Seine-Saint-Denis (93)

Delhia Aknine : « L’accès à l’éducation des enfants handicapés est une question d’égalité » !

Publié le 26/04/2023
Enfant, handicap
LIGHTFIELD STUDIOS/AdobeStock

En saisissant le tribunal administratif de Montreuil (93), Me Delhia Aknine a obtenu la condamnation de l’État ; il doit désormais recruter un accompagnant pour les élèves en situation de handicap individualisé (AESHI) et ce à raison de vingt heures par semaine. Sohan, un enfant de cinq ans atteint de divers troubles, était en effet privé de cet AESHI, et ce malgré la notification de la Maison départementale des personnes handicapées (MDPH). L’AESH qui officiait 16 heures par semaine dans l’école de Sohan était mutualisée pour plusieurs enfants. C’est cette mutualisation qui a été condamnée. Les parents d’enfants handicapés font désormais de plus en plus appel à la justice pour pallier une prise en charge défectueuse de leurs enfants par le service public. MDelhia Aknine, praticienne du droit du handicap, évoque pour Actu-Juridique sa trajectoire et les différents problèmes auxquels se heurtent les parents d’enfants handicapés qu’elle accompagne. Rencontre.

Actu-Juridique : Comment vous-êtes vous orientée vers la défense des familles d’enfants handicapés ?

Delhia Aknine: J’ai toujours été intéressée par le médico-légal : ma mère est atteinte d’une pathologie rare et sans nom. La question du handicap m’est donc familière. Au terme de mes études de droit, j’ai donc réalisé un doctorat en droit médical, sur les aspects juridiques et éthiques des maladies rares et/ou orphelines. Après l’école du Barreau, j’ai défendu les victimes de dommages corporels suite à des accidents médicaux, sportifs, ou à des traumatismes crâniens. Les malades sont confrontés à une multiplicité de problèmes, avec la Maison départementale des personnes handicapées (MDPH), avec la Sécurité sociale, en droit du travail. Je les accompagne pour faire valoir leurs droits, qu’il s’agisse de l’allocation adulte handicapé, de la reconnaissance de leur qualité de travailleur handicapé, de l’accès au marché du travail, aussi. La difficulté est encore plus forte quand les handicaps sont invisibles comme des comportements désinhibitifs en lien avec un trauma crânien, que les assurances refusent parfois de reconnaître. Pour mieux défendre ces clients spécifiques, j’ai suivi le diplôme interuniversitaire :« Évaluation des cérébrolésés, aspects médicaux et sociaux », dirigé par le professeur Azouvi. De proche en proche, j’ai été contactée et sollicitée par des associations telles que « Handicap parlons vrai », ou « Info Droit Handicap », par laquelle j’ai eu le dossier d’Audrey Tatry. Je conçois mon métier comme un accompagnement humain des victimes, pour les extirper de cette posture, et les rendre acteurs de leur vie.

AJ : Pouvez-vous nous expliquer ce qu’a été votre stratégie juridique, précisément dans le cas de Sohan ?

Delhia Aknine: Audrey (sa mère) me contacte et m’explique que son fils a reçu une notification de la MDPH lui attribuant un AESH individualisé à raison de 20 h par semaine, mais qu’il n’en bénéficiait pas concrètement. L’AESH de son école travaillait 16 h par semaine, mutualisées entre plusieurs enfants. Elle m’a demandé quels étaient les recours juridiques possibles. Elle avait déjà saisi le médiateur de l’Éducation nationale, qui lui avait conseillé de « faire confiance » à l’institution. Nous avons d’abord mis le rectorat en demeure de respecter la notification MDPH. L’absence de réponse, sous deux mois, du rectorat, vaut rejet implicite.

« Le rectorat ne s’est pas déplacé à l’audience, ce qui témoigne de la rupture de dialogue avec les parents »

Nous avons donc ensuite attaqué cette décision implicite de rejet. En référé, d’abord, nous avons demandé la suspension de cette décision auprès du tribunal administratif de Montreuil (93), ce qui revient à exiger que le rectorat octroie à Sohan les heures d’AESHI accordées par la MDPH et nous avons demandé que l’institution soit condamnée à une astreinte de 150 € par jour en cas de non-exécution. Le juge des référés a accédé à notre demande, en enjoignant au rectorat de procéder à ce recrutement mais pas à notre demande d’astreinte. L’enjeu ici, était de convaincre le juge de l’existence du caractère urgent de la situation, en produisant des documents médicaux, des attestations de professionnels de nature à démontrer que la scolarisation de l’enfant était perturbée par l’absence d’AESHI, et qu’il s’agissait d’une violation de la liberté fondamentale qu’est le droit à l’éducation. Le rectorat ne s’est pas déplacé à l’audience, ce qui témoigne de la rupture de dialogue avec les parents. Nous avons également entamé une procédure au fond, en faisant un recours pour excès de pouvoir contre la décision de rejet implicite, en demandant que cette dernière soit annulée, parce qu’elle est illégale.

En référé ou au fond, les procédures judiciaires n’épuisent pas tous les aspects du conflit. Un tel objectif pourrait être atteint par le biais d’une médiation, mais pour qu’il y ait médiation, il faut que les deux parties en présence en aient la volonté, ce qui ne semble pas, la plupart du temps, être le cas de l’État. Dans les faits, le rectorat a renvoyé la balle à la direction de l’école. Ils ont fini par prendre des heures d’AESH à un autre enfant handicapé pour les réattribuer à Sohan ! C’est cette injustice qui a motivé la bataille médiatique menée par Audrey pour que tous les enfants qui en ont besoin aient accès à un AESH…

AJ : La situation de Sohan est le symptôme d’un problème plus important…

Delhia Aknine : La vie des parents d’enfants handicapés est un combat permanent : d’abord pour le diagnostic, ensuite pour l’accès aux prestations sociales, sans oublier la vie quotidienne, car le fait d’avoir un enfant handicapé bouleverse leur vie professionnelle, qu’ils doivent aménager, et familiale. Les familles se heurtent à de multiples difficultés, qui n’exigent pas un passage devant le juge, mais pour lesquelles l’intervention d’un avocat peut être utile.

On me contacte pour différents cas de figure. Je peux citer cette famille d’un enfant autiste, avec un retard du développement psychomoteur et en communication, qui demandait une prestation de compensation du handicap, parce que leur enfant n’était pas autonome, rejeté par la MDPH, qui leur a répondu qu’un enfant n’était par définition pas autonome ! Certaines familles se heurtent à des refus d’accès aux activités périscolaires de leurs enfants, au motif qu’il n’y a pas d’accompagnants. J’interviens pour des parents auxquels la MDPH refuse l’allocation d’éducation de l’enfant handicapé, estimant que les troubles « dys » de leur enfant ne sont pas suffisants pour obtenir la prestation. J’ai envoyé, entre autres, de la littérature médicale à la gestionnaire de la MDPH et le problème a été réglé. Parfois, j’interviens auprès de la MDPH pour demander de relever le niveau de complément d’allocation d’éducation de l’enfant handicapé demandé par des parents d’enfants autistes, qui ont beaucoup de dépenses, au titre des prises en charge par des psychomotriciens, des ergothérapeutes libéraux non remboursés, et qui ont dû diminuer leur temps de travail. Certaines MDPH sont plus ouvertes au dialogue que d’autres, mais cela donne des décisions à géométrie variable. Il faudrait uniformiser les décisions rendues par les MDPH, sous peine de rupture d’égalité entre les enfants.

AJ : N’y a-t-il pas, derrière ces situations individuelles, un problème institutionnel ?

Delhia Aknine : Il n’y a pas assez de place dans les services d’éducation spéciale et de soins à domicile (Sessad) qui interviennent auprès des enfants à l’école ou à domicile, et des parents sont obligés de mettre la main à la poche pour que leurs enfants suivent une scolarité. J’ai défendu un petit qui attendait une place en IME depuis deux ans et demi, et dont la mère a cessé son activité professionnelle, et s’est formée à l’autisme pour lui faire l’instruction à la maison. Dans ces cas-là, il est possible d’engager la responsabilité de l’État. Un confrère a récemment obtenu une indemnité de 30 000 €, quand le coût d’une place dans un IME revient à 37 000 € par an. Les parents éprouvent aussi des difficultés à obtenir auprès des MDPH un document officiel intitulé : « Projet personnalisé de scolarisation », dans lequel doivent figurer les aménagements du temps scolaire, les AESH, l’octroi d’ordinateurs, etc. auxquels les enfants ont droit. Nous pouvons intervenir pour obtenir ce document, qui n’est pas systématiquement communiqué aux parents, alors qu’ils en ont besoin en cas de difficulté avec la direction de l’école.

« Il faudrait donner aux AESH un statut de fonctionnaire et des emplois à plein temps »

En plus du manque de places suffisantes pour l’ensemble des enfants handicapés, il y a une pénurie de personnel. Les emplois d’AESH sont à temps partiel, précaires, peu attractifs. Il faudrait donner aux AESH un statut de fonctionnaire et des emplois à plein temps, mais cela est entre les mains du législateur. De plus en plus de parents se tournent vers des services d’AESH privés, ce qui provoque là encore une rupture d’égalité entre les enfants. Du côté des professeurs, le manque de formation est alarmant. La semaine prochaine, je plaide pour un enfant qui souffre d’un trouble du spectre autistique, qui doit disposer d’une AESH 15 h par semaine, et qui ne bénéficie effectivement de cette aide à raison de 5 h par semaine. La maîtresse fait ce qu’elle peut, mais elle a un second enfant autiste dans la classe, elle s’avoue dépassée par la situation et elle est révoltée parce qu’elle ne peut pas bien s’occuper de cette enfant qui est en échec, démotivé au point de n’avoir plus le goût de venir à l’école.

Il faut savoir quelle société on veut : une société qui intègre les enfants en situation de handicap, qui respecte l’altérité, la différence. En tant qu’avocat, nous pouvons promouvoir la médiation, qui pourrait être un outil pour faire tomber les murs. Ce qui me plaît dans mon métier, c’est de redonner de la dignité aux enfants handicapés et à leurs parents, qui ne sont ni écoutés, ni reconnus.

AJ : N’y a-t-il pas d’autres solutions que ces combats au cas par cas, épuisants pour les parents, l’Éducation nationale et la justice ?

Delhia Aknine : La loi n° 2014-344 du 17 mars 2014 relative à la consommation, dite loi Hamon, permettrait une action de groupe, par exemple pour les refus d’accès aux activités périscolaires, constitutifs d’une discrimination. Mais elle comporte des limites, notamment dans le champ d’indemnisation (NDRL : v. not. C. Lèguevaques, « Encore un effort pour doter la France d’une véritable « class action » efficace »). Et surtout, si elle permet l’indemnisation des familles, elle ne permet pas de réparer l’intégralité du préjudice qui perdure dans le temps. À mon sens, ce serait une erreur de stratégie. En revanche, il serait opportun que chaque parent diligente des actions afin de constituer un contentieux sériel, comme dans l’affaire du Médiator ou du Lévothyrox, pour qu’une chambre y soit affectée, et qu’elles soient défendues par un collectif d’avocats.

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