Valérie Sellam Benisty : « Nous ne savons toujours pas pourquoi l’assurance maladie a refusé la prise en charge des greffes de Laura Nataf à l’étranger »
Le 10 mars dernier, la cour d’appel de Paris a rendu son verdict dans l’affaire Laura Nataf : ses doubles greffes effectuées aux États-Unis ne seront finalement pas prises en charge par l’assurance maladie. À l’époque des faits, Laura Nataf est amputée de ses quatre membres à la suite d’un choc septique. Elle a 19 ans. Après avoir vécu neuf ans avec des prothèses, et sans perspective de solution de greffes en France en février 2016, elle a la possibilité de se faire greffer ses avant-bras et ses mains aux États-Unis. Mais la facture est lourde : 1 113 334,05 dollars ! Qui doit alors payer ? Pour Me Valérie Sellam Benisty, avocate de Laura Nataf, il n’y a aucun doute, c’est à l’assurance maladie française de payer. En première instance, la CPAM de Paris a été condamnée par le tribunal judiciaire de Paris à payer plus de 650 000 € (TJ Paris, 12 juillet 2021, n° 18/01665). Mais la cour d’appel de Paris, s’appuyant sur l’article R. 160-4 du Code de la sécurité sociale, vient de décider le 10 mars 2023 que « la prise en charge des soins dispensés à l’étranger ne constitue pour les organismes sociaux qu’une simple faculté, à titre exceptionnel et après avis favorable du contrôle médical et que les juridictions contentieuses ne peuvent substituer leur appréciation à celle de la caisse » (CA Paris, 10 mars 2023, n° 21/07349).
Actu-Juridique : Pouvez-vous nous rappeler les faits qui ont conduit Laura Nataf à saisir la justice ?
Valérie Sellam Benisty : À l’époque des faits, en 2007, Laura Nataf a 19 ans et se réveille, après un long coma lié à un choc septique, amputée de ses quatre membres. Elle apprend à vivre avec des prothèses et entame des démarches pour être greffée. Malheureusement, faute de donneuse et de financements, elle finit en 2016, après avoir patienté pendant neuf ans, par être radiée de la Liste nationale d’attente de greffe (LNA). Avec cette radiation, Laura Nataf se retrouvait donc dans l’impasse : aucune possibilité de se faire opérer en France et l’assurance maladie refusait de prendre en charge les frais d’opérations faites à l’étranger !
Dans son combat, Laura Nataf était heureusement très vivement soutenue par le chirurgien qui s’est occupé d’elle, le docteur Laurent Lantieri, qui lui conseille de se rendre aux États-Unis et plus précisément à l’hôpital Penn Medicine de Pennsylvanie. Avec le docteur Scott Levin, ils se sont relayés pendant 16 heures, à 18 professionnels de santé, jour et nuit, pour parvenir à ce miracle de double greffe des avant-bras et des mains.
Après son opération, Laura Nataf a reçu une facture de 1 113 334,05 dollars qui l’a conduite à prendre conseil.
« Laura Nataf se retrouvait dans l’impasse : aucune possibilité de se faire opérer en France et l’assurance maladie refusait de prendre en charge les frais d’opérations faites à l’étranger ! »
J’ai donc attentivement examiné la réponse lacunaire de la CPAM de Paris portant refus de prise en charge du projet de double greffe à pratiquer aux États-Unis. Elle m’a semblé très critiquable, entachée d’anomalies de forme et sans avis médical écrit, méritant donc une étude approfondie du statut des greffes en France en 2016.
À l’issue de mes recherches, nous avons décidé de demander l’annulation de cette décision de refus après avoir vérifié qu’à la date des soins, la France n’était pas en mesure de proposer à Laura une solution équivalente aussi pertinente et prometteuse qu’aux États-Unis, d’autant plus qu’elle avait, comme je l’indiquais, déjà été radiée de la Liste nationale d’attente des greffes.
AJ : Pourquoi estimez-vous qu’il appartient à l’assurance maladie de payer les frais engagés aux États-Unis ?
Valérie Sellam Benisty : Comme la France a été dans l’incapacité de proposer à Laura Nataf des soins de même qualité avec les mêmes conditions de sécurité sanitaire qu’aux États-Unis, faute de cadre administratif, juridique et financier, l’article R. 160-4 du Code de la sécurité sociale prévoit que sur avis médical communiqué au patient, l’assurance maladie doit prendre en charge les frais engagés à l’étranger.
AJ : À l’époque, ce type de soin n’était pas possible en France ? Pour quelles raisons ?
Valérie Sellam Benisty : J’ai réuni de nombreux éléments comme des courriers de la Haute autorité de la Santé, de l’Agence de biomédecine, de professeurs de médecine, d’articles de presse médicale, prouvant effectivement qu’à cette époque il n’y avait pas cette possibilité en France. Ce qui est terrible et incohérent c’est que la cour d’appel nous donne raison sur ce point.
En 2013, alors que Laura Nataf était encore inscrite sur la Liste nationale d’attente de greffe, il existait une subvention particulière pour ce type de greffe qui représentait 187 000 € par greffe. C’était une autorisation donnée pour cinq ans mais le budget devait être voté chaque année. Or, fin 2013, lorsqu’il s’est agi de renouveler le budget pour 2014, cela n’a pas été le cas malheureusement. Laura Nataf était alors toujours inscrite sur la Liste nationale d’attente de greffe mais, comme le budget n’avait pas été renouvelé, il n’y avait pas de subvention. En février 2016, quand l’assurance maladie a refusé la prise en charge des greffes de Laura Nataf, il n’y avait donc pas de cadre juridique, pas de cadre financier et pas de cadre administratif.
AJ : Qu’ont décidé les juges de première instance ?
Valérie Sellam Benisty : Le tribunal judiciaire de Paris a jugé que le refus de prise en charge des frais médicaux de Laura Nataf était non valable et a condamné l’assurance maladie à participer aux frais de Laura Nataf à concurrence à peu près des 2/3 de la facture qui lui était présentée, c’est-à-dire un peu plus de 650 000 €. En revanche, il a écarté les dépenses pharmaceutiques et les dépenses pour chambre particulière.
Les premiers juges ont fait preuve de beaucoup d’humanité. Ils ont vraiment posé la bonne question de savoir si la France était en mesure d’apporter une solution médicale à Laura Nataf.
AJ : La cour d’appel vient en revanche de trancher en sens inverse de la décision du tribunal judiciaire de Paris…
Valérie Sellam Benisty : Effectivement, le 10 mars 2023, la cour d’appel de Paris, qui avait été saisie par l’assurance maladie, a tranché en sens inverse de la décision du tribunal judiciaire de Paris.
Avec Laura Nataf, nous sommes évidemment très déçues que les trois juges de la cour d’appel n’aient pas suivi les trois juges de première instance, d’autant plus qu’à la lecture de la décision de la cour d’appel, les arguments qui ont été invoqués par Laura Nataf pour contrer les conclusions de l’assurance maladie ont tous été reçus favorablement par la cour d’appel à savoir :
– l’absence de cadre financier et juridique adapté en février 2016 ;
– la contre-indication temporaire sur la Liste nationale d’attente de greffe ;
– un protocole de recherches médico-économiques Armedic pilotées par les hospices civils de Lyon non opérationnel ;
– l’absence d’autre service pouvant accueillir Laura Nataf en France, à la date des soins ;
– l’attestation du professeur Laurent Lantieri ;
– une situation que la cour qualifie de particulièrement digne d’intérêt.
Dans cette décision, les juges admettent, comme en première instance, qu’au moment des soins, en février 2016, il n’y avait aucune solution française pour proposer ces greffes à Laura Nataf. Or c’est justement cette question-là qui aurait dû donner application de l’article R. 160-4 du Code de la sécurité sociale : lorsque la France est dans l’incapacité de proposer à un patient à la date des soins la même solution, elle doit pouvoir lui donner une chance de se faire opérer hors frontières. Or la cour d’appel en conclut de manière tout à fait inattendue qu’elle ne va pas s’opposer à la décision de l’Administration au prétexte qu’elle a un pouvoir discrétionnaire. Cette décision ne repose donc pas sur le fait que l’assurance maladie aurait pu prouver qu’il y avait une autre solution en France à la date des soins mais uniquement sur le fait que les juges sont liés par l’avis de l’Administration !
AJ : Au-delà de cette décision de la cour d’appel, ne serait-ce pas davantage le fait de ne pas connaître les raisons du refus de prise en charge des soins à l’étranger qui est difficile pour Laura Nataf ?
Valérie Sellam Benisty : Effectivement car ce qui est très grave, c’est que normalement cette décision de refus de prise en charge doit reposer impérativement sur un avis favorable ou défavorable du médecin-conseil. Or dans ce dossier depuis le début de l’affaire, à aucun moment, cet avis n’a été communiqué aux débats. Il n’a jamais été envoyé à Laura Nataf, il n’a jamais été produit en trois ans de procédure, donc il n’existe pas ! Et pourtant, dans la décision de la cour d’appel, il y a cette mention « selon l’avis médical défavorable » qui justifie le pouvoir discrétionnaire de l’assurance maladie… En outre, la lettre de refus n’est pas signée. Elle n’a jamais été envoyée en LRAR alors que c’est une obligation et elle ne fait même pas mention des voies de recours pour Laura Nataf. On peut difficilement faire pire ! C’est ce qui est le plus grave pour cette jeune femme qui, à l’époque, avait 19 ans, a été amputée de ses quatre membres, et qui, neuf ans après, a été confrontée à un refus de greffe, puis à un refus de l’Administration de participer à cette dernière sans en comprendre les raisons. C’est totalement cruel !
« L’avis médical défavorable n’a jamais été envoyé à Laura Nataf, il n’a jamais été produit en trois ans de procédure ! »
Peut-être les juges d’appel et l’assurance maladie ont-ils craint d’ouvrir la boîte de Pandore en acceptant de rembourser les frais de greffes de Laura Nataf. Mais encore aurait-il fallu que l’avis médical le justifie ! Dans notre dossier, ce n’est pas le cas. Actuellement, nous ne savons toujours pas réellement pourquoi on lui a refusé ses soins mais les juges admettent bien qu’en France, à l’époque, on ne pouvait pas lui permettre ces opérations.
Le recours de Laura Nataf, qu’il soit devant la commission de recours amiable, qui n’a d’ailleurs jamais répondu depuis 2018 ou devant une juridiction, est vidé de toute sa substance. Les juges de la cour d’appel nous disent qu’ils sont liés par la décision de l’assurance maladie. On peut craindre qu’il n’y ait pas d’indépendance entre la justice et l’État !
AJ : Pour l’instant, rien n’a été payé ?
Valérie Sellam Benisty : Rien n’a été payé pour le moment. Aujourd’hui, la facture existe, elle est toujours demandée à Laura, elle est quand même de plus d’1 million d’euros. Bien sûr elle n’a pas les moyens de la payer. L’hôpital Penn Medicine de Pennsylvanie pensait qu’il y aurait exécution provisoire de la décision du tribunal judiciaire de Paris mais comme cela n’a pas été le cas et que l’assurance maladie a fait appel, ils s’en sont remis à la décision de la cour d’appel. Aujourd’hui ils sont aussi dans l’expectative.
AJ : Quelles sont les suites que vous entendez donner à cette décision ?
Valérie Sellam Benisty : Nous avons envoyé l’arrêt à un confrère avocat à la Cour de cassation pour qu’il examine l’opportunité de former un pourvoi. S’il estime, comme moi, qu’il y a matière, je pense que Laura Nataf va s’acheminer sur ce terrain pour aller au bout de son combat.
Nous allons en outre essayer de dépasser le stade judiciaire et voir si nous pouvons mobiliser les pouvoirs publics car la question dépasse les frontières.
AJ : Depuis les faits qui ont conduit Laura Nataf à saisir la justice, les choses ont-elles évolué en France ?
Valérie Sellam Benisty : L’affaire de Laura Nataf a suscité une vive émotion dans le monde politique et Madame Marisol Touraine, alors ministre de la Santé, a mené une action qui a débouché sur plusieurs textes en faveur des greffes à caractère exceptionnel pouvant être prises en charge à l’étranger avec un avis médical favorable, dont la loi n° 2021-1754 du 23 décembre 2021.
Aujourd’hui si une telle situation se représentait, il faudrait que le patient soit inscrit sur la Liste nationale d’attente de greffe et qu’il demande à l’assurance maladie d’être opéré à l’étranger. Dans ce cas-là, un collège d’experts médicaux se pencherait sur son cas et donnerait un avis. Ensuite, il y aurait un avis de contrôle et, en cas d’avis concordants, soit le patient devrait attendre qu’une situation se débloque en France en cas d’avis négatif, soit il pourrait se faire opérer à l’étranger en cas d’avis favorable. Dans ce dernier cas, sauf cas exceptionnel, les frais seraient éventuellement limités aux sommes qui auraient été accordées en France pour la même opération. Grâce à cette loi et au nouvel article L. 212-1 du Code des relations entre le public et l’Administration, des cas comme ceux de Laura Nataf pourront espérer avoir une issue favorable si toutefois les juges ne se sentent plus liés grâce à ces avancées législatives !
Référence : AJU008g9