Nathalie Barbier, « docteur de l’âme » du 93 !

Publié le 21/11/2023

Après plus de 35 ans de Barreau, Nathalie Barbier a défendu le « tout 93 » ! Au service de « la justice du quotidien », elle a accepté pour Actu-Juridique de revenir sur sa carrière, marquée par deux ans de Bâtonnat. Exerçant aujourd’hui au barreau de Paris, elle garde une activité en Seine-Saint-Denis, et tire le signal d’alarme quant à son appauvrissement, qui se traduit par un moindre recours à l’assistance d’avocats.

« Avec Nathalie, une chose est sûre, c’est qu’on ne s’ennuie jamais !  », lance Me Marlène Viallet, son associée depuis de longues années. Et cela commence dès qu’on sonne à la porte du petit pavillon de Drancy (93) bordé par les herbes folles : elle sort en trombe de son cabinet pour rattraper Rivoli, un chien aussi petit que bruyant. Une fois Rivoli maîtrisé, l’avocat- « parce qu’on a une robe, et pas de sexe sous la robe » – s’installe derrière son grand bureau, et, tire, entre deux ongles vernis de rouge, une slim de son paquet. Avec un débit très rythmé, elle nous raconte sa dernière affaire. Elle a défendu, devant la cour d’assises, la victime d’un agresseur sexuel qui sévissait auprès de plusieurs élèves en tant qu’assistant d’éducation. Celui-ci avait déjà été mis en cause pour de tels faits en 2018, alors qu’il était surveillant d’une école primaire… mais le dossier avait été classé sans suites. « Alors que quatre enfants s’étaient plaints, l’Éducation nationale a préféré ne pas faire de vague », dénonce Nathalie Barbier. Elle enchaîne :  « La semaine suivante, j’ai défendu un tout jeune homme accusé de viol. Il a lu une lettre d’excuses à l’audience, plusieurs années après les faits. La victime aujourd’hui mère de famille, a accepté ses excuses, en répétant qu’elle n’oublierait jamais. Parfois, la justice peut être restaurative », estime l’avocat. Si elle a choisi au départ la robe pour « défendre la veuve et l’orphelin », Nathalie Barbier a vite abandonné cette perspective. « J’aime le droit, j’aime être une partenaire du procès, j’aime faire peser dans la balance la parole contradictoire », tente-t-elle aujourd’hui de se définir.

Madame le bâtonnier du 93

Rien n’était couru d’avance pour cette jeune femme originaire de Saint-Nazaire. Le divorce de ses parents, pendant son bac, retarde l’entrée en études de la brillante matheuse. Elle n’entame donc son droit qu’à 24 ans, après des années de petits jobs saisonniers. La jeune femme doit alors mener de front un cursus exigeant, et un job de pionne en lycée. Une fois l’examen d’entrée à l’école d’avocats en poche, elle décide de descendre à Paris… et atterrit à Versailles, destination à l’époque réservée aux provinciaux. Plutôt à l’aise dans le droit civil au départ, Nathalie Barbier connaît l’Épiphanie du droit pénal en voyant plaider Jean-Yves Lienard à la cour d’assises. Elle obtient un stage dans son cabinet, et c’est le ténor qui lui conseille de s’installer à Bobigny. Elle y dépose donc ses valises en 1989, et commence par travailler dans un cabinet spécialisé dans les expulsions locatives. « Je suis restée six mois là-bas, et depuis, je ne peux plus traiter cette matière, car elle me touche trop », relate Nathalie Barbier. Puis elle trouve une place chez « un vieil avocat excentrique qui me laissait faire tout ce que je voulais ». Commissions d’office, permanences… Huit mois après avoir prêté serment, la jeune première doit faire ses premières assises. « Exceptionnellement, on m’a autorisée à m’installer au bout d’un an de barre, en 1990 », relève-t-elle.

Rapide, également, son envie de devenir bâtonnier. « J’ai siégé six mois au Conseil de l’ordre, puis j’ai été élue en 2006, à une voix près ! J’ai toujours eu envie de faire bouger les choses », confie-t-elle, s’engageant dans le récit de la période qui constitua à coup sûr l’apogée de sa carrière.  « Aux côtés du président, Philippe Jeannin, et du procureur, François Molins, nous avons écumé 700 dossiers en souffrance, développée la comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité, les permanences sur le territoire, déployé des juges d’application des peines en maison d’arrêt. J’ai également contacté les maires du département pour qu’ils ouvrent partout des maisons du droit », liste Nathalie Barbier. Elle défend également les intérêts de ses pairs du 93, obtenant que la préfecture ouvre des appels d’offres pour assurer sa défense, plutôt que de s’adjoindre systématiquement les services d’avocats parisiens. Enfin, Madame le bâtonnier s’improvise rédactrice en chef d’un bulletin trimestriel du barreau. « Et puis, le 30 octobre 2007, il y a eu l’explosion de Bondy ». Une personne décède et cinquante sont blessées dans l’explosion d’un immeuble du fait d’une fuite de gaz. Elle répond du tac au tac, en créant une commission de défense des victimes, qui propose encore aujourd’hui chaque matin une permanence pour leur délivrer gratuitement une information de qualité et leur proposer une défense. « Je suis fière d’avoir participé à ce que le Barreau de la Seine-Saint-Denis sorte de l’ombre de celui de Paris », explique l’ex-Bâtonnier. Elle garde également un souvenir ému de ses décorations dans l’Ordre national du Mérite, remise par Rachida Dati, en 2007, puis de la Légion d’honneur remise par Christiane Taubira.

« Toute personne qui entre dans un tribunal est en souffrance »

« J’ai plaidé dès le lendemain de la fin de mon bâtonnat. Je défendais un accusé dans une difficile affaire de violence ayant entraîné la mort d’un homme à Épinay-sur-Seine. Je me suis assise sur le banc de la défense, et j’étais bien », se souvient Nathalie Barbier. Elle se souvient aussi d’un de ses premiers dossiers où une femme était accusée, avec vingt autres, d’avoir excisé leurs propres filles. « C’était un dossier passionnant, où l’on a auditionné des gens de la Caisse régionale d’assurance maladie, des chirurgiens, des sociologues, des psychologues… la femme que je défendais avait évolué, et n’avait pas excisé ses deux dernières filles. C’est un de mes dossiers les plus marquants », se souvient-elle. Après ce premier dossier emblématique, les affaires se succèdent rapidement. Elle en liste quelques-unes : la défense de parents accusés du meurtre de leur enfant de six ans, le braquage du commissaire-priseur de Fontainebleau, la défense d’un éminent syndicaliste policier… « Pour moi, toute personne qui rentre dans un tribunal est en souffrance : un enfant, un prévenu, une femme qui divorce. Nous, on est là pour conseiller, pour porter le sac à dos de leurs problèmes. Nous sommes en quelque sorte des docteurs de l’âme » ! Longtemps, la ténor n’a défendu que des accusés. « J’ai dû, de manière exceptionnelle, intervenir sur des dossiers de défense de victimes. Après cela, je n’ai plus jamais défendu de la même manière. J’ai retiré de cette expérience l’idée que l’agressivité est inutile : je me bats contre le parquet, pour qu’il prenne aussi en compte le droit et le parcours des accusés », estime-t-elle.

« Quand je vais voir mes clients au parloir, on discute bien sûr des dossiers, mais aussi de bien d’autres choses », raconte Nathalie Barbier. Elle aime que les clients s’assoient à son bureau, et lui racontent leur vie, « leurs secrets les plus intimes ». Mais se défend d’être trop tendre avec eux : « Il faut parfois les malmener pour leur faire admettre la réalité des faits et les obliger à réfléchir sur leur gravité. Non seulement pour eux-mêmes, mais également pour le tribunal ». Me Nathalie Barbier traîne dans les couloirs du palais, nous avoue-t-elle, une réputation d’avocat « tonique et acharnée ». « Je suis très respectueuse de la justice et des magistrats. Mais quand je ne suis pas d’accord avec le tribunal, je ne peux me résoudre à me taire, et là… plus rien ne m’arrête ». Comme cette fois où le juge des libertés et de la détention avait pris connaissance d’un mémoire de vingt pages qu’elle avait rédigé pour demander la libération de son client, en présence d’un procureur, violant ainsi la sacro-sainte séparation des pouvoirs. « Je me suis emportée, et le juge des libertés et de la détention a dû publiquement me garantir son indépendance. Il a fini par accéder à ma demande, et le client m’a remercié à genoux », raconte l’avocat.

Paupérisation

L’appauvrissement de la population du département périphérique la pousse pourtant à penser à s’installer à Paris. « On observe en Seine-Saint-Denis une vraie chute du nombre d’affaires. Il y a une paupérisation des citoyens lambda. N’étant pas en capacité de payer deux loyers, ils repoussent leur divorce, qui, du fait de l’engorgement de la justice, dure deux ou trois ans… Cela ne nous permet pas de faire tourner nos cabinets. Si vous passez une après-midi à la 12e chambre correctionnelle, devant le juge unique du tribunal judiciaire de Bobigny par exemple, vous pourrez constater qu’il n’y a que quelques avocats pour plus d’une trentaine de dossiers. cela signifie que les gens se défendent eux-mêmes », s’inquiète-t-elle. La dégradation des rapports entre les magistrats et les avocats la tourmente : « Maintenant les magistrats sont souvent barricadés, on a le sentiment qu’ils craignent d’échanger sur les dossiers alors que cela permettait bien souvent de faire avancer les choses et on a trop souvent l’impression que nos plaidoiries trop longues les ennuient. À leur décharge, ils sont en train d’imploser, pressés comme des citrons », se désole-t-elle.

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