Sophie Jonval, élue présidente du Conseil national des greffiers des tribunaux de commerce, envisage un mandat sous le signe du digital et de la prévention

Publié le 02/03/2018

Me Sophie Jonval, greffier associée au tribunal de commerce de Caen depuis le 1er janvier 2009 a été élue le 25 janvier dernier à la tête du Conseil national des greffiers des tribunaux de commerce. Âgée de 44 ans, la toute nouvelle présidente est forte d’une expérience longue de 20 ans. En effet, elle a été nommée en 1998 greffier associée des tribunaux de commerce d’Honfleur et de Lisieux, puis greffier du tribunal de commerce de Bayeux en 2005. Elle s’implique dès 2012 au sein du Conseil national comme déléguée de la cour d’appel de Caen. Me Sophie Jonval a été membre de la commission disciplinaire, de la commission sociale mixte paritaire, puis de la commission prospective.

À l’occasion de son élection, elle revient sur les objectifs de sa mandature de deux ans, sa vision du métier et les enjeux à venir pour les greffiers des tribunaux de commerce.

Les Petites Affiches

Pourriez-vous revenir sur votre carrière et votre découverte de la profession ?

Sophie Jonval

J’ai fait des études de droit à l’université de Caen et à la fin de mes études, j’ai découvert cette profession lorsque j’ai effectué un stage dans un tribunal de commerce de ma région. À la suite de ce stage, j’ai souhaité poursuivre dans cette profession qui m’a énormément plu. Je suis restée dans le greffe, puisqu’on m’a proposé de préparer l’examen de greffier. J’ai passé l’examen l’année d’après et j’ai été nommée l’année suivante. On m’a proposé de reprendre un greffe, toujours dans ma région, dans le Calvados, à Lisieux et à Honfleur. Je suis restée dans ces greffes-là jusqu’en 2004 puis j’ai pris mes fonctions au tribunal de commerce de Bayeux en 2005. Ce dernier, supprimé à l’occasion de la réforme de la carte judiciaire, a été rattaché à celui de Caen le 1er janvier 2009. J’ai donc un parcours 100 % greffe ! Mais j’y suis venue par hasard, en m’intéressant au droit des procédures collectives. Au cours de mes études, je me suis donc tournée naturellement vers le tribunal de commerce pour faire un stage, cela a été le début de ma découverte du métier.

Ce que j’ai toujours voulu, c’est travailler dans un tribunal. L’aspect judiciaire me plait beaucoup. Et c’est encore le cas aujourd’hui. C’est la raison pour laquelle je suis entrée dans cette profession. Mais dans les faits, les greffes des tribunaux de commerce accomplissent des missions qui ne sont pas seulement judiciaires. Nos autres missions ont trait à la tenue des registres légaux dont le plus connu est le registre du commerce et des sociétés. C’est après coup, une fois que je suis entrée en stage, que j’ai découvert cet aspect de nos missions et la proximité avec la vie des entreprises (création d’entreprise, vie des entreprises), qui m’a énormément plu. Notre métier nous place à la source de l’information sur le tissu économique local. Nous voyons naître (le registre du commerce donne la personnalité morale aux sociétés) et évoluer les entreprises (notamment lorsqu’il y a des litiges). Grâce à ces aspects, nous sommes en mesure d’apporter des éléments au tribunal pour lui permettre de prévenir les difficultés des entreprises.

LPA

Qu’est-ce qui vous a donné envie de vous impliquer dans le Conseil national des greffiers des tribunaux de commerce ?

S.J.

C’est, à nouveau, le hasard qui m’y a amenée. Au tribunal de Caen, j’ai repris le mandat de mon associé. Ce dernier m’a demandé si je voulais me présenter comme déléguée régionale de la cour d’appel de Caen. C’est ainsi que je suis devenue membre du Conseil national. Puis au sein du Conseil national, on m’a sollicitée pour intégrer le bureau du Conseil qui compte sept greffiers. Je me suis investie dans la commission sociale pendant quatre ans où je m’occupais de négocier la convention collective des organisations syndicales. Je me suis aussi impliquée dans la commission disciplinaire, puis dans la commission prospective. Ce fut une expérience enrichissante que de participer aux grandes décisions de la profession au sein du bureau, l’organe politique de la profession.

Le bureau du Conseil national a en effet en charge la défense des intérêts de la profession dans un contexte qui n’est pas toujours favorable, mais doit demeurer force de propositions pour accompagner les évolutions et changements souhaités par nos gouvernants.

 

LPA

Justement, comment appréhender ces changements ?

S.J.

Savoir anticiper les réformes n’est pas toujours facile. Il faut prendre position par rapport à ce que le gouvernement propose, envisager des solutions pour s’adapter à cette évolution. En ce moment, nous réfléchissons activement aux évolutions numériques, la blockchain, la signature électronique, l’identité numérique, tout cela pour essayer d’être force de propositions et d’anticiper. Le but est de s’inscrire dans un mouvement comme acteur de la mutation de notre société. D’une manière positive et constructive, nous travaillons à l’étude de nouvelles pratiques qui pourraient s’inscrire dans l’évolution de la société vers la digitalisation, car cela va au-delà des tribunaux de commerce. On est en train de digitaliser toute la société, notamment les services publics, pour avoir des relations quasi-exclusivement numériques avec les usagers. Notre profession bénéficie d’une expérience et d’un savoir-faire trentenaire en matière d’informatisation et de numérisation, grâce à notre GIE Infogreffe.

LPA

Dans quelle mesure le numérique va-t-il influencer votre façon de travailler ?

S.J.

Nos missions sur le fond ne vont pas fondamentalement changer, car en réalité notre rôle de contrôle (légalité des actes, contrôle des pièces relatives aux personnes physiques) est identique que nous soyons en présence d’un dossier papier ou d’un dossier dématérialisé. Cela reste la même mission, mais les moyens techniques mis en œuvre sont beaucoup plus importants.

Mais cette mutation numérique, il faut toutefois la nuancer : s’il nous appartient de favoriser l’entrée des services publics par la voie numérique, il est important de conserver et préserver l’aspect humain. On ne peut pas négliger l’existence d’une fracture numérique en France. Si chaque année, 370 000 formalités dématérialisées sont réalisées grâce à notre site Infogreffe, beaucoup de personnes se déplacent encore quotidiennement dans nos greffes. Parmi les procédures en ligne rendues possibles, les entreprises peuvent modifier leur siège social, les entrepreneurs créer leur entreprise ou ouvrir un établissement. La meilleure façon d’opérer la transition numérique reste encore d’y associer les gens, de procéder progressivement et avec pédagogie. Vous l’aurez compris, nous avons mis en place la dématérialisation voici 10 ans, mais nos missions, notamment celles qui s’inscrivent dans le cadre de la lutte anti-fraude et de la lutte anti-blanchiment, ne peuvent être efficaces si elles ne sont pas rattachées et exercées en proximité avec le tissu économique local : pour être efficace, ce contrôle doit être rattaché à de l’humain, au procureur de la République, aux gens du chiffre. On fait des recoupements, on connaît les dossiers, alors si on est coupés du terrain, tout cela aura beaucoup moins de valeur ajoutée.

 

LPA

Pourriez-vous revenir sur la mission de police économique des greffiers ?

S.J.

Nous souhaitons mettre l’accent sur le contrôle a priori des chefs d’entreprise, avant l’entrée dans le monde économique. Car avant de devenir commerçant ou avant qu’une société puisse naître, nous réalisons un ensemble de contrôles de légalité des actes mais également des contrôles concernant l’identité des déclarants et leur capacité à devenir commerçant ou dirigeant de société. À titre d’exemple, nous vérifions notamment si le déclarant n’a pas fait l’objet d’une condamnation qui l’empêche de devenir commerçant ou gérant de société ou s’il ne s’agit pas d’une usurpation d’identité, si la personne existe vraiment. Nous sommes parfois confrontés à ce type de fraude (fausses cartes d’identité, de séjour ou fausses fiches de domicile). Par ces contrôles nous garantissons la transparence et la sécurité juridique dans les affaires, indispensables au développement économique. Ainsi, grâce au numéro K-bis, l’on peut s’assurer que l’entreprise en question ne fait pas l’objet d’une procédure de redressement ou de liquidation, ce qui est rassurant pour le cocontractant. Et même si cela peut paraître contraignant pour les entreprises, cela leur est directement utile, car elles se tournent vers nous afin de vérifier que leur cocontractant est en bonne santé, et elles savent que cette information est fiable.

LPA

Comment envisagez-vous votre mandature ? Quels sont vos chantiers prioritaires ?

S.J.

Ces deux années s’annoncent intenses. C’est un travail qui s’inscrit dans la continuité des souhaits et de la politique de la profession. Notre priorité est l’avènement du tribunal digital, le fait de pouvoir permettre aux justiciables de la juridiction commerciale de saisir le juge en ligne et d’obtenir une décision en ligne. J’espère également que nous pourrons très bientôt délivrer une identité numérique aux entreprises, permettant au dirigeant de pouvoir justifier de sa capacité à agir pour le compte de celle-ci. Ce sont vraiment les propositions phares que nous allons porter et sur lesquelles nous travaillons actuellement. L’avènement du tribunal digital sera une possibilité de plus pour le justiciable. Cela facilitera l’accès à la justice pour les personnes qui pensent qu’il est difficile de s’adresser à une juridiction. Cela permettra aussi de réduire les délais.

LPA

Quel constat dressez-vous des conséquences de la loi pour la croissance et l’activité dite loi Macron ?

S.J.

Au départ, si nous avons contesté certains textes, à présent nous sommes dans la mise en œuvre et dans l’application. Ce qui a changé pour notre profession, c’est principalement son accès, puisqu’il convient désormais de passer un concours, et non un examen comme auparavant, et ensuite d’effectuer un stage dans un greffe. Les épreuves écrites de la première édition du concours se sont déroulées le 8 février dernier, 22 places étaient offertes cette année, 52 personnes se sont inscrites. Les épreuves orales auront lieu dans la semaine du 26 mars. Dans la foulée, nous donnerons une liste des gens admis au concours.

Un autre volet de cette loi prévoyait une baisse de nos tarifs, elle a été mise en œuvre et une révision doit avoir lieu tous les deux ans.

Enfin, ce texte prévoit la mise en Open data des données économiques, ce que nous avons accomplis puisque des jeux de données sont désormais accessibles gratuitement dans des formats intéropérables sur notre site DataInfogreffe.

 

LPA

Quid de la féminisation de la profession ?

S.J.

Notre profession tend à se féminiser effectivement, mais les hommes demeurent plus nombreux dans les fonctions de cadres. À l’inverse nos collaborateurs sont majoritairement des femmes, à l’instar des dix femmes salariées de mon équipe. L’enjeu pour moi demeure cependant la qualité de nos services et les qualités que chacun met en œuvre pour accomplir les missions de service public qui nous sont confiées.