Saif Ul-Malook : « Les islamistes peuvent s’en prendre à moi à tout moment »

Publié le 20/03/2020

Le 21 janvier dernier, dans le cadre de la Journée mondiale de l’avocat en danger, le Pakistanais Saif Ul-Malook était venu rencontrer ses confrères français à la Maison du barreau de Paris. Avant de donner sa conférence, cet homme reconnu pour avoir défendu des personnes accusées de blasphème a accepté de retracer, pour les Petites Affiches, les grandes lignes de son parcours.

Saif Ul-Malook n’a pas de temps à perdre ! Venu en Europe pour rencontrer ses soutiens – des avocats, des associations, des journalistes – il a 24 heures à passer à Paris. « Je rencontre des avocats, des amis dans la communauté des avocats, je partage mon expérience dans un procès pour blasphème au Pakistan », explique-t-il, attablé dans un restaurant à nappes à carreaux rouges et blanches, à quelques pas de l’ancien palais de justice. Menacé et médiatique depuis qu’il a embrassé la défense de la chrétienne Asia Bibi au Pakistan, il n’a pas pour autant perdu son sens de l’humour et profite de cette parenthèse européenne pour prendre un peu de bon temps et descendre quelques bières. « Quand vous vous impliquez dans ce genre d’affaires, vous n’avez plus de vie », explique-t-il sobrement.

Avocat depuis 1981, Saif Ul-Malook se décrit comme un généraliste. « Je suis intervenu dans des affaires de meurtres, blessures, des affaires constitutionnelles, litiges de propriété », retrace-t-il. L’affaire Asia Bibi va bouleverser sa vie. Les faits remontent à l’année 2009. Asia Bibi, jeune femme chrétienne, cueille des baies avec trois amies dans le champ d’un propriétaire foncier. Deux femmes lui demandent de l’eau. Elle va en chercher dans un puits à proximité du champ. Une des femmes refuse de boire l’eau, disant que chrétienne, et donc impure, Asia Bibi a souillé l’eau du puits. Asia Bibi lui aurait alors rétorqué que Mahomet n’aurait sûrement rien eu contre le fait qu’elle se serve dans ce puits. Des paroles qui, vues de Paris, semblent totalement anodines, mais qui, au Pakistan, déclencheront une affaire d’État. Les soutiens d’Asia Bibi déclenchent l’ire des extrémistes islamistes. En 2011, ils font assassiner deux figures politiques de haut rang : le ministre des Minorités Shabaz Bhatti, et le gouverneur de la région du Punjab, Salman Taseer. Ce dernier a rendu visite à Asia Bibi en prison, et dénoncé les lois sur le blasphème dans les médias, demandant même au président d’user de son pouvoir constitutionnel pour faire libérer la jeune chrétienne. « Les religieux ont estimé que le gouverneur du Punjab, qui avait qualifié les lois sur le blasphème de mauvaises lois, avait abusé de son pouvoir. Il a été assassiné par son propre garde du corps, en uniforme de police », rappelle Saif Ul-Malook.

C’est l’assassinat de ce gouverneur qui, indirectement, liera le destin de cet avocat à celui d’Asia Bibi, qui deviendra peu après sa cliente. « À l’époque, personne au Pakistan ne voulait poursuivre le meurtrier du gouverneur du Punjab. Tout le monde, même les avocats, le considérait comme un héros. J’ai été désigné par les autorités du Pakistan pour le poursuivre. J’ai requis contre lui la peine de mort. Il a été exécuté en 2016. Après cette affaire, je suis devenu l’avocat le plus vulnérable du Pakistan ». Saif Ul-Malook est ensuite désigné par la communauté chrétienne pour défendre Asia Bibi. « C’était une mission impossible. Je l’ai acceptée. Et j’ai réussi à la faire acquitter ». En 2019, il poursuit le combat en défendant en appel un couple de confession chrétienne, condamné à mort pour avoir envoyé des messages blasphématoires, alors que l’un et l’autre sont analphabètes. Saif Ul-Malook dit être le seul à assurer ce type de défense, « mis à part quelques avocats de troisième classe qui ne connaissent pas les lois, des jeunes qui n’ont pas d’argent et qui prennent toutes les affaires pour se lancer »…

Il a beau être défendu par de nombreuses ONG, mis en avant pour son engagement, Saif Ul-Malook veillera, tout au long de l’interview à prendre ses distances avec le monde militant. « Je suis un avocat professionnel. Je ne suis pas un avocat activiste, je ne travaille pas pour une ONG. Un avocat n’a pas le temps d’être un activiste, il n’a déjà pas le temps de dormir, il a tellement de choses à lire ! », assène-t-il, dans une des formules définitives et caustiques dont il aime faire usage. Il répétera en revanche à plusieurs reprises qu’il faut « aider les victimes des lois du blasphème dans les sociétés islamisées où les gens sont fondamentalistes et intolérants et où la raison n’a plus droit de cité ».

Interrogé sur sa stratégie de défense d’Asia Bibi, il dit s’être placé sur le terrain du droit, estimant les preuves de l’accusation trop faibles, contestant la fiabilité des témoignages des femmes qu’Asia Bibi avait croisées près du puits. Jamais il ne contestera les lois sur le blasphème. « Quiconque insulte le prophète par mots ou écrit commet le blasphème. C’est une définition large. Que diriez-vous si quelqu’un insultait Jésus ? Vous le prendriez très mal, bien sûr. Toute personne saine d’esprit le prendrait mal. Je suis vu comme l’ami des blasphémateurs. C’est une fausse perception, je me contente de faire mon devoir légal. La loi a été votée par le Parlement. Moi en tant qu’avocat je n’ai rien à dire, le Parlement est là pour faire des lois » pose-t-il. « Il n’y a que les avocats français pour se mettre en grève quand le gouvernement veut faire des lois ! », ironise-t-il. Malgré cette prudence, Saif Ul-Malook est dans la ligne de mire des fondamentalistes. Lui qui coulait une vie tranquille à Lahore avec son épouse, professeure de mathématique et leur fille adolescente, a dû quitter son pays après l’acquittement de sa cliente en appel. Emmené dans un lieu sûr dès sa sortie de l’audience, il a vécu quelques mois en exil aux Pays-Bas, avant de rentrer dans son pays. « Je vis à la merci de Dieu. Les islamistes peuvent s’en prendre à moi à tout moment », affirme-t-il.

Son engagement lui a valu, en 2019, de recevoir le prix Secularist of the Year, décerné par une association de défense de la laïcité britannique. Le Conseil de l’Ordre du barreau de Paris lui a, pour sa part, accordé la qualité « d’avocat d’honneur » afin de lui témoigner sa reconnaissance pour sa contribution à la défense des droits de l’Homme dans son pays. Des soutiens auxquels il est certainement sensible. Avant de prendre congé et d’aller rencontrer ses confrères parisiens à la Maison du barreau, Saif Ul-Malook rappelle le sens de sa venue en Europe. « Si j’ai le soutien de la communauté internationale, cela envoie au gouvernement pakistanais le message qu’il doit me protéger. Cela me fortifie aussi de l’intérieur. Connu et reconnu, vous vous sentez plus fort » !

LPA 20 Mar. 2020, n° 152a5, p.4

Référence : LPA 20 Mar. 2020, n° 152a5, p.4

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