qui brise les réputations sont aussi évoqués. L’avocate met également en garde contre le tout virtuel : « C’est plus sympa la vraie vie ou sur les réseaux ? » Unanimement, les élèves répondent « la vraie vie », comme pris en étau entre leurs aspirations profondes et une vie sociale qui dépend des réseaux sociaux.

Les réseaux permettent par ailleurs la prolongation du harcèlement scolaire sans aucune limite. « Le harcèlement scolaire, c’est quand une meute embête un autre élève, seul, l’agresse verbalement, le rabaisse, pour prendre le contrôle sur lui », définit une élève. « Oui, abonde Nathalie Attias. Cette réponse est excellente car ce qui est typique du harcèlement, c’est d’embêter quelqu’un pour le dominer ». Enfin, les conséquences sont abordées : dépression, déprime, crises d’angoisse, phobie scolaire, somatisation… « Ça peut bousiller la vie des gens », rappelle-t-elle. Et ne pas dénoncer, de peur de passer pour « une balance », est considéré aux yeux de la loi comme « non assistance à personne en danger » ! Il faut donc sortir du silence et s’adresser aux adultes, à commencer par la conseillère Madame Deshayes, référent harcèlement, présente pour la séance de ce jour et qui mène un travail au quotidien auprès des élèves. Dans l’établissement, Jamila Saafi précise l’existence d’un protocole très précis en trois étapes en cas de signalement : d’abord un entretien avec la victime, puis les témoins, enfin l’auteur présumé. « Cela nous permet de collecter un maximum d’informations, même si nous sommes limités : nous ne sommes pas en mesure d’avoir accès à certains éléments de matérialité comme c’est le cas pour la police. Parfois nous n’avons que des bribes de conversation, sans être capables de voir qui a commencé le harcèlement. Il s’agit aussi de mettre les bons mots. Embêter un élève, c’est mal, mais si ce n’est pas répété, il ne s’agit peut-être pas de harcèlement à proprement dit ». La question est d’autant plus sensible qu’il a été récemment évoqué la possibilité de confisquer les téléphones des élèves harceleurs ou qu’un proviseur puisse sanctionner des élèves d’un autre établissement, « mais sur quels fondements juridiques ? », s’interroge la principale adjointe, qui précise avoir distribué un protocole harcèlement aux parents par souci de transparence.

Retour en classe. Sur la discrimination, directe ou indirecte, des mots sont également posés. « Traiter quelqu’un de manière défavorable par rapport à son physique, son sexe, sa couleur de peau, son état de santé, sa religion, etc. » Touche amusante : l’empressement des élèves à noter l’article 222-22-2 du Code pénal sur leur carnet (relatif au harcèlement) quand Nathalie Attias plaisante en demandant : « Vous voulez pouvoir frimer ce soir ? Vous pourrez en parler à vos parents, ils ne connaissent sans doute pas tous le Code pénal ».

Un procès fictif pour rendre les choses concrètes

La dernière partie de l’intervention enchante les élèves : il s’agit de reproduire le cadre d’un procès fictif au tribunal pour enfants. Le contexte : dans un collège, Tom, 13 ans, prend des photos de son équipe de foot dans les vestiaires. Sur ses clichés, une autre élève du même âge, Sonia, apparaît en soutien-gorge alors qu’elle est en train de se changer. Il poste les photos sur les réseaux sociaux, commente son physique en le traitant de « moche », critique ses « petits seins » et s’attaque à sa religion – elle est musulmane.

La moitié de la classe doit défendre Tom, l’autre Sonia. Abigail, Lola et Kenza sont soulagées de défendre Sonia car certains ont encore du mal en effet à comprendre la nécessité de défendre même ceux qui apparaissent comme les plus coupables. Kathlyn prend la parole en premier, en qualité d’avocate de la défense. « La dignité de Sonia a été touchée, rappelle-t-elle. Et l’accusé a posté cette photo en public et toute l’école a mis des commentaires méchants et injustes. Comme Sonia est musulmane, elle a aussi eu droit à des commentaires racistes, en meute ». Les explications de Nathalie Attias ont porté : l’apprentie avocate rappelle que les circonstances aggravantes de cyberharcèlement peuvent faire monter la peine à 3 ans d’emprisonnement et 60 000 euros d’amende. « Elle n’a pas donné son consentement, c’est un peu comme si elle avait été violée et c’est une violation de ses droits », évocation de son « droit à l’image », ajoute Kathlyn.

Nathalie Attias, se glissant dans la peau du président d’audience, déclare à la défense : « la partie civile a exactement rappelé la gravité des manquements reprochés à son client. Votre tâche, Maître, va être difficile ».

Amaury, dans la posture de l’avocat de la défense, prend alors la parole : « Tom a pris en photo son équipe, Sonia n’était pas le sujet de sa photo. Mais on peut lui reprocher de l’avoir mis sur les réseaux, concède-t-il. Ensuite, il l’a insultée. Mais il n’a que 13 ans. Il n’a pas toute conscience. Il devient un adulte, mais pas tout à fait encore. Ce jugement peut lui servir à tirer une leçon ».

Reste la question des commentaires racistes : « Il a lancé cette vague de messages haineux sur les réseaux sociaux, les autres ont suivi. S’il n’avait pas mis ce premier message, que se serait-il passé ? Est-ce que les commentaires racistes ou physiques viennent vraiment de lui ? » Il plaide la relaxe pour son client, qui lui est accordée.

L’avocate se satisfait de leur prestation : « le premier travail de l’avocat, c’est de contester la matérialité des faits, à la suite de quoi il conteste la qualification juridique ». De vrais réflexes de professionnels. « Je suis béate de satisfaction ! ajoute-t-elle. Vous avez compris les principes de la profession d’avocat, et que tout le monde doit bénéficier d’une défense. Cette plaidoirie était digne de ce nom » ! Le procès fictif est une initiative pédagogique pertinente, qui « exerce leur rhétorique, leur réflexion. Cela les pousse à ne pas se contenter de la première information donnée », analyse-t-elle après coup. Elle a semé des graines. Certains ont même dit vouloir devenir avocat. « Quand j’entends ça, je ne me réjouis pas pour des raisons corporatistes. Je vois au-delà, je vois l’altérité, la volonté de défendre l’autre. Je me dis qu’ils sont attirés par la justice et par l’envie de défendre. Avoir le souci de défendre, c’est une belle vocation ».

Du côté de l’établissement, la satisfaction se trouve dans la présence d’une intervention extérieure. « Nous, nous sommes ceux qui radotent, plaisante Jamila Saafi, mais venant de l’extérieur, cela a d’autant plus de poids. Les avocats viennent en appui du travail mené et permettent un rappel à la loi ». Et si la sanction de relaxe n’est pas celle qu’aurait envisagée la principale adjointe, confie-t-elle, « la démocratie a parlé »…

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