Congés payés et arrêts maladie : la fin de l’insécurité pour les employeurs, vraiment ?

Publié le 26/03/2024

Le 9 avril prochain, l’amendement au projet de loi DDADUE (portant diverses dispositions d’adaptation au droit de l’Union européenne) qui met en conformité le droit des congés payés français avec une directive de 2003 devrait être adopté. Les entreprises estiment avoir échappé au pire car ce texte limite la possibilité pour les salariés de récupérer leurs congés. Attention à ne pas se réjouir trop vite, met en garde Me Michèle Bauer qui pointe les nombreuses faiblesses du texte. 

 

Congés payés et arrêts maladie : la fin de l’insécurité pour les employeurs, vraiment ?
Photo : ©AdobeStock/ Olivier Le Moal

 

« Congés payés en arrêts maladie : le patronat pousse un gros ouf de soulagement » titre   l’Opinion le 17 mars.

Motif ? Le gouvernement a déposé un amendement dans le cadre du projet de loi portant diverses dispositions d’adaptation au droit de l’Union européenne (DDADUE) afin de mettre en conformité le droit des congés payés français avec une directive datant de 2003, dans des conditions acceptables pour les entreprises.

Depuis 20 ans en effet, la France est « hors la loi européenne ». Elle se décide enfin à transposer cette directive qui précise que tout salarié a droit à des congés payés, qu’il ait travaillé ou pas, l’acquisition des congés payés, pour le droit européen, n’étant pas conditionnée à un travail effectif.

La Cour de cassation a un peu forcé la main du législateur en rendant plusieurs arrêts, le 13 septembre 2023, par lesquels elle a considéré que les salariés arrêtés pour maladie acquièrent des congés payés durant leurs arrêts.

Le Code du travail ne permettait pas cette acquisition.

La Cour de cassation a appliqué le droit européen.

Sa décision a suscité des craintes de la part des syndicats d’employeurs.

En effet, au terme de ces décisions, les salariés pourront théoriquement réclamer leurs arriérés de congés payés sans limitation de durée et sans aucune prescription, dès lors qu’ils n’ont pas été informés de la possibilité d’acquérir ces congés payés.

L’insécurité juridique pour les entreprises est à son comble car un salarié dont le contrat a été rompu par exemple en 2014 peut aujourd’hui saisir le conseil de prud’hommes pour récupérer des congés acquis en 2010, et ceci sans aucune limite sur le montant de ces derniers.

Des pétitions ont été diffusées, des chiffres au doigt mouillé ont été avancés par les employeurs pour mettre la pression sur le gouvernement afin de limiter la portée des arrêts de la Cour de cassation.

C’est dans ce contexte que l’amendement a été présenté à l’Assemblée nationale.

Pourquoi les employeurs sont-ils soulagés alors que cet amendement a pour but affiché de transposer le droit européen et par conséquent d’introduire des droits plus favorables pour les salariés ?

Parce que cet amendement réduit considérablement les droits des salariés arrêtés pour maladie.

Certes les dispositions qui permettent aux salariés arrêtés pour maladie d’acquérir des congés payés sont rétroactives, mais la rétroactivité est encadrée puisque l’amendement limite le nombre de congés payés qui peuvent être acquis sur une période de référence.

L’amendement limite la durée de report des congés payés des salariés en poste et leur accès à la justice en introduisant un délai de forclusion de deux ans qui débute à compter de la publication de la loi.

Par ailleurs, les salariés n’acquièrent pas le même nombre de congés payés par an selon la nature de leur arrêt maladie. S’ils sont arrêtés à la suite d’un accident du travail ou maladie professionnelle, ils ont droit à 5 semaines de congés payés.

S’ils sont arrêtés pour une maladie simple, ils n’acquièrent que 4 semaines de congés payés.

Cette réduction des droits de l’immense majorité des salariés en arrêt maladie simple explique le soupir de soulagement des employeurs qui ont exercé un lobbying important auprès du gouvernement, estimant que cette mise en conformité leur coûterait des milliards.

Sans aucune étude d’impact, l’amendement déposé presqu’en catimini a été adopté en première lecture par l’Assemblée Nationale, le 18 mars 2024.

Une commission mixte paritaire est prévue le 9 avril 2024 et devrait adopter définitivement le texte, qui à mon sens ne mettra pas forcément fin aux sueurs froides des employeurs, surtout si, comme certains l’espèrent, le Conseil constitutionnel s’en mêle.

Le texte a été rédigé à la va-vite pour satisfaire les entreprises en panique, il comporte de nombreuses interrogations.

Pourquoi les employeurs ne doivent-ils pas se réjouir trop vite ?

À y regarder de plus près, se réjouir de cet amendement semble être prématuré.

En effet, le texte traite moins bien les salariés en arrêt maladie simple que les salariés en arrêt maladie « professionnel ».

Inégalité de traitement entre salariés selon la nature de l’arrêt de travail

Le Conseil d’Etat qui a examiné l’amendement sur demande du gouvernement n’a rien trouvé à y redire pour les raisons suivantes :

« 14.    Par sa décision déjà mentionnée n° 2023-1079 QPC du 8 février 2024, le Conseil constitutionnel a jugé que les dispositions de l’article L. 3141-5 du Code du travail, en ce que les seules périodes de congés qu’elles assimilent à des périodes de travail effectif sont les absences pour cause d’accident du travail ou de maladie professionnelle, ne méconnaissent pas le principe d’égalité par la différence de traitement qu’elles introduisent, pour l’acquisition des droits à congé annuel payé, selon le motif de suspension du contrat de travail.
15.    Le Conseil d’État considère qu’il se déduit de cette décision que la différence de traitement, plus circonscrite, qui résulte du projet d’amendement envisagé par le gouvernement ne méconnaît pas le principe constitutionnel d’égalité, ni pour celle qu’il introduit avec les salariés en activité professionnelle, ni pour celle qu’il introduit avec les salariés absents en raison d’un accident du travail ou d’une maladie professionnelle. ».

Le Conseil d’État se réfère à la décision du Conseil constitutionnel qui a examiné les dispositions anciennes du Code du travail avant la transposition de la directive et qui avait également précisé que les dispositions du Code du travail qui prévoient que les congés payés conditionnés par l’exercice d’un travail effectif sont constitutionnelles. Cette différence de traitement était d’un tout autre ordre, les salariés en arrêts de travail suite à un arrêt maladie consécutif à un accident du travail ou une maladie professionnelle pouvaient acquérir des congés payés durant l’arrêt maladie, dans la limite d’un an d’arrêt de travail alors que les salariés en arrêt maladie simple ne pouvaient acquérir aucuns congés payés durant ces arrêts. Avec la transposition de la directive européenne, tous les salariés en arrêt maladie professionnel ou pas acquièrent des congés payés et devraient pouvoir acquérir 5 semaines de congés payés quelle que soit la nature de l’arrêt de travail.

Inégalité de traitement entre salarié et ancien salarié

L’amendement opère une autre inégalité de traitement entre les salariés encore en poste et ceux dont le contrat de travail a été rompu :

*Les salariés encore en poste pourront reporter leurs congés payés dans la limite de 15 mois s’ils sont dans l’impossibilité de les prendre pendant la période d’arrêt de travail ; passé ce délai, ils seront perdus, cette durée est conforme à la réponse de la CJUE à la question préjudicielle qui lui a été posée, décision du 9 novembre 2023.

*Les salariés dont le contrat est rompu pourront réclamer une indemnité de congés dans la limite de la prescription triennale en matière de paiement de salaires. Aussi, ils pourront réclamer durant 3 ans l’indemnité de congés payés, alors que les salariés en poste auront perdu leurs congés payés s’ils ne les ont reportés dans le délai de 15 mois.

Inégalité de délai d’action en justice

Par ailleurs, le droit d’agir en justice sera considérablement réduit et sera différent selon que les salariés sont en poste ou non :

*pour les salariés encore en poste qui voudront réclamer leurs congés payés acquis pendant leurs arrêts de travail sur la période 2009-2024* et les mettre à leurs compteurs, la possibilité d’agir en justice sera limitée dans le temps. Ils devront saisir le juge dans un délai de deux ans suivant la publication de la loi. C’est un délai de forclusion, délai préfix, qui se distingue du délai de prescription. Le délai de forclusion se définit comme une sanction civile qui, en raison de l’échéance d’un délai qui est légalement imparti pour faire valoir ses droits en justice, éteint l’action dont disposait la personne pour les faire reconnaître. « Arrivée à terme, celle-ci s’éteint par l’effet d’une déchéance opérant aveuglément, à la façon d’une guillotine, écrivait Josserand » (Dalloz, répertoire Droit civil, extrait).

Particularité du texte, le délai de forclusion débute à la date de la publication de la loi, j’ai eu beau chercher, je n’ai pas trouvé de loi qui prévoit une forclusion dont le point de départ débute à sa publication. Généralement le point de départ d’un délai de forclusion ou de prescription débute lors d’un évènement précis attaché au cas d’espèce : la connaissance de ses droits par le salarié par exemple ou en droit des procédures collectives pour la déclaration de créance, délai de forclusion de deux ans à la date du jugement relatif à la procédure collective. Ce fait générateur de la forclusion a pour seul but de tarir les contentieux éventuels des salariés encore en poste qui ont acquis des congés payés de 2009 à 2024. Cela signifie que les salariés encore en poste qui vont acquérir des congés  payés durant un arrêt maladie en 2025 par exemple seront soumis à une prescription de 2 ans et pourront réclamer que ces congés payés soient mis à leur compteur dans les deux ans à compter du jour ils ont connu ou auraient dû connaître les faits lui permettant d’exercer son droit (article L 1471-1 du Code du travail, le Conseil d’État estimant que l’acquisition des congés payés fait partie de l’exécution du contrat de travail, ce qui peut être contestable). Encore une inégalité de traitement entre les salariés qui ont acquis des congés payés avant la promulgation de la loi et ceux qui les ont acquis après. Surtout que l’on sait combien il est difficile d’agir en justice lorsque l’on est encore en poste.

Sur ce délai de forclusion, le Conseil d’Etat a donné son avis également :

« 54.Le Conseil d’État observe en effet que la Cour de justice de l’Union européenne admet, compte tenu du motif impérieux d’intérêt général de maintien des droits acquis, qu’un État membre puisse, dans le cadre de l’adaptation, y compris pour le passé, de sa législation nationale aux règles issues du droit de l’Union européenne, prévoir des dispositions transitoires qui limitent, par un délai de prescription ou de forclusion, la possibilité d’intenter une action sur ce fondement, sous réserve que ce délai ne soit pas moins favorable que celui concernant des recours similaires de nature interne en droit du travail et que la fixation du point de départ à partir duquel ce délai commence à courir ne rende pas impossible ou excessivement difficile l’exercice des droits ainsi conférés par le droit de l’Union européenne ».

À la lecture de ce paragraphe on pense légitimement que le délai de forclusion de deux ans avec un point de départ à la publication de la loi rend impossible ou excessivement difficile l’exercice des droits ainsi conférés par le droit de l’Union européenne.

Ce n’est pas le cas pour le Conseil d’État qui a fait du « en même temps » :

«  55.    Par suite, il estime possible de prévoir que l’action du salarié qui est encore dans l’entreprise et qui demande le droit de prendre des congés au titre des dispositions introduites dans le droit national par la loi de transposition, soit soumise à un délai de forclusion de deux années à compter de l’entrée en vigueur des nouvelles dispositions législatives, applicable même en l’absence de démarche d’information de l’employeur. Un tel délai de deux ans paraît suffisant au regard des exigences découlant de l’article 16 de la Déclaration de 1789. »

 Attendons de lire la décision du Conseil Constitutionnel sur ce point si ce dernier est saisi.

*Les salariés qui ont acquis des congés payés et dont le contrat est rompu sont soumis à la prescription triennale inscrite à l’article à l’article L3245-1 du Code du travail : « L’action en paiement ou en répétition du salaire se prescrit par trois ans à compter du jour où celui qui l’exerce a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l’exercer. La demande peut porter sur les sommes dues au titre des trois dernières années à compter de ce jour ou, lorsque le contrat de travail est rompu, sur les sommes dues au titre des trois années précédant la rupture du contrat. » . S’ils ont été informés de leur droit, ils pourront agir dans les trois ans suivant la rupture de leurs contrats de travail.

Une bizarrerie

Il existe cependant une petite bizarrerie pour les salariés dont le contrat a été rompu dans la période 2009-2024 et qui n’ont pas été avertis de leur droit d’acquérir les congés payés durant leurs arrêts maladie : ils pourront réclamer des congés payés acquis même 10 ans après la rupture de leur contrat de travail puisque la prescription n’aura, pour la plupart, jamais débutée, ces salariés n’ayant jamais eu connaissance de leurs droits. En outre, comme l’avait relevé le doyen HUGLO, leur droit ne sera pas limité à trois ans de congés payés, aucune prescription ne s’appliquant dans ces cas-là. Le point départ du délai de prescription n’a pas été modifié par l’amendement.

Avouez que c’est ubuesque : les salariés dont le contrat de travail a été rompu seront mieux traités que ceux qui sont toujours en poste !

Pour les employeurs, c’est donc loin d’être la fin de l’insécurité juridique, dès lors que les salariés dont le contrat a été rompu et qui n’ont pas été informés de leurs droits pourront toujours agir.

Certes, l’amendement insère une obligation d’information pour les employeurs afin de faire débuter le délai de prescription mais aussi le délai de report des congés payés.

En effet, l’employeur doit informer le salarié dans les dix jours qui suivent la reprise du travail après un arrêt maladie, du nombre de jours acquis et du délai dont il dispose pour les poser.

Que se passe-t-il si cette information n’a pas été délivrée ?

Pour les salariés en poste, le délai de report débute à la date de l’information de l’employeur, pour les salariés arrêtés depuis moins d’un an.

S’il n’informe pas les salariés, le délai ne débutera pas et il ne pourra pas perdre ses congés payés.

Pour les salariés dont le contrat a été rompu, cette information serait le point de départ de la prescription de 3 ans, encore faut-il que les employeurs soient informés de cette nouvelle obligation.

S’ils ne donnent pas l’information, le délai de prescription ne débuterait jamais et le salarié non informé pourrait solliciter tous ces congés payés acquis durant l’arrêt maladie sans que le montant soit limité à 3 ans de congés payés.

Des mesures transitoires seront prévues dans le texte final et ce n’est pas le texte définitif qui pourrait être modifié par la Commission Mixte Paritaire.

Agir en justice avant l’adoption de la loi ?

Si un conseil est à donner aux salariés qui ont acquis des congés payés durant leurs arrêts maladie, c’est d’introduire des actions contre leurs employeurs avant le vote de la loi qui aura lieu très certainement au mois d’avril, peut-être avec certaines modifications.

En principe en effet, « La loi dispose pour l’avenir, elle n’a point d’effet rétroactif ». Ce qui signifie que s’ils introduisent une action avant la promulgation de la loi, ils ne seront pas soumis à cette dernière mais à la loi ancienne telle qu’interprétée par la jurisprudence de la Cour de cassation.

D’ailleurs, l’amendement contient des dispositions rétroactives qui s’appliquent  à partir de la date de la promulgation de la loi.

Pour les salariés, il faut donc saisir et vite.

*La Charte des droits fondamentaux est devenue contraignante lors de l’entrée en vigueur du  traité de Lisbonne le 1er décembre 2009.

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