Affaire Palmade : et si l’on personnifiait l’enfant conçu ?
À l’occasion de la tragique affaire dite « Palmade », le grand public a découvert que la personnalité juridique n’est accordée à un enfant qu’à sa naissance. Cela a de multiples conséquences, notamment en l’espèce sur la qualification pénale des faits. Et si l’on permettait aux femmes de changer les choses ? Le professeur Xavier Labbée a une proposition originale à faire sur ce sujet. Explications.
L’accident dans lequel a été impliqué le véhicule piloté par Pierre Palmade a été largement médiatisé. Une femme enceinte a perdu l’enfant qu’elle porte et nul ne peut ignorer aujourd’hui les données juridiques du débat : si l’enfant, extrait par césarienne, a vécu ne serait-ce que quelques secondes, on peut alors dresser un acte de naissance, puis un acte de décès, et le considérer comme un sujet de droits. Par voie de conséquence, le droit pénal des personnes s’applique et les faits commis constituent un homicide par imprudence.
En revanche, si l’enfant est venu mort-né, il ne peut être considéré par le droit comme une personne. Il ne fera l’objet que d’un certificat d’enfant sans-vie, simple ersatz d’acte d’état civil. Et les faits commis ne seront pénalement qualifiables qu’en violences involontaires sur la personne de la femme.
La personnalité juridique n’est attribuée, jusqu’à présent, qu’à la naissance
La sanction pénale n’est pas tout à fait la même. L’homicide involontaire est puni de cinq ans d’emprisonnement (art 221-6-1 du Code pénal), mais la sanction peut passer à 10 années d’emprisonnement et 150 000 euros d’amende si deux circonstances aggravantes sont établies : « l’usage de substances ou de plantes classées comme stupéfiants » par le conducteur et le « dépassement de la vitesse maximale autorisée, égal ou supérieur à 50 km/h ».
En revanche, les « atteintes involontaires à l’intégrité de la personne » entraînant une « incapacité de travail pendant plus de trois mois » ne sont punissables que de trois ans d’emprisonnement et 45 000 d’amende. Mais la peine peut être portée à sept années d’emprisonnement et à 100 000 euros d’amende lorsque l’atteinte involontaire a été commise avec les deux mêmes circonstances aggravantes que celles citées précédemment (art 222-19-1 du Code pénal).
Nous observons que l’état de grossesse de la victime est une circonstance aggravante lorsque les violences sont volontaires (V° Par ex art 222-8, 222-10). Mais cet état paraît indifférent lorsque les violences ne le sont pas.
Le public comprend mal la distinction qui paraît technique et singulièrement injuste… mais qui est la conséquence de la définition juridique de la personne, constamment rappelée en jurisprudence (V° de façon générale Xavier Labbée « l’enfant conçu » JurisClasseur civil Fascicule 50).
La personnalité juridique n’est attribuée qu’à la naissance (quitte à faire remonter fictivement et rétroactivement la personnalité juridique au jour présumé de la conception, si l’enfant est venu au monde vivant et viable et s’il y va de son intérêt, en application de la maxime infans conceptus). Mais elle n’est pas attribuée avant. La raison juridique est simple : l’interruption volontaire de grossesse est une liberté pour la femme qui ne commet pas un acte homicide en y ayant recours. C’est l’une des conséquences de la loi Veil souvent méconnue : si l’IVG est rendue juridiquement possible, c’est que l’enfant n’est rien d’autre qu’une fraction de chair de la femme. Et la définition de la personne s’en est trouvée irrémédiablement modifiée. (Xavier Labbée L’enfant conçu JurisClasseur civil fasc. 50) Voilà pourquoi il est capital de savoir si l’enfant a vécu ou non, et si sa naissance et son décès peuvent être déclarés simultanément.
Mais on peut changer les choses…
Comment en sortir ?
Les récentes dispositions législatives relatives au certificat d’enfant sans vie (enfant qui peut désormais avoir « un nom » et des « parents » … ce qui est difficile à comprendre s’il n’est pas une personne, et alors même « qu’aucune action n’est reçue quant à la filiation d’un enfant qui n’est pas né viable » selon l’article 318 du Code civil) traduisent l’embarras de la société. L’ordre public change même si l’on ne peut pas parler de retour à l’ordre moral. Les conséquences des libertés que l’on a prises hier sont parfois jugées aujourd’hui négativement… et l’on fait le bilan… (Xavier LABBEE De Jean Carbonnier à la justice de la post-humanité Actu juridique 2021) On s’aperçoit que l’enfant conçu mérite peut-être un peu plus de considération qu’avant… (Xavier LABBEE « vers un certificat d’enfant vivant » actu juridique 22 février 2022)
Nous avions proposé il y a longtemps (Xavier Labbée, La condition juridique du corps humain avant la naissance et après la mort » Thèse PU Lille et PU Septentrion pages 237 et suivantes) un texte visant à permettre à toute femme enceinte qui le souhaite d’effectuer en mairie une déclaration de grossesse une fois passé le délai légal permettant l’IVG (soit aujourd’hui la quatorzième semaine). Dans l’esprit de la proposition, il ne s’agissait pas d’instaurer une obligation pour toutes les femmes, mais plutôt une liberté pour celles qui le souhaitent : si la femme a le pouvoir de se séparer de l’enfant qu’elle porte, elle doit avoir aussi le pouvoir de l’élever au rang de personne si elle en a l’envie. Pourquoi la liberté de la femme ne pourrait-elle fonctionner que dans un sens et pas dans l’autre ? Cette déclaration une fois effectuée aurait pour effet d’attribuer la qualité de sujet à l’enfant : un patrimoine, un véritable état civil et plus généralement la protection pénale et civile des personnes. Ce projet ne portait nullement atteinte à la liberté de la femme d’interrompre sa grossesse puisque la déclaration ne peut être effectuée qu’une fois franchi le seuil légal. Mais il nous était apparu beaucoup plus vivifiant puisqu’il est porteur d’espoir… Et sans doute pourrait-il s’inscrire également dans l’esprit du droit contemporain de la filiation, qui se résume bien souvent à une matria potestas. Pourquoi ne pas y réfléchir ?
Si la médiatisation encadrant le terrible accident causé par l’artiste pouvait provoquer la réaction d’un public qui n’aurait pas réagi en d’autres circonstances, alors peut-être pourra-t-on la qualifier d’utile…
Référence : AJU351086