Stéphane Sclafert : « Au tribunal de commerce de Pontoise nos dépenses annuelles s’élèvent à 2 000 ou 3 000 € pour environ 20 000 décisions par an » !
Stéphane Sclafert, 55 ans, est chef d’entreprise dans le Val-d’Oise et dans les Yvelines. Juge consulaire depuis 2013, il a été vice-président durant 2 ans avant d’être élu président du tribunal de commerce de Pontoise, en 2020. Ainsi, cela fait 2 ans qu’il doit affronter une situation extrêmement complexe du fait de la crise sanitaire. Dans ce tribunal, qui réunit 50 juges consulaires et qui existe depuis le début du siècle, l’activité s’est maintenue pour répondre aux litiges entre commerçants et aux difficultés des entreprises. Pour Actu-juridique, le président revient sur le bilan de l’année 2021.
Actu-juridique : Quelle est la spécificité de votre territoire ?
Stéphane Sclafert : Le Val-d’Oise compte énormément de très petites entreprises. Ainsi, lorsqu’on voit les gens de notre tribunal, ce sont souvent des chefs d’entreprise qui emploient peu de salariés, dans les secteurs du bâtiment et des travaux publics ou du transport, par exemple.
AJ : Durant votre audience de rentrée, en janvier dernier, quelles sont les grandes lignes que vous avez partagées à cette occasion ?
S.S. : Durant cette audience, nous avons mis un coup de projecteur sur les procédures collectives, mais également sur les litiges et le contentieux général. Durant ces années atypiques, nous avons scruté l’évolution des chiffres. Ainsi, 2020 a été une année très particulière, très lourdement impactée par la crise de la Covid-19, tandis que 2021 a été une année de remise en marche pour pas mal de secteurs. En termes de contentieux général, nous nous sommes aperçus que nous avons retrouvé un niveau d’affaires équivalent à celui de 2019.
Cette activité normale est significative d’une reprise d’activité. En revanche, cela n’a pas été le cas pour les procédures collectives et l’on peut s’en réjouir. L’indicateur brut est plutôt positif : 613 ouvertures de procédures collectives, en 2021 contre plus de 700-800, les autres années. On reste donc sur une baisse d’environ 25 % des procédures collectives dans le Val-d’Oise par rapport à l’année 2019.
AJ : On note une légère hausse de l’activité. Celle-ci est-elle liée à la prévention ?
S.S. : Tout à fait. Nous sollicitons les entreprises en amont pour essayer de les aider. Lorsqu’elles sont en état de « décès clinique », nous actons cela par des ouvertures de procédures collectives. Quant aux cessations de paiement, il n’y a pas de hausse en termes d’assignation des organismes publics comme les impôts ou l’Urssaf. Depuis 2005, la prévention des difficultés des entreprises fait partie des missions du tribunal de commerce, en particulier de la juridiction du président. La cellule de prévention est composée de six juges consulaires en 2022, soit un de plus par rapport à 2021. Ainsi, c’est extrêmement important d’accompagner ces entreprises avant de les obliger à faire une déclaration de cessation de paiement. Nous leur offrons, pour cela, plusieurs possibilités qui sont malheureusement souvent méconnues. Pour améliorer cela, nous essayons de communiquer avec l’extérieur afin que les entreprises viennent consulter cette cellule, ou bien de détecter des signaux faibles comme le non-dépôt des comptes annuels. Dans ce cas, nous convoquons les chefs d’entreprise et leur expliquons ce qui peut être fait.
AJ : Combien de dossiers ont été ouverts ?
S.S. : Nous avons ouvert 572 dossiers, en 2021, contre 229, en 2020 et 160, en 2019. Nous avons donc multiplié les chiffres par trois. Ainsi, chaque fois que nous rencontrons des chefs d’entreprise qui semblent en difficulté, si tout va bien, les dossiers sont classés sans suite. Dans le cas contraire, nous proposons des pistes afin d’essayer de trouver une issue.
AJ : Quelles sont les solutions possibles ?
S.S. : Les principales solutions sont les procédures amiables ; la conciliation – 9 en 2021 – ou l’ouverture d’un mandat ad hoc – 9 en 2020, 15 en 2021. Le législateur a mis en place un plan d’action d’accompagnement de sortie de crise avec des mesures temporaires applicables encore 12 mois afin d’inciter les chefs d’entreprise à venir au tribunal très tôt pour leur donner la possibilité d’ouvrir un mandat ad hoc ou une conciliation. En termes de coût pour l’entreprise, cela est très attractif. En 2022, cette cellule a été particulièrement renforcée ; il s’agit d’un point marquant.
AJ : Qu’en est-il des sanctions ?
S.S. : Il s’agit d’un registre moins positif, mais nous voyons cela sous un œil plutôt bienveillant puisqu’il s’agit, pour nous, d’écarter les chefs d’entreprise indélicats du tissu industriel. En effet, les chefs d’entreprise qui ne payent pas leurs charges sociales ou encore qui faussent le jeu de la concurrence doivent être écartés. C’est un mode de gestion pour certains, mais, heureusement, il s’agit d’une minorité. Lorsqu’on sanctionne ces chefs d’enteprise, c’est qu’ils ont été vraiment défaillants. Plus de chefs d’entreprise ont été sanctionnés en 2021 qu’en 2020. Nous essayons de les « toucher au portefeuille » avec les sanctions patrimoniales ; cela constitue un souhait en accord avec le parquet. Avec, bien sûr, discernement.
AJ : Quelles orientations souhaitez-vous donner au tribunal de commerce de Pontoise ?
S.S. : Lors de l’audience solennelle de rentrée, j’ai renouvellé notre volonté de voir un tribunal prêt à toutes les éventualités, à l’issue de cette crise sanitaire. Nous savons que le niveau d’ouverture des procédures collectives est trop faible mais nous devrions retrouver, à terme, celui de 2019. Nous sommes donc prêts à répondre aux sollicitations des chefs en difficulté, à former les futurs juges et à poursuivre la modernisation du tribunal.
AJ : Qu’entendez-vous par « modernisation du tribunal » ?
S.S. : Le tribunal de commerce de Pontoise est une vieille institution. Nous avons donc à cœur d’accélérer sa modernisation en le transformant. Cela passe notamment par la convention signée avec le barreau, en 2020, afin de favoriser les échanges dématérialisés. Une prochaine phase sera la signature électronique des décisions de justice qui devrait se mettre en place en 2022, dans le but d’accélérer les procédures et de rendre une justice plus rapide.
AJ : Vous attendiez une vague de faillites pour l’année 2020 mais celle-ci n’est toujours pas là. Êtes-vous toujours dans l’expectative ?
S.S. : Si on se trouve actuellement en dessous des chiffres habituels, ce qui ne crée pas de tensions, on se prépare cependant à un nombre important de défaillances ; mais personne ne sait quand ni comment cela va se produire. Le législateur a accompagné cette sortie de crise, pour l’instant, sans rupture des aides franches et massives. Cela se fait de manière progressive, sans assignation de la part des impôts ou de l’Urssaf, par exemple. Or on sait qu’il y a des dettes très importantes auprès de ces organismes. Les entreprises vont être confrontées à un impératif de remboursement. En effet, les prêts garantis par l’État vont devoir être remboursés prochainement, autour des mois d’avril/mai. La volonté des pouvoirs publics est donc de ne pas accélérer les défaillances. Ainsi, je ne m’attends pas à l’arrivée brutale d’une vague importante mais plutôt à une remontée vers les chiffres des années 2018/2019. Je suis un peu inquiet face à la combinaison de toutes ces dettes et de l’envolée des prix des matières premières.
AJ : Les témoignages du manque de moyens de la justice ont été nombreux en cette fin d’année 2020. Quel est votre sentiment ?
S.S. : En termes de moyens, nous n’en avons pas ; on ne fonctionne qu’avec des bénévoles. Nous avons cependant la chance d’avoir un greffe privé extrêmement efficace. Néanmoins, nous sommes extrêmement dépendants en termes de bâtiments et de salles qu’on nous donne. Nous faisons face à des difficultés importantes quant aux salles d’audience qui sont directement liées à ce qu’il se passe au tribunal judiciaire. Ainsi, il s’agit de trouver des solutions ensemble. Mais la juridiction commerciale est extrêmement pauvre. Pour l’instant, nous arrivons à recruter et à former des juges bénévoles et cela fonctionne ainsi. De toute façon, nous n’attendons plus grand-chose puisque cela fait des années que nous n’obtenons rien.
AJ : Comment faites-vous pour assurer votre mission dans de bonnes conditions ?
S.S. : Dès que nous avons besoin de quelque chose, nous faisons appel au greffe, qui est très efficace. Cependant, au niveau de l’institution, notre budget est dérisoire. Nos dépenses annuelles s’élèvent à 2 000, 3 000 euros pour environ 20 000 décisions par an. Les juges utilisent leurs propres moyens informatiques. Pour les visioconférences, nous avons recours à des moyens privés. Si le greffe nous aide, ce n’est pas le cas de l’Administration. De manière factuelle, nous possédons des liens étroits avec le parquet et les difficultés que peuvent avoir les magistrats professionnels nous pénalisent également quant au nombre d’audiences qu’on peut mettre en place. Nous sommes nécessairement limités parce que le parquet ne peut pas mettre à notre disposition autant de procureurs que nécessaire. On ne peut donc pas tenir autant d’audiences qu’on le souhaiterait. Je pense qu’on pourrait avoir plus de requêtes du procureur, mais nous sommes limités parce que celui-ci ne sait pas dégager autant de magistrats du parquet qu’il le voudrait. Cela rejaillit forcément sur l’institution consulaire.
Référence : AJU003v2