Covid-19 : « Partager les conséquences entre l’entreprise et ses salariés »
Signées par ordonnance le 25 et 27 mars plusieurs nouvelles lois modifient le Code du travail pour faire face à la crise sanitaire en France. L’une d’elles porte sur des mesures d’urgence en matière de congés payés, de durée du travail et de jour de repos. Flavie Hourtolou, avocate au barreau de Versailles et spécialiste en droit du travail, estime que ces positions permettront « de faciliter la reprise à venir ».
Les Petites Affiches : Les nouvelles dispositions prises par ordonnances pour faire face à la crise du Covid-19 bouleversent-elles le droit du travail ?
Flavie Hourtolou : Il s’agit plus d’un aménagement temporaire pour faire face à des circonstances exceptionnelles que d’un bouleversement structurel du droit du travail. Les règles en matière de droit du travail connaissaient déjà des exceptions en cas d’urgence ou de force majeure. Ces exceptions sont, dans l’épisode actuel d’urgence sanitaire, organisées et structurées, c’est ce qui est réellement nouveau : réglementer l’exception. Cela est lié au caractère généralisé (au niveau national et tous secteurs confondus) de cet événement exceptionnel là où l’on avait plutôt des phénomènes limités à certaines régions et/ou secteurs d’activité.
LPA : L’un des articles prévoit notamment l’assouplissement des règles en vigueur qui permettent à un employeur d’imposé des jours de RTT ou de congés payés. Quel en est le détail ? Est-ce justifié ?
FH : Oui, l’employeur pourra imposer la prise de congés payés ou de jours de repos liés à la réduction du temps de travail (RTT) ou à l’utilisation des droits sur des compte épargne temps (CET) mais à certaines conditions et avec des limites.
D’un point de vue pratique, la situation actuelle n’est pas liée à des choix (mauvais ou discutables) des entreprises comme cela pourrait être le cas en cas de difficultés économiques par exemple mais à un phénomène soudain, imprévisible et extérieur. Le rythme des contraintes et obligations est donné par la puissance publique ; les entreprises ne peuvent que s’adapter à ce contexte étranger à leurs orientations stratégiques internes. Elles subissent. Les salariés également. Il ne me semble pas illogique de partager les conséquences entre l’entreprise et ses salariés qui participent en acceptant que l’on utilise certains de leurs droits à absence pendant cette période de baisse d’activité. Cela permettra également de faciliter la reprise à venir.
L’année 2020 risque d’être marquée par une période de sous-activité globale de quelques mois avant une suractivité liée à une surconsommation lorsque les biens et les personnes pourront à nouveau circuler librement. On pose des congés maintenant et il y aura peut-être des heures supplémentaires dans quelques mois. Les besoins restent et devront être satisfaits sur une période courte lors de la reprise. Je pense que l’on aurait pu aller plus loin.
Le dispositif limite à 6 jours de congés payés et 10 jours de repos. Pour les congés payés, cette possibilité est soumise à la conclusion d’un accord collectif qui risque d’être compliqué à obtenir compte tenu des difficultés à réunir les délégués syndicaux ou à organiser un référendum en période de limitation des contacts et donc des réunions.
LPA : Une des mesures qui a fait beaucoup réagir également c’est l’allongement légale du temps de travail hebdomadaire à 60 heures. Tous les salariés encore au travail sont-ils concernés ?
FH : Les dérogations apportées à la réglementation du temps de travail ne sont pas généralisées ni applicables en l’état. Elles concerneront les entreprises « relevant de secteurs d’activités particulièrement nécessaires à la sécurité de la Nation et à la continuité de la vie économique et sociale ». Ces secteurs seront déterminés par décrets à venir. Ces décrets devront également fixer les types de dérogations possibles par secteur d’activité ainsi que la durée maximale ou minimale applicable. Il ne s’agit donc clairement pas d’une généralisation d’un temps de travail à 60 heures par semaine.
LPA : Sont concernées par ces mesures, les entreprises « relevant de secteurs d’activités particulièrement nécessaires à la sécurité de la Nation et à la continuité de la vie économique et sociale ». Quels sont ces secteurs ?
FH : Les secteurs d’activité ne sont pas encore connus mais il s’agira certainement des commerces alimentaires, domaine médical, transports, services funéraires… Il est en effet probable que les activités définies en annexe de l’arrêté du 15 mars 2020 soient concernées.
LPA : Pour les salariés de ces mêmes entreprises dites essentielles, le travail dominical est facilité. Dans quelle mesure ?
FH : Dans ces secteurs, sous réserve de validation par décret, il sera possible de déroger au repos dominical et de faire travailler les salariés le dimanche, sous réserve d’accorder un autre jour de repos hebdomadaire. Il est déjà prévu que la dérogation concernera les entreprises sous-traitantes qui assurent à celles faisant l’objet de la dérogation directe des prestations nécessaires à l’accomplissement de leur activité principale et qu’elle sera applicable dans les départements de la Moselle, du Bas-Rhin et du Haut-Rhin.
LPA : Un salarié soumis à ces nouvelles règles est-il en droit de refuser de les appliquer ? Risque-t-il un licenciement dans ce cas ?
FH : Un salarié qui refuse d’effectuer des heures supplémentaires ou de travailler le dimanche alors qu’il relève d’un secteur d’activité autorisé par un futur décret pourrait effectivement être sanctionné car il serait alors en position d’insubordination. Les entreprises peuvent aussi décider de faire appel en priorité aux volontaires et mettre en place des mesures incitatives plutôt que de sanctionner, pour autant qu’elles aient des effectifs disponibles en nombre suffisant pour assurer la continuité de l’activité.
LPA : Jusqu’à quand ces dispositions seront-elles appliquées ? La date du 31 décembre 2020 est mentionnée, ces mesures pourront donc s’appliquer au-delà de la crise liée au Covid-19 ?
FH : La date du 31 décembre 2020 peut effectivement sembler lointaine pour faire face à la situation exceptionnelle mais il est tout à fait probable qu’elle permette ensuite de faire face à la reprise d’activité après cet épisode d’urgence sanitaire comme évoqué précédemment.