GPA : « Il faut cesser de passer la femme par pertes et profits »
Le 23 avril 2024, les députés européens ont adopté une loi élargissant le champ d’application des mesures actuelles pour combattre et prévenir la traite des êtres humains et mieux soutenir ses victimes, par 563 voix pour, 7 contre et 17 abstentions. La maternité de substitution, ou GPA, entre désormais dans le champ de la traite des êtres humains. Mais depuis quelques jours, la polémique fait rage. Le nouveau texte réprime-t-il uniquement la GPA contrainte organisée par une association criminelle, ou toute forme de GPA ? Nous avons demandé au professeur Marie-Anne Frison-Roche, auteur d’un ouvrage intitulé « GPA : dire Oui ou dire Non »* publié chez Dalloz en 2018, de nous éclairer sur les enjeux attachés à cette question et sur la position de l’Europe.
Actu-Juridique : La GPA est une pratique ancienne même si elle est longtemps restée marginale, qu’est-ce qui a changé et nécessite aujourd’hui l’attention des pouvoirs publics et du législateur ?
Marie-Anne Frison-Roche : La GPA est une « pratique », c’est la meilleure des expressions. Elle consiste pour une ou plusieurs personnes qui ont un « désir d’enfant » à se tourner vers celles qui ont l’aptitude de faire venir au monde un enfant, c’est-à-dire une femme, d’en porter un et à l’instant même de sa naissance de leur donner, puisque cette femme a consenti à cela. Françoise Héritier a raison de dire que cette aptitude naturelle à porter l’enfant, à interrompre la grossesse si elle le veut, à le mettre au monde si elle le veut, est le pouvoir des femmes qui fût toujours l’objet de fascination et d’envie : ce pouvoir d’enfanter, de donner la vie, de nouer ce lien entre soi et l’enfant, objet de toutes les convoitises, a une immense valeur.
La pratique de la « maternité de substitution » consiste à trouver une femme fertile dont on va capter cette aptitude en introduisant dans son corps soit uniquement les gamètes d’un homme, le corps de cette femme fournissant l’ovocyte, soit également l’ovocyte d’une autre femme, pour se faire remettre l’enfant à la naissance. Le lien de filiation sera établi à l’égard de celui qui a donné le gamète, par son sperme. S’il a une conjointe ou un conjoint, le lien de filiation sera établi à l’égard de celui-ci par l’adoption. La naissance ayant été déclarée sous X, la femme n’aura été que la « porteuse ». Les bénéficiaires de la pratique sont extérieurs à celle-ci : c’est littéralement la « gestation pour autrui » (GPA).
Comment cette pratique peut-elle aujourd’hui être exercée à une si grande échelle ? Cela s’explique en regardant les désirs à l’œuvre et leur mode de rencontre.
Les désirs à l’œuvre sont aussi anciens que l’humanité : le premier est le désir d’enfant. Il est au cœur de tout être humain. La nouveauté tient à deux causes. En premier lieu la pratique de la GPA est aujourd’hui active, voire exponentielle, parce qu’il a fallu que la technologie d’insertion dans le ventre des femmes de gamètes, voire d’ovocytes, existe. Désormais, si quelqu’un qui a un désir d’enfant rencontre une femme apte à avoir une grossesse, la pratique peut se nouer. Le désir d’enfant peut aujourd’hui toujours techniquement trouver satisfaction. Or, beaucoup ont un désir d’enfant qui n’est pas naturellement satisfait. Parce qu’il s’agit d’une femme qui n’est pas ou qui n’est plus fertile. Parce qu’il s’agit d’un homme qui est seul. Parce qu’il s’agit d’un homme qui est en couple avec un autre homme. Parce qu’il s’agit d’une femme qui a l’aptitude physique à porter un enfant, mais qui ne veut pas les risques et inconvénients de la grossesse. Tous ces cas de figure existent. En second lieu, le « désir d’enfant » s’est transformé en ce qui serait un « droit à l’enfant ». On a donc le droit à ne pas renoncer à son désir d’enfant du seul fait que l’on ne peut pas en avoir : si chacun pense avoir toujours et en toutes circonstances un droit à l’enfant, tout ce qui le contrarie, y compris sa propre situation, devrait donc être surmonté. Plus encore, tout ce qui ne l’aide pas serait une attaque : soit contre les femmes âgées, soit contre les homosexuels, soit contre les femmes qui travaillent et pour lesquelles la grossesse est un handicap professionnel, alors qu’on les veut leaders comme les hommes qui n’ont pas à porter les enfants dont ils sont les pères. Le désir d’enfant, ancien et commun, est ainsi devenu premier.
Actu-Juridique : Autrement dit, les innovations techniques couplées à l’émergence d’un sentiment de droit à l’enfant ont fait exploser la demande de maternité de substitution…
MAFR : Mais ce désir d’enfant ne rencontre pas de désir d’avoir des grossesses sans conserver l’enfant. En pratique, car tout cela effectivement est affaire de pratiques, la rencontre de tous ces désirs d’enfant avec des femmes aptes à porter l’enfant désiré se fait très difficilement.
Car le désir de porter pour d’autres personnes manque du côté des femmes fertiles. Les femmes disponibles pour porter neuf mois un enfant pour le donner à la naissance sont très peu nombreuses tandis que les demandes de nourrissons avec lesquels un lien de filiation est ainsi noué avec ceux qui le désirent ont explosé depuis que la pratique est possible. Le désir qui anime la femme qui porte l’enfant pour autrui est difficile à discerner. Sauf à ce que ce soit le désir de faire le bien d’inconnus, de proches ou d’un membre de sa famille. Elisabeth Badinter évoquait le plaisir pur d’être enceinte sans être ensuite encombrée de l’enfant. C’est possible. Cela fait au total un nombre peu élevé de femmes.
Cette absence de rencontre entre la demande, nombreuse et grandissante, et l’offre, restreinte, a fait naturellement naître un business. Des agences, souvent situées à Londres, offrent leurs services d’intermédiation dans l’espace numérique et mettent en contact le nombre élevé de personnes souffrant d’un manque d’enfant avec des femmes qu’elles parviennent à trouver, toujours à l’étranger et parfois en Europe. En Europe, il s’agit tout particulièrement de l’Ukraine. Ces agences sont très prospères. Elles structurent leur activité par une série de contrats de droit privé, avec leurs clients d’une part, et avec leurs prestataires d’autre part. Le désir qui les anime est l’argent. Si les femmes gestatrices sont à l’étranger, ce n’est pas seulement parce que l’ordre public français interdit cette pratique car attentatoire à la dignité de la personne, à travers le droit civil (article 16-7 du Code civil) et le droit pénal (article 227-12 du Code pénal), mais c’est surtout parce qu’on trouve plus d’offres à porter de la part de femmes vivant dans d’autres pays que le nôtre.
Actu-Juridique : L’Europe avait-elle déjà pris position sur la GPA et si oui, par quels textes et dans quel sens ?
MAFR : Comme souvent lorsqu’il y a de nouvelles pratiques, c’est la jurisprudence qui a bougé. Si l’on prend l’Europe au sens large, la Cour européenne des droits de l’Homme (CEDH) a effectivement « pris position ». Par deux arrêts du 26 juin 2014 Mennesson, elle a condamné la France, en ce que la Cour de cassation refusait, par une série d’arrêts, tout établissement de lien de filiation entre la personne qui avait commandé l’enfant et l’avait obtenu sans avoir de lien biologique avec lui grâce à cette pratique. La Cour de cassation qualifiait ces contrats de contraires à l’ordre public international en ce qu’ils portent atteinte à la dignité de la personne, ici la mère et l’enfant, la vie privée ne pouvant justifier cette atteinte. La CEDH prit un autre angle de vue : non plus celui de la mère, et de l’enfant dans son lien avec elle, mais celui de l’enfant dans sa vie avec ceux avec lesquels il vit depuis sa naissance. Au nom de sa vie privée, et parce qu’il est extérieur à cette pratique, la CEDH affirme qu’un lien de filiation doit pouvoir être établi. La Cour de cassation a donc rendu 3 arrêts en 2015 pour reproduire l’angle privilégié par la CEDH qui part du droit de l’enfant à vivre sa vie usuelle avec ses parents d’intention, ce qui requiert que l’établissement de sa filiation ne lui soit pas dénié, même si la pratique qui l’a fait naître est condamnée pénalement. Il est donc aujourd’hui possible pour une personne de signer un contrat de GPA auprès d’une agence et d’obtenir un lien de filiation, dont l’acquisition est dès le départ incluse dans ce contrat. La Cour de cassation a exigé que le lien de filiation ne puisse se faire à l’égard de celui qui n’a pas de lien biologique que par l’adoption.
Face à cette évolution européenne déclenchée par la CEDH à l’encontre le droit français dont la législation n’a pas pour autant bougé sur l’indisponibilité du corps humain et le principe de dignité des corps des femmes, la pratique des GPA, s’opérant donc à l’étranger, peut désormais donner lieu à des filiations reconnues de cette façon en France, la demande de prise de position s’est déplacée du juge vers le politique. Ceux qui soutiennent cette pratique ont demandé le changement de la loi française. Le président de la République français a affirmé son hostilité à la GPA comme contraire aux droits des femmes, en 2017, ce qu’il a réitéré en 2021.
Le législateur européen a été saisi pour dire s’il est favorable ou pas à cette pratique. En effet le pouvoir de désigner comme « mère » qui l’on veut ou d’engendrer des enfants qui peuvent ne pas avoir de mère, mais par exemple deux pères, parce qu’un contrat le stipule, est un acte anthropologique, dont ceux qui sont pour comme ceux qui sont contre mesurent la portée. Jamais le droit n’aurait été aussi puissant, si l’on peut par la seule volonté de l’un, celui qui désire l’enfant, et le seul consentement de l’autre, celle qui porte l’enfant, faire naître une filiation dessinée à son choix. Le législateur français a dit Non. Il continue de dire Non. Mais nous savons que le droit français s’insère dans le droit européen. C’est donc également au législateur européen de parler.
Actu-Juridique : Dans ce contexte, quelle nouveauté apporte le texte adopté par le Parlement européen le 23 avril dernier ?
MAFR : Le sens et l’ampleur de la nouveauté dépendent du sens que l’on peut avoir l’ingéniosité de donner au texte. La directive vise la GPA parmi les comportements d’exploitation des êtres humains. Cette directive a été discutée pendant des années. Lorsqu’on évoquait ce texte sous la forme antérieure de résolution, l’on concluait toujours que son adoption signifierait l’interdiction sur le territoire de l’Union de la GPA. Comme l’adoption n’arrivait jamais, l’on n’y prêtait pas grande attention, puisque la CEDH avait laissé la pratique organisée au-delà porter ses fruits sur des filiations efficacement déclarées dans des pays où elle est interdite. Mais, je sais que cela peut être agaçant, sans doute dans toute personne sommeille un avocat, et toute personne qui a à cœur une cause la défend en toutes circonstances et à tout prix.
Ainsi, une lecture de la directive votée le 23 avril est apparue, disant : si la GPA est sanctionnée en tant qu’elle est une exploitation de l’être humain, alors si elle n’est pas une exploitation de l’être humain parce que la femme aura fait cela sans être exploitée, parce qu’elle le veut, parce qu’elle y consent librement, parce qu’elle veut faire le bien d’autrui, alors non seulement la directive ne vise pas cette GPA, dite « altruiste », mais plus encore la directive valide la GPA altruiste.
L’art du Droit tient dans l’aptitude à lire une phrase et à y voir dans ce qui est au premier regard une catégorie, à savoir la traite des êtres humains, à laquelle appartient la GPA, ou bien, à l’inverse, à y découvrir dans un second regard ce qui serait une condition, à savoir la traite des êtres humains comme situation de fait qui fait condamner la pratique, ce qui conduirait à ne condamner la GPA que lorsqu’elle est pratiquée dans des circonstances d’exploitation et impliquerait donc, au contraire, de valider celle-ci dès l’instant que la situation d’esclavage n’est plus réunie.
Si l’on lit la « traite des êtres humains » non plus comme une catégorie mais comme une condition, ce que font les lecteurs favorables à la pratique, alors la directive change les choses, il faudrait dire change de direction, puisque ce texte validerait la GPA dite éthique, puisque la femme accepte librement, sans contrepartie et par le désir de rendre service, de porter un enfant avec lequel il lui est indifférent de n’avoir pas de lien reconnu.
Si on en reste à une interprétation au premier regard, selon laquelle la « traite des êtres humains » est une catégorie dans laquelle la GPA est insérée, la portée est inverse, puisque la prohibition déjà exprimée et maintenue par le droit français civil et pénal est renforcée de deux façons : par l’extension géographique à tout le territoire de l’Union européenne et par le renforcement de la qualification puisque la qualification de « traite des êtres humains » est l’une des plus graves.
Pour ma part, ayant enseigné de nombreuses années la « logique juridique » dans le DEA de philosophie du droit avec François Terré, je vois que la rhétorique interprétative ici à l’œuvre est très violente et qualifie ceux qui ne partagent pas l’interprétation pourtant audacieuse de la traite comme condition, de « méchant » (extrême droite, homophobe, non-féministe, réactionnaire, etc.). Mais je peux comprendre la violence de cette réaction en raison des enjeux : c’est d’un choix de société dont il s’agit, à travers ce que l’on peut faire ou pas aux femmes et aux enfants. C’est en fonction de la société que l’on veut, que l’on dit Oui ou que l’on dit Non à la GPA.
Actu-Juridique : Dans l’ouvrage que vous avez consacré à la GPA en 2018 chez Lefebvre-Dalloz préfacé par Éliette Abécassis, vous montrez qu’on peut dire Oui ou Non à la GPA, mais qu’il faut répondre et surtout vous mettez en lumière les implications de ces choix. Pourquoi faut-il forcément répondre à cette question ?
MAFR : Cette dispute d’exégèses sur la directive m’a conduite à relire ce livre. 2018, c’est déjà ancien. En 1995, c’est encore plus loin…, j’avais établi la distinction, voire l’opposition, entre le consentement et la libre volonté. Dans le droit classique, ils s’articulent intimement puisque le consentement est ce par quoi j’exprime ma volonté. Mais la logique du marché a produit la scission des deux : les puissants expriment leurs volontés et achètent des consentements, qui sont devenus des objets autonomes qui circulent sur des marchés grâce à des intermédiaires financiers. Cela explique les marchés financiers et les marchés concurrentiels. Mais il ne faut pas que cette scission gagne tout : il ne faut pas que nous entrions dans une société de consentements. Les femmes en sont les premiers objets. Le livre Le consentement l’a si bien illustré : on dit oui et l’autre fait ce qu’il veut. On signe un contrat et l’autre dispose.
La GPA, c’est une société de consentements pour l’ensemble des personnes, celles qui ont les moyens de vouloir (par exemple vouloir un enfant) elles sont peu nombreuses, et celles qui n’ont que les moyens de consentir, elles sont très nombreuses. L’offre et la demande pourraient ainsi, enfin, se rencontrer.
C’est un choix de société à faire.
Si nous ne répondons pas clairement, par exemple en entrant dans cette bataille d’exégèses, si étonnante celle-ci paraît-elle et qui serait peut-être portée devant des juges, par exemple en ne poursuivant pas les agences, alors la pratique se développera. Par la force des désirs et l’intérêt des agences.
Actu-Juridique : Imaginons que l’on choisisse le Oui. Qu’implique-t-il sur les valeurs de la société et l’état du droit ?
MAFR : Si le Législateur admet la licéité de la GPA, il change la filiation elle-même. Et la place de l’État dans son rôle dans la protection des personnes. Il faut en mesurer les conséquences, on peut les admettre, mais il faut alors mesurer ce que l’on aura accepté.
Tout réside dans le « projet d’enfant », dans l’enfant que l’on « veut ». Quelqu’un, généralement un couple, élabore un projet d’enfant, qui se heurtait à deux obstacles, l’un en amont – faute d’utérus – et l’autre en aval – faute d’État pour établir le lien de filiation entre l’enfant et quelqu’un d’autre que la femme du ventre de laquelle l’enfant est sorti à l’accouchement. Si la GPA devient licite, c’est « l’intention » de ceux qui ont un projet qui fait l’enfant et qui fait la filiation, que l’officier d’état-civil recopie. La femme a disparu, ce qui est logique puisqu’elle n’a jamais été dans le « projet ». L’État aussi a disparu, puisqu’il recopie ce que le contrat stipule.
La GPA devient uniquement une affaire de « vie privée » et l’État n’aurait pas à s’en mêler, dès l’instant que les divers prestataires sont satisfaits dans leurs relations contractuelles, ce qui est présumé, et que l’enfant sera heureux, ce qui est présumé aussi.
La filiation, qui était une institution politique qui ancre l’individu dans la société au-delà de sa famille, disparaît en tant que telle pour une conception purement contractuelle.
La Californie a naturellement dit Oui à la GPA parce qu’elle ne connaît pas le concept d’État, l’administration ayant pour fonction de gérer les externalités, cet État ayant contractualisé cette pratique et attirant beaucoup d’étrangers.
Ce fonctionnement californien devrait être admissible : il s’agit d’une société où les individus vivent selon cette loi des désirs, servie par la compétition de tous contre tous. Ils acceptent par avance d’y perdre puisqu’ils peuvent toujours espérer y gagner. Il va de soi que dans ce choix de société, les mères porteuses sont rémunérées, le prix augmentant en fonction de la qualité physique dont elles peuvent se prévaloir et de la probabilité de qualité de l’enfant à naître, physique et intellectuelle. L’enfant peut d’ailleurs être refusé s’il ne correspond pas au « projet ». Il est alors remis à disposition pour d’autres parents d’intention.
Les mères porteuses qui ont réussi ouvrent des agences et retournent ainsi dans la catégorie des gagnants à laquelle chacun aspire.
Comme nous ne sommes pas la Californie, il n’est pas sûr que nous acceptions cette franchise et cette brutalité dans leur cohérence. Nous voudrions que les femmes se prêtent à cela par amour de l’autre, mais nous allons nous heurter à une pénurie de l’offre, et nous voulons que tous y aient accès, rejetant donc la mise de fonds que cela implique. Nous voudrions alors que l’État s’en mêle de nouveau, non plus pour interdire la GPA mais pour payer les frais de la pratique, notamment l’indemnisation des mères porteuses, qui deviendraient comme des assistantes procréatrices prises en charge par la sécurité sociale pour concrétiser le droit à l’enfant de tous et pas seulement des riches. Mais l’on sait que si l’on choisit de dire Oui, et pourquoi pas, c’est le marché qui répondra et ajustera la demande, déjà là, et l’offre, qui ne viendra que par intérêt financier.
Actu-Juridique : Et si l’on dit Non à la GPA, on le fait sur quel fondement et pourquoi ?
MAFR : En France, on croit déjà avoir dit Non à la GPA. Puisque le Code civil et le Code pénal la prohibent. Les praticiens de la GPA que sont les agences et les cliniques prospèrent donc en soutenant qu’il n’y a pas de sujet. Ils le soutiennent d’autant plus que la jurisprudence posant la possibilité d’adopter l’enfant dont le conjoint est le père biologique, même si l’enfant est issu d’une GPA réalisée à l’étranger, dans un pays où celle-ci est licite, l’intéressé pourra dire : « comment pouvez-vous dire que je suis délinquant puisque, de par le droit, j’ai pu obtenir un titre officiel de père ? ».
Oui, dire Non, c’est-à-dire donner une véritable portée à l’indisponibilité du corps humain et à la dignité de la personne, ici la femme et l’enfant, c’est en premier lieu poursuivre au pénal les agences, qui sont au cœur des pratiques et rédigent notamment tous les contrats. Ça, c’est l’affaire des parquets. Ces agences sont le plus souvent tapies dans l’espace numérique, mais l’on progresse dans le contrôle de cet espace-là. Elles sont aussi à Londres, mais cela n’empêche pas l’action pénale.
Pour vraiment dire Non, il faut en deuxième lieu que la jurisprudence ne scinde pas la vie de l’enfant entre sa vie quotidienne après sa naissance et sa vie antérieure pendant le temps qu’il partage avec la mère qui le porte. En posant la continuité de la vie de l’enfant avant et après l’accouchement, cela implique qu’il soit contraire à son intérêt que sa mère ne lui soit juridiquement qu’un ventre. Cela impose qu’elle soit qualifiée pour ce qu’elle est, sa mère.
Il est possible qu’à la naissance, l’enfant soit abandonné. Mais il ne peut l’être par avance et par contrat au bénéfice d’une personne précise. L’enfant abandonné à la naissance est confié à l’État pour adoption. L’adoption d’un enfant est une affaire d’État, qui offre à l’une des très nombreuses personnes qui souffrent de n’avoir pas d’enfant, la chance d’avoir un enfant à adopter, sans qu’elle puisse choisir par contrat un enfant précis, désigné par avance. Les contentieux se multiplient en France sur les adoptions réalisées à partir de GPA pratiquées à l’étranger.
Pour vraiment dire Non, il faut en troisième lieu cesser de passer la femme par pertes et profits la femme. En reconnaissant que son consentement est une fable et qu’en matière pénale le consentement ne joue pas.
La directive votée le 23 avril 2024 par sa lecture littérale l’implique et l’on peut penser que la jurisprudence, notamment la jurisprudence française de la Cour de cassation qui se référait à l’ordre public international et à l’indisponibilité des personnes, aurait une nouvelle assise pour reprendre vie car le raisonnement prétorien de la CEDH, qui n’était centré que sur l’intérêt de l’enfant dans sa vie quotidienne, est remis en cause par une loi européenne qui se soucie avant tout de la femme.
En conclusion, le législateur a pour fonction de choisir le futur du groupe social. Il peut transformer notre société en ne la pavant plus que de contrats où chacun consent et réalise ses projets sans que l’État ne soit légitime à s’en mêler. Les plus puissants en seront les bénéficiaires et demanderont toujours davantage, les autres leur proposeront ce qu’ils ont à offrir, leur corps et leur aptitude à engendrer des enfants. Le législateur peut préserver et garder les valeurs de notre société, garanties par l’État qui exclut que l’on puisse obtenir la réalisation d’un enfant qui vous est livré, sa mère étant effacée par une clause, parce que le Droit a pour fonction de protéger les êtres humains.
*GPA : Dire Oui ou Dire Non. Par Marie-Anne Frison-Roche. Dalloz 2018. 44 euros.
Référence : AJU436347