Infection nosocomiale contractée à l’hôpital lors de soins prodigués par un praticien libéral : quel régime de responsabilité ?

Publié le 12/09/2022
Hôpital, maladie
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Dans son arrêt du 31 mai 2022, la cour administrative d’appel de Bordeaux apporte des précisions au régime juridique relatif aux infections nosocomiales sur le point de savoir quel régime de responsabilité s’applique lorsqu’une telle infection survient à l’hôpital lors de soins prodigués par un praticien exerçant en secteur libéral.

CAA Bordeaux, 2e ch., 31 mai 2022, no 21BX03724

Le régime juridique propre aux infections nosocomiales est d’une nature alambiquée. Les éclaircissements apportés par la cour administrative d’appel de Bordeaux, dans son arrêt du 31 mai 2022, sont ici bienvenus pour les patients, de plus en plus nombreux, s’adressant à des praticiens libéraux qui pratiquent leur activité au sein des établissements publics de santé.

Dans cette affaire, monsieur C., qui souffrait d’un cancer de la prostate, a subi le 1er octobre 2015, au centre hospitalier universitaire (CHU) de Limoges, une prostatectomie totale avec curage ganglionnaire et pose d’une sonde vésicale. À la suite de cette intervention, réalisée par un professionnel de l’établissement exerçant en secteur libéral, monsieur C. a contracté une infection urinaire à pseudonomas aeruginosa qui, malgré la mise en place d’un traitement antibiotique, a évolué en infection osseuse au niveau du bassin. Ayant conservé des séquelles de ces complications infectieuses, il a pu obtenir du juge des référés du tribunal administratif de Limoges la réalisation d’une expertise médicale, au vu de laquelle il a saisi ce même tribunal d’une requête indemnitaire dans le but de condamner solidairement le CHU de Limoges et son assureur, la société hospitalière d’assurance maladie, à un dédommagement financier. La caisse primaire d’assurance maladie (CPAM) du Loir-et-Cher a profité de cette instance pour demander au tribunal de condamner ces mêmes établissement et organisme du paiement des honoraires de médiation, du versement d’une somme d’argent au titre de ses débours ainsi que de l’indemnité forfaitaire de gestion. Dans son jugement du 5 août 2021, le tribunal administratif de Limoges a rejeté les conclusions de monsieur C. et de la CPAM comme portées devant une juridiction incompétente pour en connaître au motif que le dommage subi était survenu à l’occasion de l’activité libérale du praticien hospitalier relevant des rapports de droit privé entre médecins et patients d’un hôpital.

Les requérants ont alors interjeté appel de ce jugement devant la cour administrative d’appel de Bordeaux. La cour doit, dans cette affaire, identifier le régime juridique de responsabilité applicable aux infections nosocomiales contractées lors d’un acte de soins réalisé par un praticien exerçant en secteur libéral au sein d’un hôpital public. C’est de la réponse à cette question que découle, par incidence, la solution relative à la compétence juridictionnelle et à l’indemnisation qui sera versée.

Si le régime juridique de responsabilité lié aux infections nosocomiales se présente comme relativement complexe, à différents points de vue (I), la cour administrative d’appel de Bordeaux propose, par une solution simple, de rattacher l’infection nosocomiale à son lieu de survenance pour en déterminer le régime juridique exécutoire (II).

I – Le régime juridique de responsabilité lié aux infections nosocomiales : un régime relativement complexe

Le régime juridique de responsabilité propre aux infections nosocomiales a connu des réformes, notamment législatives, qui ont tenté de l’harmoniser et de le simplifier. Nonobstant ces évolutions, des difficultés demeurent quant à la définition de ces infections (A) mais aussi parce que plusieurs régimes d’indemnisation coexistent (B).

A – La délicate définition de l’infection nosocomiale

La particularité de la notion d’« infection nosocomiale » est qu’elle reste une notion floue, dénuée de définition légale et qui, par conséquent, reste encore discutée auprès des juridictions judiciaires et administratives.

Au sens courant, l’infection nosocomiale se présente comme une infection contractée dans un établissement de santé. Cette acception commune est directement liée à l’étymologie du mot puisque l’adjectif « nosocomial » est issu du grec « nosokomeion » qui signifie « hôpital », l’infection nosocomiale étant alors celle qui se rapporte aux hôpitaux. En l’absence de définition légale, l’infection nosocomiale est régulièrement entendue comme une infection contractée dans un cadre d’actes ou d’activités de prévention, de diagnostic ou de soins (établissement de santé, cabinet médical) alors qu’elle était absente lors de l’admission du patient dans ce cadre. Son délai d’apparition est traditionnellement de 48 heures au moins, de 30 jours pour une infection du site opératoire et d’1 an en cas de pose de prothèse ou implant1.

D’un point de vue médical, l’infection nosocomiale revêt un sens plus général : elle « est une maladie infectieuse (bactérienne, fongique, parasitaire, virale, prions) cliniquement ou microbiologiquement identifiable, associée aux soins »2. En effet, à l’instar des pays anglo-saxons et de la Commission européenne, le comité technique des infections nosocomiales et des infections liées aux soins (CTINILS) considère que l’infection nosocomiale doit être intégrée dans une catégorie plus large dénommée « infections associées au soins ». L’infection est considérée comme une infection associée aux soins dès lors qu’elle « survient au cours ou au décours d’une prise en charge (diagnostique, thérapeutique, palliative, préventive ou éducative) d’un patient, et si elle n’était ni présente, ni en incubation au début de la prise en charge »3. C’est d’ailleurs cette dernière définition qu’utilise la cour administrative de Bordeaux dans cette affaire et qui reprend, intégralement, la définition accréditée par le Conseil d’État puis la Cour de cassation tout récemment4. Partant, il s’agit d’« une infection survenant au cours ou au décours d’une prise en charge et qui n’était ni présente, ni en incubation au début de la prise en charge, sauf s’il est établi qu’elle a une autre origine que la prise en charge ». Cette utilisation de la définition d’infection nosocomiale rattachée à la notion d’infection associée aux soins pourrait d’ailleurs élargir le champ des possibles puisqu’elle englobe l’infection nosocomiale (car elle est contractée dans un établissement de santé) mais pourrait abriter aussi des soins délivrés en dehors de ces établissements. L’infection associée aux soins couvrirait – tout ceci doit être envisagé à la forme conditionnelle – l’infection contractée au domicile du patient et concernerait les patients, qu’ils soient malades ou non, mais aussi les professionnels de santé ou les visiteurs. Une telle définition de l’infection nosocomiale irait, par conséquent, beaucoup plus loin que celles qu’avaient pu en donner certaines cours administratives d’appel pour qui le régime de responsabilité spécifique aux infections nosocomiales « ne s’applique qu’aux seuls patients et agents des centres hospitaliers, à l’exclusion des visiteurs5 ».

Au regard de ces difficultés d’interprétation, il serait opportun de préciser encore la définition des infections nosocomiales pour savoir qui elles concernent exactement et dans quel cadre elles se déterminent. L’affaire commentée ici soulève un problème légèrement différent puisqu’il s’agit d’une infection survenue lors d’un acte pratiqué dans l’enceinte d’un établissement public hospitalier mais par un praticien exerçant à titre libéral. La nature nosocomiale de l’infection ne fait aucun doute. En revanche, il convient de se demander à quel régime de responsabilité cette situation correspond pour parvenir à connaître l’ordre de juridiction compétent.

B – Les différents régimes de responsabilité applicables

Le régime de responsabilité spécifique aux infections nosocomiales découle de deux lois adoptées au cours de la même année : la loi n° 2002-303 du 4 mars 2002 et la loi n° 2002-1577 du 30 décembre 2002. Ces lois ont eu pour objectif de combler les lacunes antérieures qui découlaient du régime jurisprudentiel existant. En effet, avant l’intervention du législateur, le régime de responsabilité relatif aux infections nosocomiales était d’origine jurisprudentielle et se limitait aux décisions rendues par les juridictions civiles et administratives en la matière. Ce régime de responsabilité se traduisait par l’existence de deux régimes différents en fonction du lieu de survenance de l’infection. Selon qu’il s’agissait de soins pratiqués dans des établissements publics de santé ou, au contraire, dans des établissements privés et dans les cabinets des praticiens libéraux, les demandes d’indemnisation présentées pour une infection nosocomiale relevaient soit du juge administratif dans le premier cas, soit du juge judiciaire dans le second. Cette situation aboutissait alors à créer des solutions juridiques différentes selon les tribunaux saisis.

Aujourd’hui, le régime légal de responsabilité et d’indemnisation résultant des lois de 2002 est parvenu à uniformiser les régimes en dépassant le clivage traditionnel entre responsabilité civile et responsabilité administrative. Il demeure toutefois conditionné par un facteur principal qui est le lieu de survenance de l’infection. Aux termes de la loi, pour les infections contractées chez un professionnel de santé en médecine de ville, c’est un régime de responsabilité pour faute qui doit être engagé en vertu de l’article L. 1142-1 du Code de la santé publique. Tandis que, pour les infections contractées dans un établissement de santé, qu’il soit public ou privé, la responsabilité de ce dernier peut être engagée sans même que la victime soit tenue d’établir l’existence d’une faute. Il s’agit d’une responsabilité sans faute ou, plus précisément, de plein droit présumant la responsabilité de l’établissement en cause qui ne peut ainsi s’exonérer qu’en rapportant la preuve d’une cause étrangère6.

La question portée ici devant la cour administrative de Bordeaux n’a jamais été directement tranchée et peut prêter à confusion. Elle se situe à la croisée des deux régimes, décrits ci-dessus, d’une part parce que l’infection est survenue dans un établissement public hospitalier, d’autre part parce que celle-ci a été contractée lors d’un acte de soins pratiqué par un praticien exerçant en secteur libéral. Le cœur du problème consiste à savoir si le régime juridique applicable est conditionné uniquement par le lieu de survenance de l’infection ou par les conditions dans lesquelles elle est survenue. La première situation conduit à faire appliquer la responsabilité de plein droit de l’établissement public hospitalier devant la juridiction administrative, la seconde suppose la responsabilité pour faute prouvée du praticien devant les juridictions judiciaires. En l’espèce, le juge administratif s’est tout simplement rangé à la première solution. Il vient rappeler que le régime de responsabilité lié aux infections nosocomiales constitue une des exceptions au régime de responsabilité pour faute consacré par le législateur en matière sanitaire depuis la loi n° 2002-303 du 4 mars 2002 lorsqu’il concerne des établissements de santé.

II – L’infection nosocomiale rattachée à son lieu de survenance : une solution simplificatrice

En choisissant de faire primer le lieu de survenance de l’infection nosocomiale sur les conditions dans lesquelles elle est survenue pour identifier le régime juridique de responsabilité applicable, le juge administratif propose une application littérale de la loi (A). La mise en œuvre de la responsabilité de plein droit, dans cette affaire, constitue une réponse propice à l’aune des évolutions que connaissent de nombreux hôpitaux aujourd’hui (B).

A – Une lecture littérale de la loi par le juge administratif

La solution apportée par la cour administrative d’appel de Bordeaux est le résultat d’une lecture littérale et textuelle de la loi du 4 mars 2002. En effet, les dispositions de l’article L. 1142-1 du Code de la santé publique ont instauré un régime spécifique pour les dommages résultant d’infections nosocomiales survenues dans les établissements de santé. Dès lors et selon la Cour, le tribunal administratif de Limoges a conduit une analyse erronée en considérant, pour décliner sa compétence au profit des juridictions judiciaires, que l’infection nosocomiale était survenue à l’occasion de l’activité libérale du praticien et qu’elle s’inscrivait en dehors de l’exercice des fonctions hospitalières auxquelles elle n’était donc pas rattachable. En estimant que l’infection à l’origine du dommage s’était développée dans le cadre des rapports de droit privé qui s’établissent entre les malades admis dans le secteur privé d’un hôpital public et les professionnels auxquels il peut être fait appel, le tribunal administratif avait méconnu le sens de la loi.

Au vu des dispositions de l’article L. 1142-1 du Code de la santé publique, « hors le cas où leur responsabilité est encourue en raison d’un défaut d’un produit de santé, les professionnels de santé mentionnés à la quatrième partie du présent code, ainsi que tout établissement, service ou organisme dans lesquels sont réalisés des actes individuels de prévention, de diagnostic ou de soins ne sont responsables des conséquences dommageables de ces actes qu’en cas de faute ». Quant au deuxième alinéa, il précise que « les établissements, services et organismes susmentionnés sont responsables des dommages résultant d’infections nosocomiales, sauf s’ils rapportent la preuve d’une cause étrangère ». Ainsi que le relève la rapporteure publique, dans cette affaire, la solution de l’espèce est commandée par l’articulation de ces deux alinéas. Tandis que le premier prévoit que la responsabilité des professionnels de santé, des établissements, services ou organismes de soins ne peut être engagée qu’en cas de faute, le deuxième « fige en outre dans la loi le principe d’une responsabilité de plein droit, sauf preuve d’une cause étrangère (…), des seuls établissements de soins, publics ou privés au sein desquels sont contractés des infections nosocomiales, à l’exclusion donc des professionnels de santé qui n’y sont pas mentionnés7 ». Peu importent ici les circonstances dans lesquelles a eu lieu l’intervention au cours de laquelle l’infection est apparue, la seule distinction établie par le législateur tient au lieu de survenance de l’infection : soit l’infection a été contractée dans un établissement de santé, ce dernier sera alors responsable de plein droit sauf à rapporter la preuve d’une cause étrangère, soit l’infection est apparue à l’occasion de soins dispensés en médecine de ville et, dans ce cas, la responsabilité du professionnel de santé ne pourra être engagée qu’en cas de faute prouvée. L’arrêt de la cour est très clair. Aux termes de la loi, la responsabilité du CHU est engagée de plein droit sans que n’ait aucune incidence la circonstance que le praticien ait réalisé l’intervention en cause dans le cadre de son activité libérale. Cette solution, quant au choix du régime de responsabilité applicable, entraîne avec elle la compétence de la juridiction administrative et laisse deviner le régime d’indemnisation qui en découlera. Le tribunal administratif de Limoges, auquel l’affaire est renvoyée, se voit ici dans l’obligation de statuer à nouveau sur le fond.

B – Une réponse opportune au regard des évolutions sociétales

La particularité que présente cette affaire tient au fait que l’intervention au cours de laquelle est apparue l’infection nosocomiale à l’origine du dommage a été prodiguée dans le cadre de l’activité libérale d’un praticien hospitalier exerçant au sein du CHU de Limoges. Cette situation inédite risque de ne pas le demeurer longtemps puisqu’elle résulte d’une pratique à laquelle font de plus en plus appel les hôpitaux. En effet, en vertu de l’article L. 6154-1 du Code de la santé publique, dans le respect des missions de service public, il est désormais autorisé aux praticiens statutaires exerçant à temps plein dans les établissements publics de santé de pratiquer une activité libérale. L’activité libérale des professionnels de santé est un facteur important d’attractivité des praticiens hospitaliers pour l’hôpital public, comme le démontrent récemment deux décrets du 5 février 20228, qui encouragent encore un peu plus cette pratique. De ce fait, en faisant du lieu de survenance de l’infection le critère unique de l’engagement de la responsabilité de plein droit des établissements de santé, l’arrêt commenté pose des jalons utiles au régime de responsabilité en matière d’infections nosocomiales avant que celui-ci ne voie son contentieux croître face à ce type de situations.

En statuant ainsi, la cour rappelle la distinction des régimes de responsabilité existant entre les établissements de santé et les professionnels de santé n’exerçant pas dans lesdits établissements et de laquelle découle une différence de traitement dans le processus d’indemnisation. Sans doute, la situation aurait été plus simple si le législateur avait décidé d’uniformiser les régimes de responsabilité liés aux infections nosocomiales en étendant la responsabilité de plein droit des établissements de santé à tous les professionnels de santé, quel que soit leur lieu d’exercice. Ce n’est pourtant pas le choix qui a été fait depuis 2002 et qui fut conforté par le Conseil constitutionnel dans sa décision du 1er avril 2016. Il a en effet jugé cette différence de régime conforme au principe d’égalité car pouvant être fondée sur une différence de situation résultant notamment de la prévalence des infections nosocomiales dans les établissements de santé « supérieure à celle constatée chez les professionnels de santé exerçant en ville, tant en raison des caractéristiques des patients accueillis et de la durée de leur séjour qu’en raison de la nature des actes pratiqués et de la spécificité des agents pathogènes de ces infections9 ». La cour administrative d’appel de Bordeaux ne fait ici que s’inscrire dans cette ligne juridique tracée.

Notes de bas de pages

  • 1.
    Dict. perm. santé, bioéthique et biotechnologies, n° 2146-1, V° Réparation des actes médicaux non fautifs.
  • 2.
    A. Laude, B. Mathieu et D. Tabuteau, Droit de la santé, 2e éd., 2009, PUF, p. 455.
  • 3.
    Direction générale de la santé, réunie dans le cadre d’un CTINILS, rapp., 11 mai 2007, Actualisation de la définition des infections nosocomiales, présenté au Haut conseil de la santé publique, disponible en ligne : https://lext.so/Pa_oDq.
  • 4.
    CE, 23 mars 2018, n° 402237 – Cass. 1re civ., 6 avr. 2022, n° 20-18513, F-B.
  • 5.
    CAA Bordeaux, 3 mai 2007, n° 03BX00868, Marie-José X. En contrepoint de cette position, v. not. CAA Nancy, 29 janv. 2009, n° 07NC01065.
  • 6.
    CSP, art. L. 1142-1, I, al. 2, dispose que « les établissements, services et organismes susmentionnés sont responsables des dommages résultant d’infections nosocomiales, sauf s’ils rapportent la preuve d’une cause étrangère ».
  • 7.
    K. Gallier (rapporteure publique), concl. ss CAA Bordeaux, 31 mai 2022, n° 21BX03724 et CAA Bordeaux, 31 mai 2022, n° 21BX03817. Nous remercions d’ailleurs Mme Gallier de nous avoir transmis ses conclusions dans cette affaire.
  • 8.
    D. n° 2022-133, 5 févr. 2022, relatif à l’activité libérale des praticiens dans les établissements publics de santé – D. n° 2022-134, 5 févr. 2022 : JO, 6 févr. 2022.
  • 9.
    Cons. const., QPC, 1er avr. 2016, n° 2016-531, M. Carlos C. [Responsabilité des professionnels de santé et des établissements de santé pour les conséquences dommageables d’actes individuels de prévention, de diagnostic ou de soins].
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