Aide active à mourir : gare à la banalisation de la mort donnée !
Les Pays-Bas viennent d’autoriser l’euthanasie des enfants de moins de douze ans. Ce pays a été le premier à franchir le pas pour les adultes en 2002, rapidement suivi par la Belgique. En France, Emmanuel Macron a annoncé un projet sur l’aide active à mourir d’ici la fin de l’été. La Convention citoyenne s’y est déclaré favorable, de même que le Comité consultatif national d’éthique (CCNE). Mais le ministre de la santé, François Braun, vient d’émettre des réserves. Quant à l’ordre des médecins, il se déclare opposé à l’euthanasie et réclame une clause de conscience. Le professeur Jean-René Binet, auteur du manuel Droit de la bioéthique, dont la 2e édition vient de paraitre chez LGDJ (groupe Lextenso), nous livre son analyse sur le dispositif existant et ce qu’une loi pourrait changer.
Actu-Juridique : Quels sont les principes qui fondent le droit de la fin de vie en France ?
Jean-René Binet : La France a développé une approche singulière sur la question de la fin de vie que l’on doit à Jean Leonetti. À l’issue de la « Mission parlementaire sur l’accompagnement de la fin de vie » qu’il a pilotée en 2004 à la demande de Jacques Chirac, dans le prolongement de l’affaire Vincent Humbert, il avait acquis la conviction que la question de la fin de vie ne conduisait à une demande d’euthanasie que lorsque la souffrance n’avait pas été traitée. Cette approche, retenue dans la loi dite « Leonetti » de 2005, modifiée en 2016, est toujours pertinente. À l’occasion des discussions autour de la convention citoyenne, j’ai lu sous la plume de médecins spécialisés en soins palliatifs, mais aussi dans l’avis 139 publié le 13 septembre du comité national consultatif d’éthique, que dans l’immense majorité des cas lorsqu’une personne évoque une volonté de mourir et qu’on met à sa disposition des soins palliatifs adaptés, cette demande cesse et les patients disent : « nous voulons vivre ». Le modèle français que souhaite inventer le président existe donc déjà, c’est celui-là, qui accepte la complexité du problème et qui réaffirme l’interdit cardinal de donner la mort surtout s’agissant de médecins qui sont soumis au droit pénal, mais aussi au serment d’Hippocrate. Cela réaffirme aussi que, quand la mort vient, il faut l’accepter contre l’obstination déraisonnable de l’acharnement thérapeutique. Autrement dit en droit français, on ne donne pas la mort et on s’abstient de prolonger artificiellement la vie.
Actu-Juridique : Ceux qui réclament l’euthanasie semblent considérer qu’il manque quelque chose dans notre droit. En pratique, comment traite-t-on la souffrance actuellement ?
J.-R. Binet : Il existe un droit à l’arrêt du traitement, créé pour la fin de vie en 2005 et étendu en 2016 à tous les malades. Soit la demande est émise par le patient s’il est conscient, soit on applique les directives anticipées conservées dans son dossier médical ou placées entre les mains d’une personne de confiance désignée par le malade. Le médecin doit respecter la volonté exprimée. Si le patient est conscient, qu’il veut arrêter le traitement et que la souffrance est telle que l’antalgique est impuissant, il est possible de recourir à la sédation profonde et maintenue jusqu’au décès. Ainsi, le patient meurt sans endurer les souffrances de l’agonie. Ce dispositif donne satisfaction, il n’est pas remis en cause par les médecins, au contraire, l’ordre vient de prendre position contre l’euthanasie et demande la création d’une clause de conscience.
Actu-Juridique : Si les soins palliatifs répondent aux besoins des malades mais que l’offre est insuffisante, comment se défendre de l’idée que l’euthanasie est une solution à moindre coût, ou à tout le moins, la voie de la facilité ?
J.-R. Binet : Je me garderai de tout procès d’intention, mais il est clair que tout le monde s’accorde à reconnaître le manque de moyens dont souffrent les soins palliatifs. C’est l’une des conclusions de la convention citoyenne, et c’est également ce que constate le comité d’éthique dans son avis 139. Dans certains départements, il n’existe aucun dispositif. Dès lors, rien ne serait pire que de prévoir la possibilité d’une mort médicalement autorisée, à la place de ces soins qui ont justement la vertu de mettre fin à la demande de mort. Ce serait une réponse simpliste à une question complexe.
Actu-Juridique : Qu’ambitionne précisément le gouvernement ?
J.-R. Binet : Tant le comité d’éthique que la convention citoyenne admettent le principe, inédit en France, qu’un médecin soit autorisé à donner la mort à son patient ou à l’aider à se suicider. Si cette proposition était mise en œuvre, cela constituerait un basculement anthropologique majeur : on demanderait à un médecin de tuer, contrairement au Code pénal selon lequel administrer une substance mortelle est constitutif d’un crime d’empoisonnement et en opposition directe avec le serment d’Hippocrate. Une fois ce pas franchi, et même si c’est très encadré, on sait que les limites deviendront floues. Le modèle belge, que le président de la République cite en exemple, est celui ou des adolescents demandent la mort parce qu’ils sont déprimés. C’est la banalisation de la mort donnée.
Actu-Juridique : Le choix par le président de la République de réunir une convention citoyenne vous semble-t-il pertinent au regard de la complexité des enjeux ?
J.-R. Binet : Je ne suis pas hostile à l’idée de faire participer des citoyens à une décision publique sur un sujet éthique. Les états généraux de la bioéthique sous Leonetti ont précisément permis d’associer la population à ces travaux sur des questions cruciales. Tout dépend de la manière dont c’est organisé et, notamment, comment on permet aux citoyens tirés au sort d’appréhender les sujets sur lesquels on va leur demander de se prononcer. Jean Leonetti avait parfaitement identifié le problème ; il s’était employé à ce que les citoyens entendent tous les avis car, en ces matières, la neutralité n’existe pas. Ils avaient la possibilité d’approfondir, de demander à rencontrer un auteur. Chaque question était traitée par un binôme composé d’un juriste et d’un philosophe. À l’inverse ici, le comité d’éthique a rendu son avis le jour du lancement de la convention. Les citoyens ont entendu dès le départ des professionnels pratiquant des euthanasies qui sont venus leur expliquer que tout se passait bien. Ils n’ont pas pu visiter un centre de soins palliatifs. Tout ceci donne l’impression qu’on a formaté les débats, d’ailleurs les participants eux-mêmes n’étaient pas à l’aise.
Actu-Juridique : Que faudrait-il faire selon vous ?
J.-R. Binet : Donner enfin les moyens promis pour les soins palliatifs, afin de réduire les souffrances à l’origine des demandes de mort. Et prendre conscience aussi que les militants de la cause euthanasique ne représentent qu’eux-mêmes. Ni les malades, ni les médecins ne réclament cette réforme. Elle est revendiquée au nom de quelques cas très exceptionnels, mais on sait depuis le discours préliminaire de Portalis qu’on ne légifère pas sur l’exception, qu’au contraire, il convient de rester ferme sur les principes, et de déléguer au juge le soin d’adapter la règle générale aux cas particuliers.
Référence : AJU363444