Bioéthique Abonnés

La fin du secret de la conception par don de gamètes ?

Publié le 19/04/2023
PMA, don de gamètes
Christoph Burgstedt/AdobeStock

Les bénéficiaires d’un don de gamètes jouissent d’un droit au secret garanti par l’État. Ce droit s’applique parfois au détriment des personnes conçues par don, notamment en conditionnant la transmission d’informations médicales à l’accord des parents. La loi de bioéthique du 2 août 2021 semble remettre en cause ce principe.

La plupart des personnes conçues grâce à une assistance médicale à la procréation (AMP) avec tiers donneur ignorent leur mode de conception. Leurs parents, les receveurs, bénéficient d’un droit au secret. L’État garantit ce droit par trois moyens. Premièrement, les personnes conçues par don ne trouvent aucune mention de leur mode de conception dans leur acte de naissance. Deuxièmement, elles ignorent l’existence de l’acte authentique de consentement préalable au don de gamètes, malgré l’interdiction d’actions en établissement ou contestation de la filiation qu’il produit. Enfin, elles n’obtiennent pas la confirmation de ce mode de conception auprès du centre AMP, à moins de présenter l’accord des receveurs. Ce secret engendre une éventuelle perte de chance pour les personnes conçues par don, l’accord des receveurs étant en pratique requis pour la transmission d’informations médicales, malgré une nécessité thérapeutique. Le secret de la conception empêche aussi la saisie de la Commission d’accès des personnes nées d’une assistance médicale à la procréation aux données des tiers donneurs (CAPADD), créée par la loi n° 2021-1017 du 2 août 2021 relative à la bioéthique. Cette commission a notamment pour mission de contacter les anciens donneurs, à la demande des personnes conçues par don, afin de recueillir leur consentement à la transmission de données identifiantes ou non identifiantes.

La dernière loi relative à la bioéthique semble remettre en cause le droit au secret de la conception. Cette évolution doit pousser les centres AMP à s’interroger sur les informations transmissibles aux personnes conçues par don. Ces dernières formulent parfois leur demande avec l’accord des receveurs (I). Le véritable enjeu se concentre sur la demande dépourvue de mandat (II).

I – Une demande avec l’accord des receveurs

Selon l’article L. 1111-7 du Code de la santé publique, toute personne a accès à l’ensemble des informations concernant sa santé détenues, à quelque titre que ce soit, par des professionnels de santé. Dans le cadre d’une conception par AMP, l’application de cet article devient ardue, les informations de santé détenues par le centre AMP concernant en premier lieu le couple receveur. Depuis 2005, le Conseil d’État estime que la demande d’accès aux informations de santé peut être présentée par le biais d’un mandataire. Toute personne peut, à l’égard d’un tiers qu’elle désigne, lever le secret médical portant sur des informations relatives à sa santé, qu’elle identifie précisément1.

La Commission d’accès aux documents administratifs (CADA) rend un avis éclairant en janvier 20192. Une personne conçue par don sollicite notamment la communication du document consignant son état de santé durant la grossesse de sa mère, ainsi que le formulaire transmis par ses parents au centre AMP pour signaler la naissance de l’enfant, avec des renseignements sur son état de santé. En l’espèce, les documents demandés par la personne conçue par don concernent sa propre santé prénatale. La commission estime qu’en principe, une fois l’enfant né, le droit d’accès aux informations de santé s’étend aux éléments contenus dans le dossier de suivi prénatal, à condition, toutefois, que puissent être extraites de ce dossier des informations concernant exclusivement l’enfant à naître. Néanmoins, dans les circonstances particulières de l’espèce, la commission considère que la communication à l’enfant des informations médicales le concernant, qui seraient détenues par un centre d’étude et de conservation des ovocytes et des spermatozoïdes humains, révélerait par elle-même la décision de ses parents de recourir à une AMP, décision couverte par le secret de la vie privée des intéressés, et protégé par l’article L. 311-6 du Code des relations entre le public et l’administration.

Ainsi, la communication d’informations à la personne conçue par don est soumise, de manière alternative, à deux secrets distincts. Le premier est le secret médical : il impose à la personne conçue par don d’obtenir l’accord de ses parents afin d’accéder à leurs informations médicales. La décision de la CADA de 2019 évoque l’exemple de la transmission du compte rendu de préparation des spermatozoïdes de l’époux. Le second secret est le secret de la vie privée : il impose là encore à la personne conçue par don d’obtenir l’accord de ses parents afin d’accéder à ses propres informations médicales.

Les deux secrets produisent un effet identique. La personne conçue par don doit obtenir le mandat de ses parents vivants, ou à défaut rapporter la preuve de leur décès3. Cette autorisation permet d’acquérir des informations ayant pour unique intérêt de confirmer la conception par AMP avec tiers donneur. L’accord des parents suggère néanmoins que la personne conçue par don connaisse son mode de conception. Dans ce cas, l’information transmise par le centre AMP prouve par l’écrit un savoir généralement connu par la seule oralité. Le médecin certifie le mode de conception sans le dévoiler, écartant toute difficulté éthique ou juridique.

Évidemment, l’enjeu principal pour les personnes conçues par don est d’accéder à leurs propres informations médicales sans l’accord des receveurs, afin de confirmer, ou d’infirmer, en toute discrétion, un doute sur leur mode de conception.

II – Une demande sans l’accord des receveurs

L’exigence de l’accord des receveurs résulte de leur droit au secret de la vie privée. La divulgation des informations médicales concernant la personne conçue par don révélerait la décision des parents de recourir à une AMP. Or l’État garantissait le secret de la conception par don de gamètes. La dernière loi de bioéthique remet en cause ce principe en trois temps.

Premièrement, l’article R. 2143-9 du Code de la santé publique ne conditionne pas la saisie de la CAPADD à l’accord des receveurs. Le demandeur doit justifier son identité et sa filiation, sans fournir un mandat des receveurs. La recherche de la CAPADD nécessite pourtant la consultation d’informations confirmant le recours à une AMP. Par la suite, la réponse adressée aux demandeurs communique nécessairement certaines de ces informations, notamment en confirmant ou infirmant, de manière indirecte, l’existence d’une AMP.

Deuxièmement, l’opinion largement répandue selon laquelle l’État ne doit pas se substituer aux parents dans la révélation du secret de la conception a été fortement nuancée. Les couples de femmes sont en effet tenus de réaliser une reconnaissance conjointe anticipée, mentionnée dans l’acte de naissance de la personne conçue par don. Cette disposition a pour objectif de consolider la filiation des couples de femmes. Elle a pour conséquence la révélation du mode de conception de la personne conçue par don, en cas de silence, certes peu probable, du couple receveur.

Troisièmement, la garantie du secret de la conception par AMP figurait à l’article 311-20 du Code civil, abrogé au profit de l’article 342-10. Cet article était relatif au consentement à l’AMP, devant être recueilli « dans les conditions garantissant le secret ». La loi du 2 août 2021 supprime cette mention. La décision a été prise dès le début des travaux parlementaires : alors que le projet de loi confirmait initialement la garantie du secret, la rapporteure Coralie Dubost proposa de l’amender par ces mots : « Nous refusons (…) la culture du secret autour de la procréation médicalement assistée. C’est aussi un progrès social »4.

L’État ne garantit plus le secret de la conception par don de gamètes. En conséquence, l’avis de la CADA de 2019 semble désormais contraire à la volonté du législateur. La CADA ne s’étant pas prononcée sur ce sujet depuis la loi de bioéthique de 2021, les effets de ce changement de paradigme sont incertains. Les personnes conçues par don peuvent probablement obtenir, sans l’autorisation des receveurs, la transmission des informations médicales les concernant détenues par les centres AMP. Le droit au secret de la conception des receveurs s’effacerait alors, au profit d’un droit à l’information des personnes conçues par don. Un nouvel avis de la CADA permettrait de s’en assurer.

Notes de bas de pages

  • 1.
    Déc. 26 sept. 2005, applicable aux demandes formulées par les personnes conçues par AMP avec tiers donneur d’après la Commission d’accès aux documents administratifs : avis n° 20102395, 27 juill. 2010.
  • 2.
    CADA, avis n° 20183756, 10 janv. 2019.
  • 3.
    CSP, art. L. 1110-4, al. V.
  • 4.
    C. Dubost, Commission spéciale chargée d’examiner le projet de loi relatif à la bioéthique, 12 sept. 2019, séance de 21 h, CR n° 41.
Plan
X