Xavier Autain : « La CNBF a une dette à l’égard des avocats »
Depuis quelques temps, les avocats demandent à la Caisse nationale des barreaux français (CNBF) de puiser dans ses 2 milliards d’euros de réserve pour les aider à traverser la crise du covid-19. Ils citent en exemple la caisse des dentistes qui est prête à verser 4 500 euros à chacun de ses cotisants.
Vendredi soir, la présidente de la CNBF, Viviane Schmitzberger, a expliqué dans une interview exclusive accordée à Actu-Juridique pourquoi sa marge de manoeuvre était limitée.
Xavier Autain, avocat au barreau de Paris et membre élu du Conseil national des barreaux (CNB), répond à Viviane Schmitzberger dans une lettre ouverte. Pour cet avocat, si les règles actuelles empêchent de venir au secours de ses confrères, alors il faut les changer.
Madame la Présidente, mais surtout Cher Confrère,
Vous présidez la CNBF, la Caisse de retraite des avocats, ce symbole de notre indépendance.
Depuis que le rapport Delevoye sur les retraites est paru, dans le courant de l’été 2019, la profession d’avocat a, dans sa quasi-unanimité, soutenu son régime autonome et subséquemment l’institution que vous dirigez (si l’on excepte quelques pièces rapportées qui n’ont d’avocat que le titre obtenu par équivalence).
Pour le maintien de cette indépendance, chacun des 164 barreaux qui regroupent la profession s’est mobilisé ; des dizaines de milliers de confrères ont manifesté dans la rue, dans les Palais de Justice, ont fait grève, et nombre d’entre eux sortent financièrement fragilisés de ce combat.
Aujourd’hui nous affrontons une situation inédite, sur le plan humain tout d’abord, mais aussi sur un plan économique. Un cataclysme dont on n’entrevoit pas encore l’ampleur, et dont on ne peut mesurer les effets sur la profession d’avocat en France, à l’instar de centaines d’autres activités économiques.
Et cette Caisse de retraite et de solidarité, qui n’existe que par et pour les avocats, lorsqu’il lui est demandé de réfléchir à la solidarité qu’elle se doit de déployer à l’égard de ses membres les plus affectés, se drape par votre voix dans une orthodoxie financière qui ressemble en tous points au dogmatisme du gouvernement lorsqu’il s’agissait de justifier sa réforme.
Si je comprends votre préoccupation pour vos pensionnés Madame la Présidente, je vous demande de considérer à leur juste valeur les avocats actifs, qui furent vos premiers soutiens, qui sont vos créanciers et qui seront demain les premières victimes de la crise économique si vous ne venez pas à leur secours.
Sans eux, il n’y aura plus de pensions, plus de droits pour nos retraités et plus de caisse de retraite autonome pour notre profession.
Vous indiquez que les avocats retraités seraient inquiets du versement de leurs pensions.
Ont-ils, durant la grève, vu baisser leurs pensions ?
L’arrivée du confinement aboutit-elle à une baisse de celles-ci ?
Leurs rentes seraient elles menacées à court terme ?
A ces trois questions la réponse est non.
Car la grève et la crise sanitaire impactent et impacteront ceux qui sont la source même des recettes de la CNBF, futurs bénéficiaires des pensions, les avocats exerçants.
A moins qu’ils ne soient aux yeux de la CNBF de simples sujets, taillables et corvéables quels que soient le contexte, quelle que soit la débâcle économique qui s’installe.
Quelle courte vue ce serait là.
S’ils disparaissent ou deviennent insolvables, comment pensez-vous maintenir le système, une fois utilisées les réserves ?
Le tas d’or sur lequel la CNBF est assise est peut-être moins épais que celui des dentistes que vous citez (qui eux ont fait preuve de solidarité), mais il existe, reste conséquent (de l’ordre de 2, 3 milliards si j’en crois les estimations) et appartient à la profession d’avocat.
Vous m’objecterez sans doute que ces fonds de réserve sont dédiés à la retraite et que notre fonds social est plus restreint que celui des dentistes.
Mais ces règles n’existent que tant qu’elles ne sont pas remises en cause, et il convient soit à votre Conseil d’administration d’en voter d’autres, soit de faire pression sur le Gouvernement pour les faire modifier.
Ne nous leurrons pas, de telles mesures ne suffiront pas à elles seules. Et il faudra que, comme l’ensemble des autres professions indépendantes, comme les entreprises, en voie d’être balayées économiquement, nous bénéficions aussi des aides et aménagements prévus par l’État.
Si vous ne réagissez pas maintenant quand le ferez-vous donc ?
Quand l’hécatombe aura laissé des milliers de confrères sur le carreau ?
Ne pas tenir compte, ne pas savoir évoluer, refuser de s’adapter pour contribuer à sauvegarder des avocats en danger de mort est impensable de la part d’une institution technique qui n’est que l’émanation de cette profession.
A l’instar de certaines CARPA (en Aquitaine notamment) il convient de mettre à contribution les réserves et l’influence financière dont la profession dispose pour apporter, à tous ceux qui seront durement touchés par ce typhon, aide, secours et garanties, notamment :
– en suspendant, voire annulant des cotisations,
-en laissant des délais après la levée du confinement,
-en apportant un soutien financier concret à ceux qui en auront besoin.
Pour sortir vivants de cette épreuve, il faut innover, chercher, inventer en sortant des sentiers battus, des schémas antérieurs qui ne correspondent en rien à la situation présente, ni à celle à venir.
Et au-delà des questions budgétaires, quel paradoxe d’avoir vu tant de confrères soutenir unanimement la CNBF depuis des mois et constater que celle-ci, en réponse, quelques semaines plus tard à peine, se terre dans sa citadelle financière, au moment où ils ont l’impérieux besoin d’elle.
Il faut le répéter, la CNBF a une dette à l’égard des avocats qui se sont battus pour elle.
A défaut, certains ne manqueront pas de s’interroger sur cette CNBF qui, pendant le débat sur les retraites, expliquait que notre nombre était suffisant pour se sauvegarder du régime universel, mais qui indique aujourd’hui, pour se défiler, que nous ne serions ni assez nombreux ni assez forts.
Il est temps de comprendre que le mouvement de protestation ne portait pas seulement sur l’autonomie d’un système de retraite pérenne, mais aussi sur l’indépendance et l’unité d’une profession qui par-delà ses diversités se veut solidaire.
C’est tous ensemble que nous relèverons l’incroyable défi.
Xavier Autain
Référence : AJU66158