Décrets Macron : les greffiers des tribunaux de commerce ont saisi le Conseil d’État

Publié le 01/03/2017

On compte en France aujourd’hui 134 greffes de tribunaux de commerce, 231 greffiers et 1 800 salariés. Les greffiers des tribunaux de commerce ont deux principales missions : assurer les fonctions traditionnelles d’un greffe (assistance des juges aux audiences, mise en forme des décisions de justice, déroulement des procédures commerciales, administration…) et tenir le registre du commerce et des sociétés ainsi que d’autres registres d’information légale. La loi Macron a modifié l’équilibre économique de la profession mais aussi son organisation. Jean Pouradier Duteil, président du Conseil national des greffiers des tribunaux de commerce, nous explique pourquoi les greffiers sont inquiets. Il évoque aussi des pistes de réformes, par exemple la création d’un fichier des associations ou encore l’élargissement de la compétence du juge consulaire en matière de procédures collectives aux sociétés civiles, aux professions libérales et aux associations.

Les Petites Affiches – La loi Macron a réformé toutes les professions juridiques, y compris la vôtre. En quoi les mesures d’application vous inquiètent-elles ?

Jean Pouradier Duteil – La loi Macron a modifié les conditions d’accès mais aussi les tarifs de notre profession comme des autres professions juridiques. Les textes d’application nous préoccupent pour de nombreuses raisons et notamment parce qu’ils vont plus loin que la loi. Jusqu’à cette loi, les greffes transmettaient à l’INPI leurs données que l’INPI archivait. Un accord entre le GIE des greffiers et l’Institut prévoyait par ailleurs que nous construisions des licences que l’INPI vendrait à une petite dizaine de licenciés moyennant le versement au bénéfice du GIE de la moitié du prix de vente. La loi Macron nous demande de transférer à l’INPI les données dans un format qui lui permette de les distribuer gratuitement. Cela remet en cause notre modèle économique. Mais le pire c’est que le décret1 prévoit que nous devrons transmettre gratuitement à l’INPI non pas les données du RCS mais des bases entières d’informations indexées et classées. Autrement dit, on nous impose d’organiser, structurer, indexer toutes ces données et de tout transmettre, y compris l’historique. Par exemple, si une société transfère son siège social, le greffe ne se limite pas à transmettre cette information mais l’historique tout entier. Et cela porte sur tout le registre du commerce ! Nous avons déposé un recours devant le Conseil d’État. La décision est attendue d’ici quelques semaines.

LPA – Vous avez également exercé un recours contre le décret du 26 février 2016 et l’arrêté du même jour sur le tarif des professions réglementées du droit. Pourquoi ?

J. P. D. – La loi Macron prévoit que les tarifs des prestations des professions réglementées doit être calculé en fonction des coûts pertinents et d’une rémunération raisonnable. Le Conseil constitutionnel a précisé qu’il fallait mener un examen analytique du coût et de la rémunération acte par acte et non pas au niveau global de l’étude. Le problème, c’est que le gouvernement a voulu que la loi Macron entre rapidement en application. Alors les décrets ont été rédigés sans les informations nécessaires à l’appréciation des coûts et rémunérations. Dans l’attente de ces données, il a été prévu que pour chaque profession l’arrêté pourrait diminuer ou augmenter les tarifs dans une limite provisoire de 5 %. Les notaires ont ainsi subi une baisse de 1,5 %, les huissiers de 2 % et nous de 5 %. A priori, cette baisse s’inscrit dans la fourchette du décret, à ceci près que la tarification de certains actes a sauté de sorte qu’on arrive à une baisse réelle de 11 %. C’est un tour de passe-passe que nous dénonçons dans notre recours. La décision est attendue au début du deuxième trimestre.

LPA – Des missions non rémunérées, d’autres affectées d’une baisse de tarif, on imagine que cela remet en cause l’équilibre économique de votre profession…

J. P. D. – L’activité d’un greffe de tribunal de commerce se répartit à peu près pour moitié dans l’assistance du tribunal et pour moitié dans la tenue du RCS, sachant qu’aujourd’hui la rémunération au titre de l’activité judiciaire (un jugement revient à moins de 100 € aux parties) ne couvre pas les charges de la fonction. C’est donc la tenue du RCS qui permet d’équilibrer nos revenus. Si l’on applique la loi Macron et qu’on ne rémunère plus suffisamment les activités liées à la tenue du RCS, nous ne pourrons plus financer l’assistance judiciaire.

LPA – Qu’en est-il du projet de décret sur l’accès à la profession ?

J. P. D. – Aujourd’hui, l’accès à la profession de greffier se fait par un examen qui est ouvert à tous. La loi Macron a décidé d’appliquer aux greffiers le régime du concours de la fonction publique. Nous n’avons pas d’objection de principe, à ceci près qu’on supprime les équivalences et passerelles des autres professions juridiques vers la nôtre. C’est regrettable car nous comptons dans nos rangs un ancien procureur, plusieurs huissiers, des notaires, des anciens avoués à la cour et nous sommes fiers de cette diversité. Il est regrettable que cet avantage disparaisse. Mais la différence majeure réside dans le fait que le recruteur dans la fonction publique nationale n’a pas le choix du candidat, il doit prendre le lauréat. À l’avenir donc, le greffier qui voudra céder son office sera obligé de prendre le premier de la liste. L’objectif est de casser les dynasties de greffiers. Admettons même qu’il y en ait, où est le mal ? Il existe bien des dynasties d’avocats, de médecins, de comédiens…

LPA – Pour autant, vous avez aussi de nouvelles missions, par exemple la tenue du fichier national des interdits de gérer (FNIG) prévu par l’article 71 de la loi du 29 mars 2012 et son décret du 19 février 2015…

J. P. D. – Le législateur nous a en effet confié le soin de répertorier les personnes qui ont fait l’objet d’une condamnation à une interdiction de gérer ou d’une déclaration de faillite personnelle qui emporte automatiquement l’interdiction de gérer une entreprise. Le fichier – dématérialisé – est très sécurisé. Il est placé sous le contrôle du Conseil national et sa consultation réservée à une liste de personnes habilitées. Ce sont les juridictions qui sont censées l’alimenter, autrement dit les tribunaux de commerce, mais aussi les tribunaux correctionnels au titre des peines accessoires et les tribunaux d’Alsace Moselle et des DOM. On nous a confié cette mission, gratuite, avant la loi Macron. Nous avons accepté mais il est utile de souligner que cela représente un investissement de 500 000 € sur trois ans que nous assumons seuls. Ce fichier est très attendu par des organismes nombreux : Tracfin, parquet, juridictions, douanes, police nationale… Lorsque les relations avec la Chancellerie se sont tendues, nous avons décidé d’interrompre le développement du FNIG. Et puis nous avons déposé nos recours, rouvert des discussions avec le ministère et nous avons repris le développement du fichier. Pour autant, je n’ai eu aucun remerciement. Ce fichier est opérationnel, il suffit qu’on appuie sur le bouton. Sauf que toutes les juridictions ne sont pas en mesure techniquement d’alimenter le fichier ! Nous allons donc commencer à traiter les données émanant des tribunaux de commerce.

LPA – Parmi les missions peu ou pas rémunérées réclamées par l’État figurent d’autres prestations. Lesquelles ?

J. P. D. – Bercy nous demande désormais de lui transmettre la copie des statuts d’une société qui se crée sous forme d’image pour lui permettre de mettre en place toute sa procédure fiscale. Nous avons accepté, mais en exigeant cette fois d’être rémunérés. C’est possible, il suffit que le gouvernement accepte d’augmenter d’un ou deux euros le prix d’une immatriculation aujourd’hui fixé à 40 €. Cela nous permettra de couvrir les frais de développement informatique nécessaire. Ce à quoi on nous rétorque qu’on travaille gratuitement pour l’INPI et qu’on peut donc aussi le faire pour Bercy ! Mais ce n’est pas le même exercice ! Celui-là nécessite des investissements techniques et humains supplémentaires. De même, Bercy nous demande de remplir le rôle de CFE de Bercy pour les loueurs de meublés non professionnels. Ils doivent se déclarer aux impôts. Mais comme Bercy n’est pas en mesure de tenir ce fichier, il s’est tourné vers nous. Nous avons là encore accepté, bien que ces loueurs particuliers n’aient rien à voir avec des entreprises. C’est encore une mission non rémunérée qui surcharge les greffes. À chaque fois que Bercy lance une opération de sensibilisation, nous voyons affluer les propriétaires. Il faut bien du personnel pour les recevoir et enregistrer leur déclaration.

LPA – Un autre registre, cette fois venu de Bruxelles, concerne les bénéficiaires effectifs. De quoi s’agit-il exactement ?

J. P. D. – L’Europe demande en effet aux États membres de créer un registre des bénéficiaires effectifs dont l’objet est de recenser les personnes physiques qui, directement ou indirectement, contrôlent les entreprises et en reçoivent une contrepartie. Cela peut être un contrôle capitalistique, un contrôle de gestion, un client unique de la société… Le registre s’appuie sur les déclarations des entreprises. L’idée consiste à renforcer la transparence. Ces informations ne seront pas publiques. Le greffier ne pourra les délivrer qu’à des personnes autorisées. Et là-dessus nous avons clairement expliqué qu’on ne travaillerait pas sans être payés.

LPA – Et à titre prospectif, comment envisagez-vous votre avenir et celui de la juridiction consulaire ?

J. P. D. – Nous sommes en train de travailler sur une proposition de rationalisation de la compétence de la juridiction consulaire. Aujourd’hui, en matière de procédures collectives, le tribunal compétent dépend non pas de la matière mais de la nature de l’entité en difficulté. L’entreprise commerciale, le commerçant et l’artisan relèvent de la compétence du tribunal de commerce. Le professionnel libéral, la société civile et l’association du TGI. C’est un système illisible et d’autant plus absurde que le tribunal de commerce et le TGI vont devoir appliquer les mêmes règles face aux mêmes créanciers : impôts, Urssaf, banques… Il nous semble que le juge commercial est mieux en position pour juger les difficultés économiques qu’un magistrat de carrière. Nous proposons donc, appuyés par la Conférence générale des tribunaux de commerce, que le tribunal de commerce devienne le tribunal des affaires économiques. Cela aurait le mérite, outre de rationaliser le système, d’alléger le budget de la justice car le tribunal de commerce ne coûte rien à personne. Cela permettrait aussi de recentrer la magistrature de carrière sur son cœur de métier.

LPA – Vous proposez également la création d’un fichier des associations…

J. P. D. – Notre projet consiste à participer à la lutte contre la fraude, le blanchiment et le terrorisme. Le secteur associatif a pris une dimension considérable : 75 000 associations ont été créées en 2015. Or il n’existe en la matière aucune transparence. Certes, le créateur d’une association dépose ses statuts à la préfecture, mais à part les transmettre à qui en fait la demande, la préfecture ne fait rien d’autre des documents. Il n’existe pas de base de données permettant par exemple de savoir qu’une personne préside 30 associations différentes. Nous proposons de commencer par tenir un fichier des associations qui ont une activité économique et emploient des salariés. Ce sera un début et ça nous permettra de voir s’il est pertinent de développer la transparence. Cela permet aussi aux pouvoirs publics habilités d’être informés des tarifs, des flux financiers, des dirigeants.

Notes de bas de pages

  • 1.
    D. n° 2015-1905, 30 déc. 2015, relatif aux modalités de transmission et mise à disposition des informations constitutives du RCS.
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