Rentrée de la conférence de Nanterre : « Un barreau sur tous les fronts »

Publié le 21/12/2023

Solidarité avec les barreaux d’Ukraine, d’Arménie… La situation internationale était au cœur de la 35e rentrée de la Conférence du barreau des Hauts-de-Seine, le 17 novembre dernier, au centre évènementiel de Courbevoie (92). L’occasion aussi pour Isabelle Clanet dit Lamanit et Fabien Arakelian de dresser le bilan d’une première année de co-bâtonnat ancrée sur le terrain.

Grave et mélancolique, voire crépusculaire : la mélopée qui s’échappe du duduk- une sorte de hautbois -du maître arménien, Levon Minassian, donne le ton du début de cette soirée de rentrée de la 35e Conférence du barreau des Hauts-de-Seine. Comme Levon Minassian s’appelle « le musicien de l’indicible », la bâtonnière et le vice-bâtonnier ont souhaité que la musique remplace les mots pour parler du chaos généré par les guerres qui ont cette année meurtri le monde.

Crimes contre l’humanité

« En mars 2023, contre l’avis de tous, de nuit, nous passions la frontière polonaise et arrivions en Ukraine », commence Isabelle Clanet dit Lamanit avec émotion. Le barreau de Nanterre fut le premier à venir en Ukraine témoigner sa confraternité aux avocats ukrainiens.

Le barreau des Hauts-de-Seine est jumelé avec les barreaux de la région de Kyiv, mais aussi avec ceux de Constanta, en Roumanie, et de Chisinau, en Moldavie, qui accueillent les réfugiés ukrainiens, parmi lesquels des avocats et leurs familles. « Des générateurs électriques et des batteries solaires ont été envoyés pour permettre aux confrères et consœurs de continuer à travailler. Une collecte de fonds et de vêtements a également été organisée », énumère la bâtonnière. Trois consœurs ukrainiennes sont présentes ce soir-là, dont Olena Dzhaburiya, la bâtonnière d’Odessa.

La bâtonnière salue leur courage et raconte que le 10 novembre, alors que Madiha Khouili, membre du conseil de l’ordre, intervenait en visio sur la déontologie des avocats français lors d’une conférence organisée par le barreau d’Odessa, Olena Dzhaburiya a dû interrompre l’événement en raison d’une attaque aérienne. Isabelle Clanet dit Lamanit s’arrête un long temps sur la question des 19 600 enfants ukrainiens déplacés de force en Russie : « On les emmène en camp de vacances, on les prive de contacts avec leurs proches, on change leur nom, leur filiation, leur nationalité. Ils sont ensuite adoptés par des familles russes rétribuées pour cela, et les garçons les plus âgés sont entraînés au combat pour aller se battre contre leurs propres compatriotes. C’est un crime contre l’humanité, un génocide qu’il est de notre devoir de dénoncer », martèle la bâtonnière.

C’est ensuite au tour de Fabien Arakelian d’évoquer la situation arménienne. L’invitation à la soirée est ornée d’un ruban rouge, bleu et orange : « J’aurais préféré ne jamais avoir à faire figurer ce drapeau. Le rouge représente la foi chrétienne, la liberté, l’indépendance, et la survie du peuple arménien, le bleu imagine le ciel paisible sous lequel les Arméniens veulent vivre l’orange représente le génie créateur et la nature laborieuse du peuple arménien », introduit-il. « L’épuration ethnique qui a lieu en Artsakh est une continuation du génocide de 1915 », poursuit le vice-bâtonnier. Une délégation d’avocats de Nanterre et de Paris s’est déplacée en avril dernier pour constater et témoigner du blocus Azerbaïdjanais au corridor de Latchine. La situation s’est depuis dégradée. À partir de septembre, un nouvel exode a commencé, les Azéris chassant une grande partie des 120 000 Arméniens de la région du Haut-Karabakh. Le barreau des Hauts-de-Seine a soutenu financièrement les 60 avocats réfugiés à Erevan, la capitale de l’Arménie, à la suite de ces événements. « La riposte sera juridique », prévient Fabien Arakelian, dénonçant lui aussi un génocide.

À propos de la guerre au Moyen-Orient et du nouveau tour qu’elle a pris à partir du 7 octobre, Fabien Arakelian condamne le « ressurgissent du terrorisme » en Israël, et assure que le barreau se rangera « aux côtés de toutes les victimes et du respect du droit ». « La route est longue mais, avec Delphine Horvilleur, nous voulons nous réjouir pour que sous le ciel il y ait assez de vide pour que chacun y reprenne sa respiration », espère la bâtonnière. Hommage est ensuite rendu à trois avocats résistants fusillés au Mont Valérien pendant la Seconde Guerre mondiale, puis à Nasrin Sotoudeh, consœur iranienne condamnée à 38 ans de détention et 128 coups de fouets en 2018, et de nouveau arrêtée le 29 octobre 2023 pour avoir assisté aux obsèques d’une jeune femme tuée par la police iranienne pour avoir refusé de porter le voile. Lueur sur ce sombre tableau : l’avocate a finalement été libérée la veille de la cérémonie.

Défense de la défense

Une fois balayés les milles dangers qui guettent les défenseurs des droits dans le monde, il fut temps de se concentrer sur les batailles à mener pour les avocats au niveau national. Fabien Arakelian a, dans un premier temps, rappelé la saisine du Conseil constitutionnel, notamment par le Barreau des Hauts-de-Seine et ce, afin de dénoncer les atteintes au secret professionnel des avocats dans la loi du 22 décembre 2021 ainsi que dans la circulaire du 22 février 2022. Elles indiquent que celui-ci ne s’appliquerait pas pour les infractions liées à la fraude fiscale, à la corruption, au trafic d’influence ou au blanchiment d’argent. « Notre secret professionnel est attaqué. Il est indivisible c’est-à-dire qu’il couvre l’ensemble des activités de la profession d’avocat : le contentieux mais aussi le conseil. Il n’y a pas deux catégories d’avocats. Conseiller, c’est déjà défendre ! La première manche a été perdue, nous attendons la seconde à Strasbourg », harangue-t-il sur la scène, ce 17 novembre, en faisant référence à une démarche entreprise auprès de la CEDH.

Le vice-bâtonnier se félicite également de la censure prononcée par le Conseil constitutionnel des dispositions autorisant à capter le son et l’image en déclenchant à distance des objets connectés détenus par un prévenu. « Reste tout de même inscrite dans la loi la possibilité de géolocaliser en temps réel des clients d’un avocat présents au cabinet de celui-ci. Il faut sanctuariser nos cabinets. Loin d’être une solidarité avec le crime, ce secret professionnel constitue un devoir tout autant qu’il est un droit essentiel du procès équitable », juge l’avocat. Les bâtonniers remercient ensuite les collaborateurs de l’ordre pour leur mobilisation lors de l’épisode dit des « violences urbaines »- au lendemain du meurtre du jeune Nahel à Nanterre, NDLR -, en juin, pour avoir assuré une défense « d’une extrême qualité ». Ils rappellent l’organisation d’un événement le 8 mars pour célébrer la Journée des droits des femmes. « Elles représentent 59 % du barreau, mais 37 % seulement des associées de grands cabinets, et à peine un tiers des membres des comités de direction », rappelle Isabelle Clanet dit Lamanit, sans oublier une dédicace à Gisèle Halimi. En termes de défense des libertés fondamentales, le barreau du 92 a cette année saisi le tribunal administratif de Cergy-Pontoise à deux reprises afin de dénoncer les conditions de détention indignes au sein du centre pénitentiaire des Hauts-de-Seine, et obtenu des injonctions visant à l’amélioration des conditions carcérales.

Relations avocats-magistrat : concorde et points d’achoppement

La dernière partie du discours est teintée d’espoir. Elle porte sur les efforts faits par le barreau pour améliorer le quotidien des avocats de Nanterre, marqués, l’année dernière, par la mort de la magistrate Marie Truchet en pleine audience. L’onde de choc et de révolte provoquée par cet événement, lié, aux yeux du monde du droit, à la surcharge de travail de la magistrate, a visiblement commencé à porter ses fruits. « Nous avons été attentifs à rester des bâtonniers de terrain, bloqués devant les mêmes portes fermées, les mêmes ascenseurs en panne, le même RPVA sans dates, et les mêmes délais d’audiencement impossibles à expliquer à nos clients », commence Isabelle Clanet dit Lamanit. Plus que par l’installation d’un baby-foot dans les vestiaires, les avocats ont gagné en sérénité du fait des rencontres mensuelles avec le président du tribunal et le procureur visant à améliorer le bien-être de tous, notamment en décloisonnant les espaces pour recréer des synergies entre corps de métiers et « rendre à Nanterre le dynamisme qu’elle mérite ». Ce travail commun n’a pas réglé tous les désaccords : les avocats de Nanterre continuent par exemple, contre l’avis des magistrats, de refuser de tenir des permanences destinées au CRPC-Déferrement. « Un prévenu sort d’une garde à vue de 96 heures et se voit proposer une peine moyennant l’acceptation de sa culpabilité. Sommes-nous encore dans un exercice effectifs des droits de la défense ? », interroge avec malice le vice-bâtonnier. La bâtonnière tient à souligner l’exceptionnelle concorde quant au travail sur la réforme des décrets Magendie, qui régissent les modalités des appels : avocats et magistrats des quatre tribunaux et de la cour du ressort sont parvenus à produire un document commun de recommandations. Un point, pourtant, continue de faire débat. « Alors que l’objectif de cette réforme est de simplifier une procédure d’appel particulièrement complexe, nous pensons qu’il est nécessaire de reconnaître le droit aux avocats de régulariser certaines erreurs formelles, de restituer aux magistrats un pouvoir d’appréciation dans le cadre de ce droit à l’erreur et à l’avocat un droit de rectification. Il s’agit de réintroduire l’humain au cœur des procès », plaide Isabelle Clanet dit Lamanit à l’adresse des magistrats. Par un trait d’humour, elle salue enfin l’association par le tribunal de Nanterre des avocats à la préparation des travaux de rénovation du site qui auront lieu cinq années prochaines. Le duduk sonne alors de nouveau pour annoncer le traditionnel procès fictif d’André Manoukian. Cette dernière partie ne se raconte pas, elle se savoure…

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