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Retour sur la bonne gestion des directives anticipées liées à la fin de vie

Publié le 13/02/2023
Fin de vie, hôpital, patient
kieferpix/AdobeStock

Un médecin n’ayant pas souhaité appliquer des directives anticipées qu’il estimait manifestement inappropriées, le Conseil constitutionnel a été saisi d’une question prioritaire de constitutionnalité. Il s’agissait de vérifier la conformité à la Constitution du troisième alinéa de l’article L. 1111-11 du Code de la santé publique, texte modifié par l’ordonnance n° 2020-232 du 11 mars 2020.

Cons. const., QPC, 10 nov. 2022, no 2022-1022

Gravement blessé lors d’un accident survenu en mai 2022, un quadragénaire a été hospitalisé et admis au service de réanimation. Alors qu’il avait rédigé des directives anticipées et noté qu’il souhaitait être maintenu en vie même artificiellement en cas de coma prolongé jugé irréversible, l’équipe médicale a décidé de suspendre les traitements. Les praticiens ont en effet estimé que son état de santé patient ne pourrait pas être amélioré, si bien que poursuivre les soins reviendrait à une obstination déraisonnable. Les membres de la famille, connaissant le contenu des directives anticipées rédigées par leur proche, ont entamé une procédure en vue d’obtenir la suspension de cette décision prise par l’équipe médicale. Dans cette affaire, le Conseil d’État s’est demandé si l’arrêt des soins sur la base de l’alinéa 3 de l’article L. 1111-11 du Code de la santé publique pouvait être revu pour un manque de conformité à la Constitution1, et le 22 août 2022, il a adressé une question prioritaire de constitutionnalité (QPC) au Conseil constitutionnel dans les conditions prévues à l’article 61-1 de la Constitution.

Face au refus du médecin de tenir compte des directives anticipées de son patient, dans sa décision rendue le 10 novembre 2022, le Conseil constitutionnel saisi de la QPC a jugé conformes à la Constitution les dispositions législatives relatives aux conditions dans lesquelles un médecin est amené à écarter les directives anticipées d’un patient en fin de vie (I). Cette affaire permet de rediscuter de l’importance des directives anticipées dans le cadre de la fin de vie (II).

I – La conformité à la Constitution des dispositions législatives relatives aux directives anticipées

Dans l’arrêt du 10 novembre 2022 ici commenté, le Conseil constitutionnel a jugé que l’alinéa 3 de l’article L. 1111-11 du Code de la santé publique ne pose aucun problème et qu’il est bien conforme à la Constitution. Il rejette dès lors la QPC car il ne conteste pas les conditions prévues par les textes pour autoriser un médecin à ne pas prendre en compte les directives anticipées, bien que le patient soit sur le point de décéder.

En effet, l’article L. 1111-11 du Code de la santé publique prévoit que toute personne majeure peut rédiger des directives anticipées relatives à sa fin de vie, pour le cas où elle serait un jour hors d’état d’exprimer sa volonté, mesures qui expriment sa volonté et s’imposent en principe au médecin. Pour autant, l’alinéa 3 de cet article précise que le médecin est libre de les écarter si elles sont manifestement inappropriées ou non conformes à l’état actuel du patient. Il est vrai que, conformément à l’article R. 4127-37 du Code de la santé publique : « En toutes circonstances, le médecin doit s’efforcer de soulager les souffrances de son malade, l’assister moralement et éviter toute obstination déraisonnable dans les investigations ou la thérapeutique ». Dès lors, vu l’état du patient, maintenir les soins comme ce dernier l’avait fait savoir dans l’écrit exprimant ses volontés aurait constitué une obstination déraisonnable ou une forme d’acharnement thérapeutique condamnées par ce texte.

Pour les juges, ce texte est parfaitement conforme à la Constitution et le législateur pouvait en effet prévoir des exceptions à la prise en compte des directives anticipées par les soignants. Ils rappellent qu’elles « ne pouvaient s’imposer en toutes circonstances, dès lors qu’elles sont rédigées à un moment où la personne ne se trouve pas encore confrontée à la situation particulière de fin de vie dans laquelle elle ne sera plus en mesure d’exprimer sa volonté en raison de la gravité de son état ». Il est précisément important d’apprécier l’état du patient et de rechercher la solution la plus appropriée. C’est l’équipe médicale qui estime si la volonté exprimée par le patient quand il était encore bien portant est ou non appropriée à sa situation actuelle. En conséquence, l’affirmation de la famille, qui prétend que les textes méconnaissent le principe de sauvegarde de la dignité de la personne humaine, la liberté personnelle et la liberté de conscience, n’est pas à prendre en considération puisque le droit actuel qui repose sur la loi n° 2016-87 du 2 février 2016, dite Claeys-Léonetti, créant de nouveaux droits en faveur des malades et des personnes en fin de vie2, et plus précisément l’alinéa 3 de l’article L. 1111-11 du Code de la santé publique modifié par l’ordonnance n° 2020-232 du 11 mars 20203, est bien conforme à la Constitution. Selon les circonstances, les médecins peuvent donc s’affranchir des dernières volontés de leur patient en matière médicale.

II – La relance des débats sur la fin de vie et sur la place des directives anticipées

Il est beaucoup question en ce moment de fin de vie4 car des discussions sont en cours sur le développement du recours à l’euthanasie mais, en l’espèce, c’est un autre problème qui a été repéré, à savoir celui de l’impact des directives anticipées.

Depuis la loi Claeys-Léonetti, il est vivement recommandé à chacun de rédiger ses directives anticipées. Ce droit revient à toute personne majeure qui peut ainsi anticiper son suivi médical car elle a la possibilité d’exprimer sa volonté par écrit. Depuis cette loi, les directives anticipées s’imposent au médecin ; néanmoins l’article L. 1111-11, alinéa 3, du Code de la santé publique a prévu des exceptions qui sont laissées à son appréciation. En effet, s’il estime qu’elles sont « manifestement inappropriées ou non conformes à la situation médicale », il a la possibilité de ne pas en tenir compte, point qui vient d’être confirmé par le Conseil constitutionnel. Bien que le patient soit hors d’état de manifester sa volonté, son médecin a le droit de prendre des décisions contraires à ce qu’il avait décidé pour sa fin de vie. Effectivement, depuis la loi n° 2005-370 du 22 avril 2005 relative aux droits des malades et à la fin de vie5, dite loi Léonetti6, même si les directives anticipées ont vu le jour7, le législateur valide le refus de l’acharnement thérapeutique et autorise les arrêts ou les limitations de traitement.

Les textes parlent depuis lors d’obstination déraisonnable, à savoir du fait d’entreprendre des actes ou des traitements alors qu’ils apparaissent inutiles, disproportionnés ou seulement envisagés pour un maintien en vie artificiel du patient. Les actes médicaux ne doivent donc pas être poursuivis dans le cadre d’une obstination déraisonnable, ce qui explique que le médecin concerné ait décidé de ne pas prendre en considération la volonté exprimée par son patient dans ses directives anticipées. Des traitements inutiles ou disproportionnés peuvent être arrêtés dans certains cas, raison pour laquelle, en l’espèce, l’équipe médicale a pris la décision de les suspendre, estimant qu’ils n’auraient pour effet que de maintenir artificiellement le patient en vie avec des conditions de survie qualifiées de catastrophiques en raison d’un état irréversible d’abolition de toute conscience.

Dans cette affaire, c’est bien après avoir respecté les conditions légales, à savoir, lancé une procédure collégiale, comme l’impose l’alinéa 4 de l’article L. 1111-11 du Code de la santé publique, que le médecin a pris sa décision. Comme prévu, cette démarche collégiale a aussi été inscrite dans le dossier médical et portée à la connaissance de la personne de confiance désignée par le patient, ou à défaut, de ses proches. Par conséquent, les membres de la famille du patient ne peuvent pas être suivis quand ils prétendent qu’il a violé le principe de sauvegarde de la dignité de la personne humaine et le droit au respect de la vie. Le législateur a assurément fait le choix de garantir le droit de toute personne à recevoir les soins les plus appropriés à son état et d’assurer la sauvegarde de la dignité des personnes en fin de vie, ce qui peut conduire à ne pas tenir compte des directives anticipées, à partir du moment où elles ne sont pas jugées pertinentes étant donné la situation médicale actuelle du patient. Il est vrai qu’elles ont souvent été rédigées lorsque le malade n’est pas encore confronté à la situation particulière de la fin de vie, dès lors, le médecin ne doit pas être totalement soumis à la volonté du patient. Il est essentiel que le patient soit protégé face à une mauvaise appréciation de son état médical pour qu’il ne subisse pas d’autres formes de souffrances8. Pour autant, la liberté du médecin en ce qui concerne ses choix thérapeutiques n’est pas non plus totale car il doit entreprendre une procédure collégiale9, à savoir consulter la famille, la personne de confiance, l’équipe soignante et autres en recueillant leur avis, mais il prend la décision tout seul.

Conformément aux textes qui visent les directives anticipées, le législateur n’a méconnu ni le principe de sauvegarde de la dignité humaine ni la liberté personnelle, et, par conséquent, ni la liberté de conscience ni le principe d’égalité devant la loi. En conséquence, le Conseil constitutionnel n’a pas retenu les arguments des requérants qui reprochaient aux textes de permettre à un médecin d’écarter les directives anticipées par lesquelles leur proche avait exprimé sa volonté que soient poursuivis des traitements le maintenant en vie10.

L’argument des requérants qui prétendaient que les dispositions du texte sont imprécises et ambiguës a aussi été rejeté par le Conseil constitutionnel qui rappelle dans cette affaire qu’il ne lui appartient pas de substituer son appréciation à celle du législateur sur les conditions dans lesquelles un médecin peut écarter les directives anticipées d’un patient en fin de vie hors d’état d’exprimer sa volonté. Cela ne doit toutefois pas conduire les personnes intéressées à renoncer à les rédiger car elles permettent de comprendre comment elles souhaitent finir leur vie11.

Notes de bas de pages

  • 1.
    CE, réf., 19 août 2022, n° 466082 : RJPF 2022/11, n° 2, note A. Boulanger.
  • 2.
    JO, 3 févr. 2016 ; J.-R. Binet, « Présentation de la loi créant de nouveaux droits en faveur des malades et des personnes en fin de vie », Dr. famille 2016, n° 10, p. 16 ; R. Desgorces, « La loi n° 2016-87 du 2 février 2016 créant de nouveaux droits en faveur des malades et des personnes en fin de vie », LPA 13 juin 2016, n° LPA116v3 ; B. Legros, A. Ghozia et A. Dias Pereira, « Les directives anticipées », RGDM 2016, n° 58, p. 193.
  • 3.
    Ord. n° 2020-232, 11 mars 2020, relative au régime des décisions prises en matière de santé, de prise en charge ou d’accompagnement social ou médico-social à l’égard des personnes majeures faisant l’objet d’une mesure de protection juridique : JO, 12 mars 2020.
  • 4.
    I. Corpart, « Lancement de nouveaux débats sur la fin de vie. Avis du CCNE n° 139 », RJPF 2022/11, n° 3.
  • 5.
    JO, 23 avr. 2005.
  • 6.
    I. Corpart, « Nouvelle loi sur la fin de vie : début d’un changement », Dr. famille 2005, étude 14 ; Y.-M. Doublet, « La loi du 22 avril 2005 relatives aux droits des malades et à la fin de vie », LPA 23 juin 2005, p. 6.
  • 7.
    F. Dreifuss-Netter, « Les directives anticipées : de l’autonomie de la volonté à l’autonomie de la personne », Gaz. Pal. 10 juin 2006, n° G1435, p. 23.
  • 8.
    A. Boulanger, La souffrance et le droit, thèse, 2022, PUAM, Centre Pierre Kayser, nos°127 et s.
  • 9.
    CE, 1e-6e ch. réunies, 6 déc. 2017, n° 403944 : A. Le Gouvello, « Quelques précisions sur la procédure collégiale en matière de fin de vie », Dr. famille 2018, n° 2, p. 47.
  • 10.
    Dans cette affaire, l’arrêt des soins a été confirmé ensuite par une décision du Conseil d’État : CE, 29 nov. 2022, n° 466082.
  • 11.
    G. Jobin et D. Jacquemin, Directives anticipées – Spiritualité, subjectivité, temporalité, 2019, Sauramps Médical.
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