Plate-forme Agora : donner la parole aux avocats parisiens
Le 30 septembre dernier, l’ordre des avocats de Paris lançait, en association avec la civiltech Stig.pro, la plateforme Agora qui vise à encourager l’intelligence collective. Ouverte jusqu’au 6 novembre prochain, elle invite l’ensemble des avocats parisiens et des élèves inscrits à l’EFB, à s’exprimer et à prendre part à une large conversation abordant cinq grands thèmes concernant la profession : la reprise de l’activité, l’entrepreneuriat, le quotidien de l’avocat, la vie ordinale et le système judiciaire. À chaque thématique, une question ouverte invite à réfléchir sur les actions que pourrait mener l’ordre afin de faciliter la vie des avocats de son barreau. Cette consultation démocratique a vocation à se poursuivre avec la tenue des élections ordinales d’ici la fin d’année. Olivier Cousi, bâtonnier de l’ordre des avocats de Paris, revient sur cette démarche.
Les Petites Affiches : Comment est née l’idée de lancer la plate-forme Agora ? Est-ce spécifiquement lié à l’annus horribilis que nous traversons ?
Olivier Cousi : Depuis un certain temps, nous constations que nous avions du mal à recueillir la parole de nos confrères. C’est assez paradoxal car il y a d’ordinaire assez peu de contacts entre l’ordre et les avocats, ou s’il y en a, c’est souvent pour de mauvaises raisons, comme des questions déontologiques. Dans ces cas-là, ce n’est pas une vision très positive qui s’en dégage. Mais de l’autre côté, quand il n’y a pas de contacts, les avocats se demandent un peu à quoi sert l’ordre. En revanche, une fois que ces contacts se sont opérés, ils sont très satisfaisants. Lancer cette plateforme était une façon de remplir ce vide, de créer ce lien avec les confrères.
Nathalie Roret (vice-bâtonnière) et moi-même, avions déjà cette idée en tête pendant notre campagne, puis au moment de notre élection. Il se trouve que les avocats se sont davantage rapprochés de l’ordre depuis le confinement, car ils se sont sentis isolés. Nous avons alors alimenté la communication et beaucoup développé l’accès à des informations relatives aux questions sanitaires, etc. Nous avons donc constaté un phénomène de repli vers l’ordre que nous avons naturellement apprécié.
LPA : Quel changement s’est opéré ?
O.C. : Il n’y avait plus d’événements physiques, même le fameux bal du Barreau a été annulé… Or ces événements sont nécessaires pour favoriser le lien. C’est dans ce contexte que l’ordre est apparu comme un partenaire qui accompagnait vraiment les avocats au quotidien et était capable de répondre à leurs questions.
LPA : Avec la plate-forme Agora, vous poursuivez donc ce rapprochement ?
O.C. : C’est finalement un vieux projet qui permet de nous rapprocher des avocats et de recueillir leurs suggestions et préconisations. Et pour l’instant, c’est un franc succès ! Nous avons déjà recueillis entre 9 000 et 10 000 votes en moins de deux semaines, ce qui est considérable. Quant au profil des répondants, il est varié : des collaborateurs, des associés, des jeunes ou moins jeunes, etc. Cela montre un vrai besoin de démocratie directe.
LPA : Le besoin de démocratie directe se constate-t-il dans l’ensemble de la société ?
O.C. : Je ne suis pas un spécialiste de la question mais oui, on le voit par exemple avec le référendum d’initiative citoyenne. C’est aussi le résultat d’un monde digitalisé, qui donne accès à des outils numériques souples et performants. Déjà, la pandémie nous a habitués à travailler à distance et à avoir davantage recours aux outils numériques. Ainsi, l’attente de ce rapprochement est, elle, ancienne mais les outils, eux, sont modernes.
LPA : Qu’est-ce qui fera de cette opération un succès ?
O.C. : Il faut encore attendre quelques semaines mais si nous doublons les connexions, ce sera très bien. Par ailleurs, il y a autant de connexions que de votants aux élections. Ce qui est très surprenant, là encore, en bien, et c’est déjà un objectif en soi ! Ce sont en tous cas de très bons signes pour la démocratie ordinale.
LPA : Comment avez-vous choisi les cinq thèmes ?
O.C. : Ce sont des thèmes suffisamment larges qui permettent de regrouper toutes les préoccupations des confrères, qu’il s’agisse des activités économiques ou des relations avec l’ordre. La thématique la plus sollicitée pour le moment concerne le quotidien de l’avocat. Et c’est très intéressant, parce que c’est au cœur du travail que nous avons initié depuis le début de notre mandat : rapprocher l’ordre des avocats de ses membres et que chacun puisse avoir des réponses concrètes à des interrogations concrètes. Beaucoup de cabinets, certes, n’ont pas besoin de cet accompagnement, quand ils ont un office manager ou qu’ils sont bien structurés, mais c’est une demande valable pour d’autres cabinets qui évoluent hors de ces structures. Mais tous peuvent néanmoins avoir des interrogations sur les outils numériques et leur validation afin de répondre aux exigences de cybersécurité, de façon à pouvoir travailler de manière sécurisée avec ces outils modernes.
LPA : De quelle manière le confinement a-t-il accéléré le recours au numérique ?
O.C. : Les freins, s’il y en a eu, n’ont pas vraiment résulté des avocats eux-mêmes. Ils ont montré leur capacité à travailler à distance. À part quelques demandes de dépôts papier ou de demandes pour aller chercher un document physique, nous avons été très peu contactés pour ce genre de cas. Ils n’ont pas vraiment eu de mal non plus pour travailler à distance avec les juridictions et les collaborateurs et stagiaires… Mais les juridictions, elles, à commencer par les greffes, n’étaient pas correctement équipées.
LPA : Les problématiques des avocats parisiens sont-elles les mêmes que celles des avocats n’exerçant pas dans la capitale ? Sont-elles représentatives de l’ensemble de la profession ?
O.C. : Nous nous sommes posé la question lors de la dernière assemblée générale du Conseil national des barreaux, en abordant la question des collaborations. Il apparaît que le turn over des collaborateurs à Paris est largement supérieur à celui en région. Et cela a des répercussions concrètes sur les pratiques : sur les niveaux de rémunération, sur l’installation, sur la création de clientèle, etc. En revanche, sur les schémas économiques ou organisationnels, il y a peu de différences : la question des charges reste la même partout, par exemple.
LPA : Quid de l’exploitation des résultats ? Comment vont-ils être utilisés concrètement ?
O.C. : La civiltech Stig.pro a proposé de classer les résultats selon les thèmes les plus évoqués, selon une hiérarchie établie en fonction des idées les plus actives, les plus demandées, etc. Dans un second temps, nous essaierons de mettre en œuvre les propositions retenues, en tenant compte des considérations budgétaires comme organisationnelles, et d’en débattre afin de les adopter. C’est une source d’inspiration pour notre deuxième année de mandat, ce qui nous permettra de réorienter notre travail si nécessaire, sachant que nos trois axes principaux pour l’instant sont les libertés publiques, le soutien économique – 15 millions d’euros de soutien, c’est historique ! –, l’organisation de l’ordre, la déontologie et le secret professionnel. La mise en œuvre nous permettra de répondre aux besoins de nos confrères et de réunir les sujets autant que possible.
LPA : Cette forme de consultation est-elle inédite ?
O.C. : Non, il y avait déjà eu un projet similaire, mais il y a 15 ans et sous forme de sondage classique. Ce qui est sûr, c’est qu’il y a eu un avant et un après Covid dans toute la société et les avocats n’y échappent pas. Le déclenchement a été le mouvement de réforme des retraites, qui avait fédéré magnifiquement les avocats. Notre profession est alors apparue comme soudée, forte, et comme une puissance d’opposition avec de vraies priorités liées à des contraintes économiques, que l’on vive à Paris ou en région, que l’on exerce dans un petit ou un grand cabinet, que l’on soit jeune ou vieux… Le Covid-19 a conforté le besoin de partager, en montrant que nous faisions face aux mêmes défis et cela a renforcé l’unité de la profession.