Chronique de droit des patients n° 3 (2e partie)

Publié le 08/08/2017

 

I – Droit des « personnes patientes »

II – Expertise et droit des patients

III – Responsabilité et droit des patients

1. Le régime de responsabilité en matière d’infections nosocomiales : contexte et effets de l’avis rendu par le Conseil constitutionnel le 1er avril 2016

Le 1er avril 20161, le Conseil constitutionnel a confirmé la constitutionnalité du régime d’indemnisation des victimes d’infections nosocomiales, et ce faisant, des dispositions de l’article L. 1142-1 du Code de la santé publique introduite par la loi dite Kouchner du 4 mars 20022.

Le Conseil constitutionnel était saisi d’une question prioritaire de constitutionnalité mettant en exergue une différence de traitement dans le régime probatoire auquel sont soumis les patients victimes d’infections nosocomiales, introduite par la loi Kouchner.

Cette différence de traitement susceptible de porter atteinte au principe d’égalité, soumise à la sagacité du Conseil, a fait l’objet d’une décision par laquelle il a confirmé l’absence d’atteinte à ce principe fondamental.

Cette décision offre l’occasion de retracer l’évolution qu’a connue le régime de responsabilité des infections nosocomiales, et ainsi, le contexte dans lequel le Conseil constitutionnel a été saisi (I), avant de s’attacher aux motifs retenus par le Conseil constitutionnel, et ses conséquences pour les patients (II).

I. L’évolution du régime de responsabilité

L’indemnisation des conséquences dommageables subies par les patients dans le cadre d’actes médicaux trouve son fondement dans la responsabilité médicale.

La jurisprudence a progressivement dégagé les principes d’engagement d’une telle responsabilité, avec toutefois quelques disparités au regard de la dualité des ordres de juridiction. La loi du 4 mars 2002 avait notamment pour vocation de créer un socle commun de règles applicables aux patients.

Alors que ladite loi avait notamment pour objectif de résorber certaines disparités de traitement de situations créées par les règles applicables en droit privé et droit public, unifiant par exemple les délais de prescription, elle a au contraire créé une différence de traitement entre les patients traités en médecine dite de ville ou en établissements de soins, en matière d’infections nosocomiales (B), en contradiction avec la situation jurisprudentielle antérieure (A).

A. Un régime favorable aux patients avant l’entrée en vigueur de la loi du 4 mars 2002

L’infection nosocomiale est parfois perçue par le patient comme une sorte d’injustice, dans la mesure où il attend une amélioration de son état et non une aggravation.

Parallèlement, l’hygiène et la lutte contre les infections nosocomiales ont toujours constitué une préoccupation des professionnels de santé.

En ce qui concerne les établissements de soins privés ou les professionnels libéraux, la responsabilité médicale de nature contractuelle3 impliquait initialement pour les patients la nécessité de démontrer que le professionnel avait commis une faute en lien direct avec le préjudice subi.

Conscient de la charge probatoire pesant sur eux, le juge judiciaire s’est emparé du mécanisme de la présomption, affirmant qu’un professionnel est présumé responsable d’une infection contractée par un patient lors d’une intervention pratiquée par ses soins, à moins que le professionnel ne prouve l’absence de faute de sa part4.

Toutefois, ce mécanisme réduisait les perspectives de réparation dans la mesure où le simple fait pour le professionnel de démontrer qu’il avait respecté les mesures d’asepsie en vigueur permettait de l’exonérer de toute responsabilité.

Ainsi, la Cour de cassation est devenue encore plus exigeante à l’égard des professionnels, affirmant qu’ils étaient tenus, à l’égard de leurs patients, à une obligation de sécurité de résultat, dont ils ne pouvaient se libérer qu’en rapportant la preuve d’une cause étrangère5.

S’agissant des infections contractées au sein du service public hospitalier, le Conseil d’État développait une jurisprudence tout aussi favorable au patient, retenant une présomption de faute. Ainsi, il estimait pour sa part, que le fait qu’une telle infection ait pu être contractée par le patient révélait une faute dans l’organisation ou le fonctionnement du service hospitalier, dès lors tenu de réparer le préjudice subi par la victime6.

Aussi, et jusqu’à l’entrée en vigueur de la loi du 4 mars 2002, les patients ayant contracté une infection nosocomiale auprès d’établissements de santé privés ou publics, mais encore auprès des professionnels de santé exerçant à titre libéral, en d’autres termes auprès de la médecine dite « de ville », bénéficiaient d’une jurisprudence favorable, les exonérant de la charge de la preuve d’une faute commise par les professionnels.

Alors que cette jurisprudence assurait aux patients une égalité de traitement s’agissant de la responsabilité et l’indemnisation résultant d’infections nosocomiales, la loi du 4 mars 2002 s’est écartée pour partie de la jurisprudence antérieure.

B. Une différence de traitement instaurée par la loi du 4 mars 2002 et la question de sa constitutionnalité

Créant un socle commun et légal de règles notamment en matière de réparation des risques médicaux, la loi du 4 mars 2002 tendait à assurer une réparation uniforme des conséquences de ces risques.

L’article L. 1142-1 du Code de la santé publique institue un régime de responsabilité pour faute.

Par dérogation, le législateur a instauré un régime de responsabilité sans faute pour les dommages résultant d’infections nosocomiales contractées dans les établissements, services ou organismes dans lesquels sont réalisés des actes individuels de prévention, de diagnostic ou de soins, sous réserve de l’exonération pour cause étrangère7.

Consacrant la jurisprudence relative à la responsabilité des établissements de santé en cas d’infections nosocomiales, le législateur en réduisait néanmoins le champ en excluant de ces dispositions les médecins exerçant à titre individuel dans le cadre de la médecine dite « de ville ».

Ainsi, le législateur instaurait une différence de traitement entre les patients victimes d’infections nosocomiales, selon que ladite infection était contractée en établissement de soins, ou via un acte réalisé par un praticien en ville.

Dans ce dernier cas, les infections nosocomiales contractées à l’occasion d’actes médicaux pratiqués par un professionnel de santé exerçant en ville ne peuvent engager la responsabilité du professionnel de santé qu’en cas de faute prouvée. Ainsi, le patient doit démontrer à la fois l’existence d’un dommage, d’une faute du professionnel de santé et d’un lien de causalité direct et certain entre le dommage et la faute.

C’est cette différence de traitement qui est à l’origine de la question prioritaire de constitutionnalité soumise par la Cour de cassation au Conseil constitutionnel.

Au-delà de l’exclusion de la responsabilité sans faute réservée aux établissements de santé, il arrivait fréquemment en pratique que le patient contractant une infection en dehors de tout établissement, soit également exclu du dispositif de solidarité nationale instauré à l’article L. 1142-1 II du Code de la santé publique.

En effet, l’Office national d’indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (ONIAM) est chargé de l’indemnisation au titre de la solidarité nationale, des dommages occasionnés notamment par une infection nosocomiale. Cette prise en charge par la solidarité nationale est toutefois subordonnée à plusieurs conditions qui en limitent la portée, même si certains correctifs ont été apportés depuis l’entrée en vigueur de la loi du 4 mars 2002.

Pour bénéficier d’un tel régime, la responsabilité du professionnel ou de l’établissement ne doit pas avoir été engagée, le dommage doit être directement imputable aux actes de prévention, de diagnostic ou de soins, mais également avoir eu pour le patient des conséquences anormales et présenter un certain degré de gravité.

En pratique, le taux de l’atteinte permanente à l’intégrité physique ou psychique, fixé à 24 %, conduit à exclure un grand nombre de victimes d’infections nosocomiales8.

Il résulte de la combinaison des textes qu’un établissement de santé peut voir sa responsabilité engagée pour une infection nosocomiale selon deux régimes.

Dès lors que le patient a subi des conséquences telles qu’il peut prétendre à une indemnisation au titre de la solidarité nationale, l’ONIAM peut exercer une action récursoire contre l’établissement.

Si le patient n’a pas subi de conséquences lui permettant de prétendre à l’indemnisation au titre de la solidarité nationale, il sera soumis au régime de responsabilité susvisé, de sorte que, seuls les patients victimes au sein d’un établissement de soins bénéficieront de la responsabilité de plein droit.

Cette différence de traitement entre les patients victimes d’une infection nosocomiale, qui n’existait pas avant l’entrée en vigueur de la loi du 4 mars 2002, était jugée comme suffisamment sérieuse par la Cour de cassation pour qu’elle transmette cette question au Conseil constitutionnel afin qu’il se prononce sur la constitutionnalité de ce régime9.

En l’espèce, un patient ayant contracté une infection nosocomiale à l’occasion d’un acte médical pratiqué par un radiologue exerçant à titre libéral, au sein d’une société civile de moyens, avait assigné le radiologue, le centre de radiologie et l’assureur en réparation du préjudice subi.

L’expertise réalisée avait confirmé le caractère nosocomial de l’infection et évalué le déficit qui en résultait comme étant inférieur à 24 %, excluant le patient du bénéfice d’une indemnisation au titre de la solidarité nationale.

En première instance, les juges avaient retenu la responsabilité du radiologue au motif que ce dernier n’apportait pas la preuve d’une cause étrangère susceptible de l’exonérer de toute responsabilité.

En cause d’appel, et en application stricte de la loi, les juges avaient exclu toute responsabilité du radiologue mais condamné le centre de radiologie.

Dans le cadre du pourvoi formé par les parties, le patient soutenait qu’en le contraignant à rapporter la preuve d’une faute du professionnel de santé exerçant en ville, alors qu’un établissement voit sa responsabilité engagée de plein droit pour de telles infections, le législateur avait introduit une discrimination injustifiée entre les patients ayant subi un préjudice du fait d’une infection nosocomiale.

La Cour de cassation relevait à ce titre que « ce texte impose aux patients ayant contracté une infection à l’occasion de soins dispensés par des professionnels de santé, exerçant leur activité à titre libéral, de prouver l’existence d’une faute de ces derniers, alors que, sauf s’ils rapportent la preuve d’une cause étrangère, les établissements, services et organismes de santé sont responsables de plein droit des dommages subis par leurs patients, victimes d’une telle infection. »

Les dispositions de l’article 6 de la Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen, rappelant le principe fondamental d’égalité entre citoyens étaient en cause, mais le Conseil constitutionnel n’a pas estimé que les dispositions légales portaient atteinte à ce principe.

II. La constitutionnalité du régime actuel de responsabilité et ses conséquences pour les patients.

Si la décision rendue par le Conseil constitutionnel n’apparaît pas surprenante eu égard à sa jurisprudence constante, les conséquences pour les patients sont importantes, en ce que pèse sur eux la délicate charge de la preuve d’une faute du professionnel de santé dans le cadre d’une infection contractée hors de tout établissement de soins.

A. La motivation du Conseil constitutionnel

De jurisprudence constante, le Conseil constitutionnel a toujours affirmé que « le principe d’égalité ne s’oppose ni à ce que le législateur règle de façon différente des situations ni à ce qu’il déroge à l’égalité pour des raisons d’intérêt général pourvu que, dans l’un et l’autre cas, la différence de traitement qui en résulte soit en rapport avec l’objet de la loi qui l’établit »10.

Le Conseil constitutionnel avait déjà eu l’occasion de confronter sa jurisprudence aux dispositifs légaux d’indemnisation de préjudices.

Ainsi, dans sa décision du 11 juin 2010, saisi des dispositions interdisant à l’enfant d’obtenir la réparation du préjudice du fait de la naissance à la suite d’une erreur de diagnostic prénatal, le Conseil a considéré qu’une telle différence de traitement, selon que la faute invoquée est ou non à l’origine du handicap, ne méconnaît pas le principe d’égalité11.

Pour ce faire, le Conseil constitutionnel rappelait que le principe de responsabilité pour faute découle de la liberté garantie par l’article 4 de la déclaration de 1789 et la protection constitutionnelle de la faculté d’agir en responsabilité « ne fait pas obstacle à ce que le législateur aménage, pour un motif d’intérêt général, les conditions dans lesquelles la responsabilité peut être engagée ; qui peut ainsi, pour un tel motif, apporter à ce principe des exclusions ou des limitations à condition qu’il n’en résulte pas une atteinte disproportionnée au droit des victimes d’actes fautifs ainsi qu’au droit à un recours juridictionnel effectif… ».

De même, dans sa décision du 18 juin 2010, le Conseil constitutionnel a déclaré conformes les dispositions des articles L. 451-1 et L. 452-1 à L. 452-5 du Code de la sécurité sociale relatives au régime d’indemnisation des victimes d’accidents du travail et de maladies professionnelles, spécialement dans l’hypothèse où l’employeur a commis une faute inexcusable.

À ce titre, le Conseil constitutionnel, tout en relevant que la victime d’un accident du travail n’était pas traitée de la même manière que la victime d’un autre type d’accident, rappelait que ces victimes se trouvaient dans une situation différente de celle des autres victimes.

Appliquée à l’espèce qui lui était soumise, le Conseil constitutionnel a motivé sa décision en rappelant que le législateur n’a pas entendu cantonner la notion d’infection nosocomiale au milieu hospitalier, dès lors qu’il a fixé un régime de réparation des préjudices en résultant, contractée tant chez les professionnels de santé exerçant en ville que dans les établissements (cons. 5).

Ainsi, le Conseil constitutionnel ne s’est pas contenté d’une référence textuelle et opportune aux dispositions de l’article R. 6116-6 du Code de la santé publique, lequel dispose que « les infections associées aux soins contractées dans un établissement de santé sont dites infections nosocomiales ».

Et ce d’autant plus que cette définition réglementaire concerne avant tout les dispositions relatives à la lutte contre les infections nosocomiales et non au régime de responsabilité, le législateur s’étant bien gardé de toute définition de la notion d’infection nosocomiale.

Par ailleurs, le Conseil constitutionnel ne s’est pas cantonné pour justifier de la différence de situation au seul point de vue des personnes dont la responsabilité peut être engagée. En effet, comme dans tout régime de responsabilité sont en cause à la fois la personne victime d’un préjudice et la personne à l’origine de ce préjudice.

Pour justifier la solution, le Conseil constitutionnel a considéré que la différence de situation, sur laquelle se fonde la différence de traitement, résulte des conditions dans lesquelles les soins sont pratiqués. C’est la notion de risque encouru par les patients qui a prévalu.

Aussi, s’emparant de l’argumentation présentée par le Premier ministre, le Conseil constitutionnel relève la spécificité des risques en milieu hospitalier et la probabilité plus élevée de contracter des infections nosocomiales.

Pour ce faire, il précise que « les actes de prévention, de diagnostic ou de soins pratiqués dans un établissement, service ou organisme de santé se caractérisent par une prévalence des infections nosocomiales supérieure à celle constatée chez les professionnels de santé, tant en raison des caractéristiques des patients accueillis et de la durée de leur séjour qu’en raison de la nature des actes pratiqués et de la spécificité des agents pathogènes de ces infections ; qu’au surplus, les établissements, services et organismes de santé sont tenus, en vertu des dispositions de l’article L. 6111-2 et suivants du Code de la santé publique, de mettre en œuvre une politique d’amélioration de la qualité de la sécurité des soins et d’organiser la lutte contre les événements indésirables, les infections associées aux soins et l’iatrogénie » (cons. 7).

Ainsi, pour le Conseil constitutionnel, le régime de responsabilité en vigueur ne porte pas atteinte au principe d’égalité au motif que cette différence de traitement repose sur une différence de situation, spécifique au contexte hospitalier, et aux obligations qui lui incombent.

Que cette décision soit ou non médicalement justifiée, il n’en demeure pas moins que les conséquences qui en découlent pour les patients sont loin d’être anodines dès lors qu’ils espèrent obtenir l’indemnisation des préjudices résultant d’une infection nosocomiale contractée en dehors d’un établissement de soins.

B. Les conséquences de l’avis rendu pour les patients victimes d’une infection nosocomiale

Puisque le régime instauré par la loi du 4 mars 2002 n’est pas contraire à la Constitution, les patients victimes d’une infection nosocomiale contractée en dehors d’un établissement de soins voient toujours peser sur eux ce fardeau de la preuve d’une faute du professionnel.

Si certains voient dans le système en vigueur un compromis maladroit entre solidarité et responsabilité, générateur de complexité12, d’autres voient dans la décision rendue une préservation du droit commun de la responsabilité médicale13.

Dès l’entrée en vigueur de la loi Kouchner, s’était posée la question de savoir si la Cour de cassation réitérerait sa jurisprudence favorable ayant trait à l’obligation de résultat14.

La jurisprudence postérieure à l’entrée en vigueur de la loi n’a pas ressuscité l’obligation de résultat, vraisemblablement en raison du changement de fondement juridique qui lui était imposé par le Code de la santé publique.

En effet, les dispositions spéciales issues du Code la santé publique instaurant un régime de responsabilité pour faute s’avèrent déconnectées du seul caractère contractuel ou délictuel du lien unissant le patient à son médecin, lequel fondait antérieurement l’obligation de résultat pesant sur les professionnels15.

Rien n’empêche les juges d’adopter une position favorable aux victimes, dans un souci d’indemnisation. Pour exemple, les juges n’avaient pas hésité à qualifier de maladresse fautive ce que des experts judiciaires qualifiaient pourtant d’aléa, à défaut de pouvoir concevoir une indemnisation sans aucune faute de quelque nature qu’elle soit16.

L’évolution plus récente de la jurisprudence démontre que les juges tentent parfois de rattacher, non sans difficulté, l’exercice de professionnels à des établissements dès lors qu’ils identifient un infime lien dans la prise en charge du patient.

Si la Cour de cassation a déjà eu l’occasion de rappeler que toute structure d’exercice prenant la forme d’une société civile de moyens ne saurait être considérée comme un établissement de santé au sens et pour l’application du deuxième alinéa de l’article L. 1142-1 du Code de la santé publique, elle a pu, au visa du contrat liant cette société à une clinique, caractériser la notion d’établissement.

En effet, se rattachant à l’existence d’une clause d’exclusivité introduite dans le contrat liant la société civile de moyens à la clinique, elle a pu estimer que la société civile de moyens pouvait être considérée comme le service de radiologie de la clinique du fait de cette exclusivité, et ce faisant être soumise aux dispositions de l’article L. 1142-1 I alinéa 2 du Code de la santé publique pour les infections qui y étaient survenues17.

Dans la décision rendue dans le litige ayant donné lieu à la question prioritaire de constitutionnalité, la Cour de cassation confirme sa position de principe.

En effet, les juges du fond avaient retenu une conception extensive de la notion d’établissement visée à l’article L. 1142-1 du Code de la santé publique, précisant que le texte n’en donne aucune définition, et assimilant une société civile de moyens aux établissements visés par ce texte.

La Cour de cassation censure cette analyse, et rappelle qu’une société civile de moyens ne répond pas, du fait de son objet (faciliter l’exercice de sa profession par chacun de ses membres), à la notion d’établissements de santé visée par l’article L. 1142-1 du Code de la santé publique.

Toutefois, rien ne l’empêche d’étendre la notion d’établissement en fonction des contrats souscrits entre ces sociétés civiles et les établissements privés de soins18.

Si les professionnels exerçant dans ce type de structures devront désormais s’interroger sur les clauses de leur contrat les liant aux établissements de soins privés, tout espoir n’est pas perdu pour les victimes d’infections nosocomiales, de se voir soulager d’une partie du fardeau de la preuve, dès lors que les juges identifieront via ce contrat, un lien entre le professionnel et l’établissement ayant concouru à sa prise en charge.

Audrey Margraff

2. Responsabilité hospitalière : panorama jurisprudentiel

Si la loi du 4 mars 2002 a constitué une avancée majeure concernant la démocratie sanitaire, le renforcement du droit des patients s’est poursuivi, tant dans les textes que dans la jurisprudence. La loi du 26 janvier 2016 relative à la modernisation de notre système de santé manifeste ainsi d’un approfondissement de ces droits, notamment concernant le droit à l’information et le respect de la vie privée19. La jurisprudence récente confirme la volonté du juge d’élargir le droit à indemnisation des victimes, notamment dans l’hypothèse où l’obligation d’information n’a pas été respectée. Elle apporte aussi d’intéressantes et importantes précisions du point de vue du contentieux.

Quel champ pour les règles de bonnes pratiques relatives aux pratiques médicales concourant au diagnostic prénatal ?

La fondation Jérôme Lejeune contestait un arrêté du ministre de la Santé en date du 27 mai 2013, modifiant un arrêté du 23 juin 2009, fixant les règles de bonnes pratiques en matière de dépistage et de diagnostic prénatal avec utilisation des marqueurs sériques maternels de la trisomie 21 pour déterminer d’une part, les données que les biologistes médicaux doivent transmettre à l’Agence de la biomédecine pour chaque examen de dépistage et de diagnostics prénatals de la trisomie 21 ainsi que les modalités de cette transmission et les organismes bénéficiant de ces données, et d’autre part, les modalités d’évaluation de ce dépistage par l’Agence de la biomédecine ainsi que les modalités de communication des résultats de cette évaluation20. Le Conseil d’État juge que ces dispositions sont entâchées d’incompétence du fait qu’elles ne peuvent être regardées comme entrant dans le champ de l’article R. 2131-1-1 du Code de la santé publique, qui ne concerne pas la transmission et l’évaluation des données relatives au dépistage prénatal et vise seulement les règles de bonnes pratiques relatives aux « pratiques médicales concourant au diagnostic prénatal ». Il considère toutefois que l’évaluation des modalités existantes du dépistage de la trisomie 21 pendant la grossesse répond à un objectif d’intérêt général tenant à la recherche d’une plus grande fiabilité des tests de dépistage et à un moindre recours aux méthodes invasives de diagnostic et ne porte pas atteinte aux principes du respect de la dignité humaine, du droit à la vie ou de non-discrimination. En conséquence, afin de ne pas porter une atteinte disproportionnée à l’intérêt général s’attachant à l’évaluation du dépistage de la trisomie 21, il décide de ne prononcer l’annulation de l’arrêté attaqué qu’à compter du 1er juin 2016. Aussi, afin de tirer les conséquences de cette décision, un décret est intervenu le 3 mai 2016 pour donner compétence au ministre de la Santé pour arrêter, dans le cadre de l’évaluation et du contrôle de qualité de certains examens de diagnostic prénatal, les données que les biologistes médicaux doivent transmettre à l’Agence de biomédecine, les modalités de cette transmission, les organismes bénéficiant de la mise à disposition de ces données, les modalités d’évaluation par l’Agence de la biomédecine ainsi que les destinataires de cette évaluation21.

L’extension de l’obligation d’information à un acte non médical

Alors que le juge administratif n’a eu de cesse d’élargir le champ de l’obligation d’information concernant les actes médicaux, il avait jusqu’alors refusé de l’étendre à un accouchement par voie basse, considérant qu’il ne constitue justement pas un acte médical dont les risques devraient être portés préalablement à la connaissance de la future accouchée, en l’absence de risques particuliers liés à l’état de la parturiente ou de son enfant rendant prévisible l’exécution d’actes médicaux22.

Le Conseil d’État décide pourtant, dans un arrêt en date du 27 juin 2016, que la circonstance que l’accouchement par voie basse constitue un événement naturel et non un acte médical, ne dispense pas les médecins de l’obligation de porter, le cas échéant, à la connaissance de la femme enceinte les risques qu’il est susceptible de présenter eu égard notamment à son état de santé, à celui du fœtus ou à ses antécédents médicaux, et les moyens de les prévenir. En particulier, en présence d’une pathologie de la mère ou de l’enfant à naître ou d’antécédents médicaux entraînant un risque connu en cas d’accouchement par voie basse, l’intéressée doit être informée de ce risque ainsi que de la possibilité de procéder à une césarienne et des risques inhérents à une telle intervention23. En l’espèce, lors d’un accouchement par voie basse, une césarienne est pratiquée en urgence du fait d’une rupture utérine qui entraîne de graves lésions cérébrales consécutives à une encéphalopathie anoxo-ischémique chez l’enfant. Si le juge des référés du tribunal administratif rejette la demande en indemnisation provisionnelle, celui de la cour administrative d’appel condamne l’établissement à verser une provision aux parents. Alors que le premier accouchement de la parturiente s’était fait par césarienne et qu’elle n’avait pas été informée du risque connu de rupture utérine en cas d’accouchement par voie basse, le Conseil d’État confirme cette décision en considérant que, même s’il est probable que l’intéressée, informée des risques inhérents à chacune des voies, aurait opté pour un accouchement par voie basse, le défaut d’information a néanmoins été à l’origine d’une perte de chance d’éviter le dommage. Le juge de cassation estime en l’espèce que la cour n’a pas commis d’erreur de droit en se fondant sur la méconnaissance de l’obligation d’information sur le risque général de rupture utérine, consécutif à une précédente césarienne, alors même que la rupture utérine survenue en l’espèce ne correspondait pas au cas le plus fréquent de survenance de ce risque. Alors que le Conseil d’État insiste ici sur les éléments de contexte spécifiques à l’affaire, à savoir l’existence d’une pathologie de la mère ou de l’enfant à naître ou d’antécédents médicaux entraînant un risque connu en cas d’accouchement par voie basse, on peut s’interroger sur la portée de cette solution et son application à des hypothèses où il n’existerait pas de risques particuliers en cas d’accouchement par voie basse.

Le défaut d’information de la patiente sur l’existence d’un risque de pathologie grave du fœtus est constitutif d’une faute caractérisée

Alors que sa nature suscite encore des interrogations en doctrine, une décision du Conseil d’État apporte de nouveaux éclairages sur la notion de faute caractérisée24 . En l’espèce, une parturiente, hospitalisée au cours de sa grossesse en raison d’un retard de développement du fœtus décelé par son médecin traitant et après que les examens échographiques aient confirmé une hypotrophie fœtale, donne naissance à une enfant présentant une arthrogrypose, ainsi qu’un pied bot bilatéral et une fente palatine, entraînant une invalidité estimée à 80 %. Le tribunal administratif, devant lequel les parents recherchent la responsabilité des établissements hospitaliers au titre d’un défaut de diagnostic de l’état de santé de l’enfant à naître et d’un défaut d’information sur les anomalies constatées lors de la grossesse, rejette leurs demandes, jugement confirmé par la cour administrative d’appel. Le Conseil d’État considère en premier lieu que la cour n’a pas commis d’erreur de droit en écartant le moyen tiré de l’incompatibilité entre les stipulations tirées de l’article 1er du premier protocole additionnel à la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales et les dispositions de l’article L. 114-5 du Code de l’action sociale et des familles, issu de l’article 1er de la loi du 4 mars 2002 visant à mettre fin aux jurisprudences Perruche et Quarez en affirmant l’impossibilité pour une personne née avec un handicap de se prévaloir d’un préjudice du seul fait de sa naissance. En effet, la naissance de l’enfant et, en conséquence, l’action indemnitaire portée devant les juges du fond sont postérieures à la date d’entrée en vigueur de la loi, soit le 7 mars 2002, ce qui implique que les parents de l’enfant n’étaient pas titulaires à cette date d’un droit de créance indemnitaire qui aurait été lui-même constitutif d’un bien au sens de l’article 1er du premier protocole additionnel à la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’Homme25. L’arrêt attaqué énonce ensuite, pour rejeter les conclusions relatives à la réparation des préjudices subis par l’enfant en application de l’article L. 114-5 du Code de l’action sociale et des familles stipulant que la personne née avec un handicap dû à une faute médicale peut obtenir la réparation de son préjudice lorsque l’acte fautif a provoqué directement le handicap ou l’a aggravé, ou n’a pas permis de prendre les mesures susceptibles de l’atténuer, que le handicap dont elle est atteinte est imputable à une anomalie génétique et non à des actes médicaux susceptibles d’engager la responsabilité de l’établissement hospitalier. Ce motif n’étant pas critiqué, il n’encourt pas la cassation en tant qu’il rejette les conclusions présentées par les parents au nom de l’enfant.

Concernant les conclusions indemnitaires présentées par les parents en leur nom, le Conseil d’État estime que la cour n’a pas dénaturé les faits et leur a donné une exacte qualification juridique en jugeant que les médecins avaient satisfait à l’obligation de moyens qui pesait sur eux dans la recherche d’une pathologie, sans parvenir à l’identifier, l’expert ayant souligné la difficulté particulière de ces examens du fait de l’immobilité du fœtus et de l’insuffisance du liquide amniotique, si bien qu’il ne pouvait leur être reproché d’avoir commis sur ce point une faute caractérisée. En effet, conformément à l’alinéa 3 de l’article L. 114-5 du Code de l’action sociale et des familles, ce n’est que si la faute, par son intensité et sa gravité, est caractérisée que la responsabilité d’un établissement de santé peut être engagée vis-à-vis des parents d’un enfant né avec un handicap non décelé pendant la grossesse26. Toutefois, la haute juridiction annule partiellement l’arrêt au motif qu’il n’a pas retenu que le défaut d’information de l’intéressée sur l’existence d’un risque de pathologie grave du fœtus était constitutif d’une faute caractérisée. Le Conseil d’État relève en effet que, selon l’expert, l’hypotrophie très marquée du fœtus, dont la taille était inférieure au troisième décile, et son immobilité presque totale, rapproché de la consanguinité des parents et d’un antécédent familial, laissaient fortement soupçonner une affection grave et bien qu’aucune pathologie n’ait pu être identifiée, la parturiente aurait dû en être informée afin de pouvoir demander l’avis d’un centre pluridisciplinaire de diagnostic prénatal sur la possibilité de pratiquer une interruption médicale de grossesse. Le rapport de l’expert indiquait en outre que les médecins de l’hôpital avaient, lors de l’hospitalisation de la parturiente, soumis son cas au centre pluridisciplinaire de diagnostic prénatal, qui avait demandé des examens complémentaires sans que l’intéressée en ait été informée et sans que le dossier fasse apparaître un avis rendu au vu du résultat de ces examens. Ce n’est donc pas l’absence de détection des malformations lors des échographies qui constitue la faute caractérisée mais le défaut d’information sur l’existence d’un risque de pathologie grave du fœtus. Alors que le juge administratif avait semblé retenir l’intensité et la gravité pour identifier la faute caractérisée, il ressort de cette décision, comme le note Danièle Cristol, que « le seuil au-delà duquel elle ne peut être tolérée et doit être qualifiée de “caractérisée” peut s’avérer délicat à apprécier »27. L’affaire étant renvoyée à la cour d’appel, se pose la question de savoir comment elle évaluera le préjudice résultant du défaut d’information sur l’existence d’un risque de pathologie grave du fœtus.

Présomption de souffrance morale dans le cadre du préjudice d’impréparation

La réparation sur le terrain du préjudice d’impréparation pourrait être retenue par la cour d’appel dans l’affaire précédente. Alors que la réparation du préjudice lié au manquement à l’obligation d’information du patient a suscité de nombreuses interrogations concernant la nature du préjudice réparable, l’indemnisation de la perte d’une chance de refuser l’intervention a fait l’objet d’un certain nombre de critiques puisqu’elle implique l’absence de réparation dans l’hypothèse où le patient n’avait d’autre choix que de subir l’intervention. Aussi, le juge judiciaire a-t-il considéré que le médecin qui manque à l’obligation d’information cause nécessairement un préjudice à son patient, fût-il uniquement moral, que le juge ne peut laisser sans indemnisation28. Il a fallu attendre une décision du 10 octobre 2012 pour que le Conseil d’État rejoigne la solution de son homologue judiciaire, en la limitant toutefois29. En effet, alors que le juge judiciaire, se fondant sur les articles 16, 16-3 alinéa 2 et 1382 (actuel 1240) du Code civil, avait semblé sanctionner la violation d’un droit subjectif à l’information, indépendamment de la réalisation des risques dont le patient n’a pas été informé, le Conseil d’État a une approche plus restrictive en reconnaissant pour le patient « le droit d’obtenir réparation des troubles qu’il a pu subir du fait qu’il n’a pas pu se préparer à cette éventualité, notamment en prenant certaines dispositions personnelles ». La réparation du préjudice d’impréparation, distinct de la perte de chance et ne se substituant pas à elle, est ici conditionnée à la réalisation des risques. Après que la Cour de cassation se soit finalement alignée sur cette position, notamment confirmée par un arrêt du 13 février 201530, le Conseil d’État vient de préciser que « s’il appartient au patient d’établir la réalité et l’ampleur des préjudices qui résultent du fait qu’il n’a pas pu prendre certaines dispositions personnelles dans l’éventualité d’un accident, la souffrance morale qu’il a endurée lorsqu’il a découvert, sans y avoir été préparé, les conséquences de l’intervention doit, quant à elle, être présumée »31. Rejoignant sur ce point la Cour de cassation, le Conseil d’État considère donc que, si le patient doit établir la réalité et l’ampleur des préjudices, la souffrance morale, elle, est présumée.

La détermination de l’ordre juridictionnel compétent en matière d’action en garantie exercée par un établissement hospitalier à l’encontre d’un fabricant d’un produit de santé défectueux

Se fondant sur une décision de la Cour de justice de l’Union européenne qui avait affirmé que la responsabilité d’un prestataire de services qui utilise, dans le cadre d’une prestation de services telle que des soins dispensés en milieu hospitalier, des appareils ou des produits défectueux dont il n’est pas le producteur et cause de ce fait des dommages au bénéficiaire de la prestation ne relève pas du champ d’application de la directive 85/374/CEE du 25 juillet 1985 relative à la responsabilité du fait des produits défectueux32, le Conseil d’État avait étendu la jurisprudence Marzouk33 à l’implantation, au cours de la prestation de soins, d’un produit défectueux dans le corps d’un patient, tel une prothèse et censuré l’arrêt de la cour administrative d’appel de Lyon, qui avait fait application de la directive et jugé que le patient devait diriger son recours contre le producteur de la prothèse défectueuse et non contre le centre hospitalier34. Cette même cour, de nouveau saisie, a donc condamné le centre hospitalier à indemniser le patient mais, alors que l’établissement avait appelé en garantie le producteur de la prothèse défectueuse, elle a rejeté ses conclusions au motif que, n’ayant pas la qualité de fournisseur au sens de la directive de 1985 mais de celle de prestataire de service, il ne peut se prévaloir de ses dispositions, dans le champ d’application de laquelle la prestation de service n’entre pas, ni des articles 1386-1 et suivants (actuels 1245 et suivants) du Code civil qui en sont la transposition35. Le Conseil d’État, saisi du pourvoi du centre hospitalier, a quant à lui considéré que le litige né de l’action en garantie du centre hospitalier, tendant à ce qu’une personne morale de droit privé avec laquelle il est lié par un contrat administratif soit condamnée à réparer sur le fondement des articles 1386-1 à 1386-18 (actuels 1245 à 1245-17) du Code civil les dommages résultant de la fourniture d’un produit défectueux, présente une question de compétence soulevant une difficulté sérieuse et renvoie l’affaire au tribunal des conflits36. Du choix du fondement, soit contractuel, soit extracontractuel lié au défaut du produit, dépendait l’ordre juridictionnel compétent. C’est le fondement contractuel qu’a choisi le tribunal des conflits en décidant que l’action en garantie engagée par le service public hospitalier à l’encontre d’un producteur auquel il est lié par un contrat administratif portant sur la fourniture de produits dont la défectuosité de l’un d’eux a été constatée et le contraint à indemniser le patient de ses conséquences dommageables constitue un litige né de l’exécution des marchés passés en application du Code des marchés publics37. Il précise d’ailleurs que cette action peut être fondée sur les stipulations du contrat, sur les vices cachés du produit en application des articles 1641 à 1649 du Code civil ou encore sur les règles issues de la directive 85/374/CEE du 25 juillet 1985, telle qu’interprétée par l’arrêt de la CJUE du 21 décembre 2011. Le tribunal des conflits fait donc ici un choix réaliste en confiant l’ensemble du contentieux de la responsabilité en matière de produits défectueux au juge administratif, permettant que le juge statuant sur le litige principal statue également sur l’appel en garantie38.

Le moyen tiré de la responsabilité sans faute peut être soulevé d’office par le juge administratif sous réserve que les parties en aient été préalablement informées

Une patiente a subi, au cours d’une césarienne pratiquée en urgence, une plaie au colon. Une nouvelle intervention, rendue nécessaire du fait d’un état septique faisant suspecter une péritonite, a mis en évidence une infection nosocomiale résultant de la libération intra-péritonéale de germes à la suite de la plaie colique, nécessitant une antibiothérapie39. Le tribunal administratif a rejeté le recours indemnitaire dont il avait été saisi contre le centre hospitalier au motif de l’absence de faute des médecins. Si elle a confirmé cette analyse, la cour administrative d’appel a estimé que le dommage était imputable à une infection nosocomiale engageant la responsabilité de l’hôpital et condamné l’établissement à indemniser la patiente. Le Conseil d’État a été saisi du pourvoi en cassation du centre hospitalier qui conteste sa responsabilité au titre d’une infection nosocomiale et de la patiente du fait que l’arrêt a rejeté la responsabilité pour faute de l’établissement.

Sur le pourvoi principal, le juge de cassation relève que la cour s’est méprise sur la portée des écritures d’appel de la requérante qui n’invoquait que la responsabilité pour faute, sans fonder sa demande sur l’existence d’une infection nosocomiale. On sait qu’au terme d’une jurisprudence classique, le juge administratif peut relever d’office le moyen tiré de la responsabilité de plein droit. Toutefois, conformément à l’article R 611-7 du Code de justice administrative, il doit en avoir préalablement informé les parties40. C’est parce que la cour ne l’a pas fait, empêchant notamment le centre hospitalier de faire valoir, le cas échéant, une cause étrangère, que le juge de cassation censure partiellement sa décision.

Sur le pourvoi incident introduit par la patiente, le Conseil d’État considère dans un premier temps que la cour, en décidant que le centre hospitalier n’avait pas commis de faute en ne procédant pas à des examens préopératoires qui auraient pu leur permettre de diagnostiquer l’adhérence anormale du colon à la paroi abdominale et la faiblesse de cette dernière, à l’origine, selon l’expert, de la plaie intestinale survenue lors de la césarienne, au motif que les médecins ne disposaient d’aucun élément leur permettant de soupçonner l’existence de telles lésions, n’a pas dénaturé les pièces du dossier et n’a pas commis d’erreur de qualification juridique. Elle n’en a pas commis non plus en écartant l’existence d’une faute dans la réalisation de la césarienne. Il résultait en effet du rapport d’expertise que la grossesse gémellaire, se caractérisant par un placenta prævia antérieur, présentait des risques hémorragiques importants, que la césarienne avait été pratiquée dans un contexte d’extrême urgence du fait d’une grave hémorragie et des anomalies du rythme cardiaque de l’un des jumeaux, qui mettaient en jeu, à court terme, le pronostic vital de la mère et des enfants, et que l’équipe médicale ignorait l’existence d’adhérences intestinales. Le juge de cassation rejette donc la demande d’annulation de l’arrêt de la cour d’appel en tant qu’il écarte la responsabilité pour faute du centre hospitalier. Mais il l’annule et le renvoie à cette même cour concernant la responsabilité de l’hôpital du fait de l’infection nosocomiale.

Florence Jamay

IV – Procédure et droits des patients

(À suivre)

Notes de bas de pages

  • 1.
    Cons. const., 1er avr. 2016, n° 2016-531.
  • 2.
    L. n° 2002-303, 4 mars 2002, art. 98, relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé : JO, 5 mars 2002.
  • 3.
    Cass. civ., 20 mai 1936, Dame Mercier c/ Laurent : D. 1936, p. 88, rapp. Josserand, concl. Matter.
  • 4.
    Cass. 1re civ., 21 mai 1996, n° 94-16586 : Bull. civ. I, n° 216, p. 152.
  • 5.
    Cass. 1re civ., 29 juin 1999, nos 97-14254, 97-15818 et 97-21903 : Bull. civ. I, nos 220, 222, p. 143 ; JCP G 1999, rapp. Sargos.
  • 6.
    CE, 9 déc. 1988, n° 65087, Cohen : AJDA juin 1989, p. 405, obs. Moreau J.
  • 7.
    CSP, art. L. 1142-1, II.
  • 8.
    CSP, art. D. 1142-1.
  • 9.
    Cass. 1re civ., 6 janv. 2016, n° 15-16894 QPC.
  • 10.
    Cons. const., 27 déc. 1973, n° 73-51 DC, Taxation d’office, cons. 2 ; Cons. const., 4 juill. 1989, n° 89-254 DC ; loi modifiant L. n° 86-912, 6 août 1986, art. 10, relative aux modalités d’application des privatisations, cons. 18 ; Cons. const., 20 mars 1997, n° 97-388 DC, loi créant les plans d’épargne retraite, cons. 27.
  • 11.
    Cons. const., 11 juin 2010, n° 2010-2 QPC, Mme Vivianne L, loi dite « anti-Perruche », cons. 8.
  • 12.
    Bloch L., « Pas d’atteinte au principe d’égalité dans le régime d’indemnisation des victimes d’infections nosocomiales » Resp. civ. et assur. mai 2016, alerte 13.
  • 13.
    Vauthier J.-P. et Vialla F. « Constitutionnalité du régime de responsabilité en matière d’infection nosocomiale », D. 2016 p. 1064.
  • 14.
    « Indemnisation des infections nosocomiales : qu’en est-il en 2005 ? », revue générale de droit médical 2005, n° 15.
  • 15.
    Cass. 1re civ., 28 janv. 2010, n° 09-10992 : Bull. civ. I, n° 20 – Cass. 1re civ., 14 oct. 2010, n° 09-69195 : Bull. civ. I, n° 200.
  • 16.
    Cass. 1re civ., 3 avr. 2007, n° 06-13457.
  • 17.
    Cass. 1re civ., 12 juill. 2012, n° 11-17072 : Bull. civ. I, n° 171.
  • 18.
    Cass. 1re civ., 12 oct. 2016, n° 15-16894.
  • 19.
    L. n° 2016-41, 26 janv. 2016, art. 175 et s. : JO, 27 janv. 2016 ; Morlet-Haïdara L., « L’impact de la loi santé sur les usagers du système de santé », RDSS 2016, p. 658.
  • 20.
    CE, 25 nov. 2015, n° 370610, Fondation Jérôme Lejeune : Juris-Data n° 2015-026262.
  • 21.
    D. n° 2016-545, 3 mai 2016, relatif à l’évaluation et au contrôle de qualité des examens de diagnostic prénatal mentionnés au II, de l’article R. 2131-2-1 du Code de la santé publique : JO, 5 mai 2016.
  • 22.
    CAA Lyon, 19 avr. 2012, n° 11LY00850, Dame Montagny ; CAA Nancy, 3 mai 2012, n° 11NC01141, Dame O. et Sieur V.
  • 23.
    CE, 27 juin 2016, n° 386165, CHU de Poitiers.
  • 24.
    CE, 7 avr. 2016, n° 376080 : RDSS 2016, p. 574, note Cristol D. ; JCP A 2016, 342, note Touzeil-Divina M.
  • 25.
    V. CE, ass., 13 mai 2011, n° 329290, Mme Lazare : Juris-Data n° 2011-008423 – CE, 31 mars 2014, n° 345812, Hôpital de Senlis : Juris-Data n° 2014-006557.
  • 26.
    V. CE, 31 mars 2014, n° 345812, Hôpital de Senlis : Juris-Data n° 2014-006557 ; JCP A 2014, 2234, note Muscat H. ; LPA 1er mars 2016, p. 6, note Jamay F.
  • 27.
    RDSS 2016, p. 574.
  • 28.
    Cass. 1re civ., 3 juin 2010, n° 09-13591.
  • 29.
    CE, 10 oct. 2012, n° 350426, Beaupère et Mme Lemaître : JCP A 2012, 2369, note Vioujas V. ; JCP G 2012, 1252, note Vialla F. ; RDSS 2013, p. 92, note Cristol D.
  • 30.
    CE, 13 févr. 2015, n° 366133, centre hospitalier universitaire de Bordeaux : Juris-Data n° 2015-002934.
  • 31.
    CE, 16 juin 2016, n° 382479, M. B. : D. 2016, p. 1501, note Vialla F.
  • 32.
    CJUE, 21 déc. 2011, n° C-495/10, centre hospitalier universitaire de Besançon.
  • 33.
    CE, 9 juill. 2003, n° 220437.
  • 34.
    CE, sect., 25 juill. 2013, n° 339922, Falempin : AJDA 2013, p. 1972, chronique Domino X. et Bretonneau A. ; RDSS 2013, p. 881, note Peigné J. ; D. 2013, p. 2438, note Bacache M. ; JCP A 2013, 2361, Travart J.
  • 35.
    CAA Lyon, 12 déc. 2013, n° 13LY02237, M. B.
  • 36.
    CE, 23 déc. 2015, n° 375406, Falempin.
  • 37.
    T. confl. 11 avr. 2016, n° C4044, centre hospitalier de Chambéry : RDSS 2016, p. 571, note Peigné J. ; Devillers P., « La méthode de notation ne doit pas fausser la pondération des critères », Contrats et marchés publics juin 2016, comm. 166.
  • 38.
    V. Devillers P., « La méthode de notation ne doit pas fausser la pondération des critères », Contrats et marchés publics juin 2016, comm. 166.
  • 39.
    CE, 6 mars 2015, n° 368520, centre hospitalier de Roanne : JCP A 2015, 274, note Langelier E. ; JCP A 2015, 2204, note Travard J.
  • 40.
    V. CE, 14 févr. 1997, n° 152641, Mme Chartier.
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