Les huissiers de justice lancent une plate-forme pour les lanceurs d’alerte

Publié le 06/02/2018

La Chambre nationale des huissiers de justice a annoncé le lancement d’Alertcys, une plate-forme numérique qui permet aux lanceurs d’alertes de faire un signalement au sein de leur entreprise. La solution a été développée dans le cadre de Syllex, le nouvel accélérateur de legaltechs de la CNHJ.

C’était un point-clé de la loi Sapin II du 9 décembre 2016 de lutte contre la corruption et de modernisation de la vie économique : la définition d’un statut pour le lanceur d’alerte dans un cadre économique. Avec l’entrée en vigueur de la loi au 1er janvier, les entreprises et collectivités de plus de 50 salariés doivent désormais être en mesure de proposer à leurs salariés et collaborateurs un dispositif permettant de signaler tout fait de corruption. Alertcys, la plate-forme proposée par la CNHJ se veut justement une solution clé en main pour permettre aux entreprises de répondre à cette nouvelle exigence légale. « C’est un outil efficace de prévention et de lutte contre la corruption au sein des entreprises. À travers ce projet, porté par l’accélérateur Syllex, la Chambre nationale des huissiers de justice poursuit son objectif de contribuer à l’émergence de solutions juridiques innovantes », détaillait Patrick Sannino, président de la CNHJ. Développée avec l’équipe du Pr Karim Benyekhlef (directeur du Laboratoire de cyberjustice de Montréal), la plate-forme a été́ conçue pour un développement à l’international dans les pays francophones. Deux projets pilotes sont ainsi déjà en cours de développement pour l’exporter au Maroc et en Côte d’Ivoire. Cyril Murie, directeur de l’innovation de la CNHJ, revient pour les Petites Affiches sur le développement de ce nouvel outil.

Les Petites Affiches 

Vous avez récemment lancé la plate-forme Alertcys, pouvez-vous nous en dire plus  ?

Cyril Murie

Alertcys est tout simplement une réponse à la loi Sapin II et à l’obligation pour les sociétés de plus de 50 salariés de mettre en place une procédure de lanceur d’alerte. Il y avait un enjeu important en s’attaquant à ce sujet : celui de garantir la confidentialité du lanceur d’alerte. Après réflexion, nous avons considéré qu’une plate-forme virtuelle était la meilleure solution pour cela. Une entreprise qui voudrait gérer elle-même ce dispositif aurait besoin de réserver du personnel à plein temps à cette tâche et ferait face à des problèmes de confidentialité évidents. Dans ce contexte, le tiers de confiance prend tout son sens, et c’est justement le domaine de prédilection des huissiers de justice.

LPA

Dans le détail quel est le fonctionnement d’Alertcys  ?

C. M. 

En lisant la loi française, et plus précisément en observant de plus près le fonctionnement de la Cnil, on s’aperçoit que la confidentialité doit être assurée, mais pas forcément l’anonymat auquel la Cnil est d’ailleurs peu favorable. C’est dans cet esprit que nous avons conçu Alertcys. Concrètement, l’entreprise va s’inscrire auprès de nous afin d’avoir un accès à la plate-forme et va ensuite signaler à ses employés que les personnes souhaitant déposer une alerte peuvent le faire en se rendant sur alertcys.io. La procédure est très simple : la personne rédige son alerte et nous donne le détail de son identité (de manière optionnelle) qui sera conservée et non transmise à l’entreprise. En général, lorsqu’une personne envoie une alerte elle ne donne pas suffisamment d’information lors du premier échange pour que l’alerte soit traitée correctement. La plate-forme va permettre d’échanger entre l’entreprise et le lanceur d’alerte sans que l’entreprise connaisse l’identité du dit lanceur d’alerte. De notre côté, les huissiers de justice du greffe vont vérifier que l’alerte est bien recevable au sens légal et la rejeter si ce n’est pas le cas, c’est aussi un moyen d’apporter une sérénité à l’entreprise. Dernier point important : la plate-forme va garantir à l’entreprise qu’elle respecte bien les éléments demandés par la loi. Elle enverra un rappel à l’entreprise pour lui dire de respecter tel délai légal de réponse. Une fois le dossier clos, tout est effacé, mais l’entreprise peut recevoir un constat d’huissier de justice pour valider tout ce qui s’est passé sur la plate-forme.

LPA

Dans cette dernière étape, la plate-forme tire justement profit du mécanisme de la blockchain. Le terme est encore mal appréhendé par de nombreuses personnes, pouvez-vous nous en donner une définition simple  ?

C. M. 

Pour utiliser une métaphore, la blockchain est un grand livre décentralisé où vous pouvez écrire les choses et dans lequel on peut avoir confiance. Il est décentralisé dans le sens où il est numérique et que plus personne ne le possède. On y trouve l’ensemble des transactions effectuées et chacun peut aller vérifier que cette transaction a bien eu lieu. Pour notre utilisation spécifique, notre problème est que toutes les données doivent être supprimées une fois le dossier est clos. Mais comme je l’expliquais, il était nécessaire de pouvoir apporter une preuve aux parties que quelque chose a été fait. Nous avons donc décidé d’inscrire les actions qui ont été opérées sur la plate-forme dans cette fameuse blockchain. L’action (l’échange) en elle-même est tracée dans la blockchain, mais le contenu des communications est, lui, supprimé. Cela permet de créer un mécanisme de confiance tout en diminuant fortement les coûts. Ce mécanisme et son utilisation se retrouvent communément dans les cryptomonnaies tel que le bitcoin.

LPA

Existe-t-il des concurrents à Alertcys aujourd’hui  ?

C. M. 

Il existe des médias qui ont mis en place des procédures pour les lanceurs d’alertes en entreprise, mais à l’intérieur même de l’entreprise je pense que nous sommes les seuls à proposer ce type d’outil. Les huissiers de justice se positionnent déjà entre les parties sans prendre position dans la vie de tous les jours et notre objectif est de protéger les deux parties. Nous ne favorisons ni l’entreprise ni le lanceur d’alerte. C’est là que nous nous différencions.

LPA

Ce projet s’inscrit aussi dans le cadre de la création de Syllex, l’accélérateur de start-ups des huissiers de justice. Quel sera son rôle  ?

C. M.

En effet, Syllex a été lancé en novembre 2017. C’est une structure importante pour nous, car elle va accompagner le développement des legaltechs et soutenir l’évolution de la profession. Nous avons fondé cette structure pour trois raisons : d’une part, par ce qu’il n’est pas possible pour nous d’avoir toute la compétence technologique en interne, d’autre part, car ce type de démarche nécessite de lever beaucoup d’argent, ce qui n’est pas le métier des huissiers  ; et aussi car il faudra évoluer à l’international sur ce type de solutions. Les entités qui ont des solutions efficaces et éprouvées dans la résolution de litiges en ligne par exemple restent assez rares. Dès le départ, on envisage donc de s’associer à des gens hors de France pour trouver les technologies les plus adaptées. Syllex nous permet de travailler à la fois sur un laboratoire d’innovation en interne pour améliorer les métiers traditionnels et sur la recherche des nouveaux métiers sur lesquels nous pouvons nous positionner et qui demandent l’utilisation des nouvelles technologies. Concord est l’une des premières sociétés qui a été intégrées. Elle est à l’origine de la création de Médicys, la première solution de médiation en ligne et nous a permis d’acquérir une expertise dans la mise en relation en ligne d’une personne physique et d’une personne morale en collaborant avec le Laboratoire de cyberjustice de Montréal. C’est en se basant sur cette expertise que Concord a développée Alertcys. Nous avons également accueilli la société Idécys, qui travaille sur l’identité numérique.

LPA

Syllex a-t-il vocation à développer des projets dédiés uniquement à la profession d’huissier  ?

C. M.

Non pas forcément, ce que l’on veut avant tout c’est aider les gens à résoudre leurs litiges en rendant leur résolution financièrement rentable pour tout le monde. Aujourd’hui, en France, si un litige est inférieur à 4 000 euros, on vous déconseillera de poursuivre, car cela sera trop cher et trop long. On veut changer cet état de fait, que le seuil descende à 500 euros pour que tout le monde puisse faire ça de manière rapide et rentable. Et pour cela, il faut des plates-formes. Cependant, loin de nous l’idée de réserver ces outils aux huissiers de justice, nous souhaitons au contraire nous adresser à tous les professionnels du droit. Avec Syllex, nous allons prendre des sociétés et les accompagner sur le long terme. Il n’y aura pas plus de 7 sociétés que nous allons suivre sur au moins 5 ou 6 années. Et si nous les choisissons, c’est à la fois parce que l’on croit en elles et que nous avons besoin de ce qu’elles vont apporter. C’est également intéressant pour ces sociétés, car elles savent qu’elles nous auront pour client dès le départ.

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