Barème Macron : « À tordre le droit, on finit par casser la justice »

Publié le 17/05/2022

La validation, le 11 mai dernier, du barème Macron par la Cour de cassation suscite la colère des défenseurs des salariés, certains dénonçant l’instauration d’un véritable « permis de licencier ». Mais au-delà du droit du travail, c’est le principe de la réparation intégrale du préjudice qui est remis en cause, estime Me Julien Brochot. Explications. 

Conseil de prud'hommes
Bruno Bleu/AdobeStock

Aux termes de deux arrêts du 11 mai 2022, la Chambre sociale de la Cour de cassation a consolidé les barèmes dits « MACRON » après une longue querelle jurisprudentielle. Nul doute que ces décisions ne mettront pas un terme définitif aux débats qui se tenaient et se tiennent encore dans les salles d’audience des conseils de prud’hommes français. C’est si vrai que les commentateurs de la position de la Cour s’échinent déjà à démontrer son bien-fondé ou, à l’inverse, son caractère parfaitement contraire aux normes internationales et à l’égalité des forces en présence. Au-delà de ces discussions, qui opposent souvent employeurs et salariés, ce qui me choque, à titre personnel, c’est la manière avec laquelle le recours forcé à ces barèmes, ces fourchettes, tord le droit applicable ou, pour être plus précis, une construction juridique pluriséculaire.

« Réparer le préjudice, tout le préjudice, mais rien que le préjudice »

Afin d’être parfaitement compris, je souhaitais vous faire part de mon modeste cheminement qui, sans être incontestable, mériterait d’être entendu dès lors qu’il est partagé par de nombreux professionnels. Du temps où je faisais un peu de recherche à la faculté, on m’avait appris qu’en toute matière, le préjudice devait être réparé dans son intégralité. La formule latine « reparatio in integrum » a progressivement amené à l’adage « réparer le préjudice, tout le préjudice, mais rien que le préjudice »[1].

A ce jour, il n’est pas possible d’affirmer que le principe de réparation intégrale du préjudice serait un principe constitutionnel. Il est cependant un principe essentiel qui pourrait être assimilé à un principe général du droit (PGD). Ce grand principe s’illustre régulièrement dans la pratique judiciaire. A titre d’exemple, la réparation du préjudice ne peut conduire à l’enrichissement de celui ou celle qui en est victime. En revanche, la fortune personnelle du débiteur de l’obligation à réparation ou l’intensité de sa faute sont sans effet sur le montant alloué par une juridiction. C’est ainsi que l’auteur d’un accident de la route, quand bien même serait-il dans une situation précaire et n’aurait-il commis qu’une simple erreur d’inattention, pourrait être condamné à payer une importante somme d’argent à la victime si cette dernière était gravement blessée. On voit bien ici la différence avec le droit pénal, matière dans laquelle la personnalité du mis en cause a une influence directe sur la sévérité de la peine.

Le droit du travail, qui n’est ni plus ni moins qu’une branche spéciale du droit des contrats, obéit – le présent de l’indicatif est ici employé à dessein – à cette règle de réparation intégrale. Le grand Henri Leclerc [2] nous rappelle avec malice que, du temps ou le contrat de travail n’existait pas, le seul droit du travailleur lésé était d’obtenir réparation de son préjudice éventuel sur le fondement de l’article 1780 du code civil de 1804. Depuis lors, la loi et la jurisprudence ont fait leur œuvre. La loi en ce qu’elle prévoyait que le salarié pouvait réclamer une indemnité proportionnelle à son préjudice avec un minimum garanti dans certaines hypothèses. La jurisprudence en ce qu’elle proposait des critères objectifs susceptibles de permettre l’évaluation du préjudice : l’ancienneté du salarié dans l’entreprise, son âge, sa situation et ses charges personnelles, ses perspectives de retour à l’emploi, les conditions du licenciement ou encore les conséquences morales de celui-ci. En somme, il existait une belle et juste application, en matière de droit du travail, du principe de réparation intégrale.

Une réparation fondée sur la seule ancienneté

Pourtant, est née progressivement l’idée de mettre en place des barèmes d’indemnisation et ce pour des raisons assez peu acceptables, notamment pour permettre à l’employeur d’anticiper les montants des indemnités potentielles à régler. Ainsi naquit le barème des indemnités en matière de conciliation préalable[3]. Puis vint aux « débats »[4] la question des barèmes dans le cadre d’un débat judiciaire devant le bureau de jugement. Ces derniers sont entrés en vigueur le 24 septembre 2017 enterrant, par la même, le principe de réparation intégrale du préjudice. En effet, les fourchettes proposées par la législation nouvelle fixent, de façon très approximative, la réparation due au salarié injustement licencié en fonction de sa seule ancienneté. Oubliée donc la nécessité absolue de coller au plus près à la situation du salarié, à sa souffrance, aux répercussions financières de la rupture du contrat.

Pour s’assurer du caractère parfaitement inepte de la situation juridique créée, prenons l’exemple simple d’un salarié ayant travaillé trois ans dans une grande entreprise puis licencié sans motif réel et sérieux, cette rupture ayant abouti à 18 mois de chômage et une longue dépression. En vertu de l’ancienne loi, ce salarié bénéficiait d’une indemnité d’au moins 6 mois de salaire et davantage s’il arrivait à faire la démonstration d’un préjudice important, ici la dépression et les conséquences financières d’une longue période sans emploi. A toutes fins, il est précisé que les conseils de prud’hommes se fondaient sur la preuve d’un préjudice bien réel : production d’attestations, de documents médicaux, de justificatifs de vaines recherches d’emploi etc… Par application du nouveau texte, ce salarié ne bénéficiera que de 3 à 4 mois de salaire, soit autant qu’un individu également licencié mais qui aurait retrouvé un travail immédiatement.

Les petits salaires souffriraient moins que les gros ?

L’ostensible injustice qui ressort de cet exemple est encore exacerbée lorsque l’on daigne un tant soit peu creuser la question avec rigueur.

Le lecteur attentif aura noté que, concrètement, le préjudice du salarié se subdivise, essentiellement, en deux grandes familles :

*le préjudice financier du fait de la perte brutale et injustifiée d’un emploi,

*le préjudice moral conséquence des souffrance psychologiques liées aux circonstances de la rupture et à l’angoisse générée par la perte de l’emploi.

Or, le barème n’a recours, pour évaluer le préjudice, qu’à la seule référence du salaire !

Ainsi, l’individu ayant un très faible salaire verra son préjudice moral réparé, dans le cadre des barèmes, à proportion de sa rémunération alors que sa souffrance psychologique sera identique à celle du cadre licencié dans les mêmes conditions et qui recevra une somme plus importante. Implicitement, les nouvelles règles gravent dans nos codes que la douleur ressentie par les petits salaires serait moindre que celle des salaires plus importants.

Voilà les conséquences du coupable mépris de nos fondements juridiques les plus essentiels : à tordre le droit, on finit par casser la justice.

 

 

[1] Adage attribué au Président DURRY

[2] « La parole et l’action » Henri LECLERC, FAYARD

[3] Décret n°2013-721 du 2 août 2013 modifié par le décret n°2016-1582 du 23 novembre 2016

[4] On rappellera que les barèmes dits « MACRON » ont été adoptés par ordonnance et donc sans débat parlementaire

 

À lire aussi sur le même sujet :

*vu du côté des salariés :  « La Cour de cassation valide le permis de licencier » et « Les juges continuent de résister » par Me Michèle Bauer,

*vu du côté des employeurs :  Julie Baudet : « Grâce au barème, salariés et employeurs arrivent à se mettre d’accord » !

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