Des affinités pour réduire le chômage
Avec le lancement fin mai d’une initiative dans le Val-de-Marne et en Seine-Saint-Denis, Monkey Tie espère bien appliquer ses recettes pour aider demandeurs d’emploi et entreprises à trouver chaussure à leur pied. La jeune start-up, spécialisée dans le recrutement, s’est associée avec le Medef et le Cnam pour aider des groupes de chômeurs longue durée tout en contribuant à sa mission de moderniser les processus de recrutement.
Du haut de ses 31 ans, Jérémi Lamri est le modèle-type de ces nouveaux entrepreneurs qui font fi des conventions. Après avoir décroché une licence en physique à Oxford, un master en développement durable à HEC et un doctorat de sciences cognitives à Paris-Descartes, il se fait recruter comme analyste financier par un groupe au Luxembourg. Mais déchante rapidement à ce poste : « C’était un métier froid où on ne pensait que par les chiffres », et décide alors de se lancer dans une aventure qui lui correspond mieux. En cherchant une entreprise adaptée à sa personnalité et ses envies, il se rend compte qu’il n’existe aucun site de recrutement proposant d’approches alternatives. C’est à partir de ce constat qu’il va créer sa première entreprise, Monkey Tie : « Ce n’est plus vrai aujourd’hui, mais à l’époque nous étions les premiers à sortir du rang du recrutement classique », se souvient-il. Grâce à l’expérience que sa start-up a engrangée dans le domaine, il inaugurera à la fin du mois de mai un dispositif pilote pour lutter contre le chômage dans les départements du Val-de-Marne et de la Seine-Saint-Denis. L’objectif est de faire se rencontrer demandeurs d’emplois longue durée et entreprises qui cherchent à recruter la personne au bon profil, le tout avec le soutien du Medef et du Cnam. Une expérience qui, si elle est validée par un succès, pourrait être déployée sur l’ensemble du territoire français…
LPA – Quel a été le point de départ de votre réflexion lorsque vous avez créé Monkey Tie ?
Jérémie Lamri – On s’est rendu compte qu’aujourd’hui, le CV ne suffit plus pour embaucher. Lorsqu’on recrute quelqu’un, il faut bien sûr qu’il sache faire le boulot, mais au-delà de ça il faut qu’il se plaise et soit adapté au projet de l’entreprise, ses valeurs et sa culture. C’est le prérequis pour que la personne se donne à fond. Le but était donc d’arriver à prendre en compte, en plus des compétences, la personnalité et les moteurs de motivation d’un candidat pour une entreprise. On a lancé Monkey Tie en septembre 2013, ça a été long et difficile et on a dû faire évoluer le modèle plusieurs fois, mais nous sommes arrivés à un résultat dont nous sommes fiers. En développant la plate-forme, on s’est rendu compte qu’on avait développé une vraie technologie qui pouvait servir ailleurs. Quelque chose de très solide, composé de différents algorithmes qui permettent de faire la correspondance entre les candidats, les entreprises et leurs offres d’emplois. Nous avons donc commencé à les vendre aux entreprises pour qu’elles puissent les intégrer dans leurs propres processus de recrutement via leurs sites ou leur intranet. Grâce à cette stratégie, nous avons commencé à faire des bénéfices et devenir rentables. C’est ce qui nous permet aujourd’hui de nous concentrer sur de nouveaux dispositifs qui peuvent profiter au grand public.
LPA – Pourquoi avoir choisi la Seine-Saint-Denis et le Val-de-Marne comme zone de test ?
J.L. – Depuis le début, nous voulions apporter de la valeur sociale. Mais être un acteur social est très difficile de nos jours, on a donc décidé d’être d’abord une entreprise comme les autres, tout en réalisant des actions sociales sans forcément le dire ou le crier sur tous les toits. Avec la technologie développée sur Monkey Tie, on a voulu aider les personnes qui ont un CV très pauvre à quand même trouver du travail. C’est le cas en Seine-Saint-Denis et dans le Val-de-Marne, où il y a beaucoup de personnes non diplômées au chômage, et à côté de ça on trouve des entreprises qui cherchent à embaucher sans trouver les bonnes personnes. Lors d’une rencontre avec le Medef, on a réalisé qu’ils avaient la confiance des entreprises et seraient un partenaire de choix. De même avec les missions locales qui nous ont dit : « nous, les gens nous font confiance ». Au final ce n’est qu’une histoire de confiance, donc on se positionne au milieu pour faire passer un bilan de personnalité aux candidats et montrer aux entreprises que telle personne sera adaptée au poste à pourvoir. À côté de ça, nous avons le Cnam dans la boucle qui forme les candidats aux métiers à pourvoir. Le tout financé par la région.
LPA – Quels sont vos objectifs ?
J.L. – Comme il s’agit d’une expérimentation, le périmètre est pour l’instant assez restreint. L’objectif est d’arriver à placer 100 personnes par département. Cela fait environ un an que nous discutons et j’ai maintenant hâte que l’expérience commence. Il s’agit d’un dispositif pilote bien sûr, mais s’il fonctionne nous allons le répliquer dans tous les départements de France avec cette fois-ci un objectif de 1 000 personnes à placer par département.
LPA – Qu’est-ce que Monkey Tie apporte de plus par rapport à des outils de recrutement traditionnels ?
J.L. – Nous sommes un peu une sorte de Meetic du recrutement, lors de l’inscription, les candidats vont passer un bilan de personnalité qui leur permet à la fois de mieux se connaître et de trouver des offres d’emplois qui correspondent à leur personnalité. L’objectif est d’élargir le champ au-delà des compétences d’une personne et de comprendre qui elle est. D’après notre dernier sondage auprès des entreprises, dans 3 cas sur 4 les recruteurs considèrent que les personnes appelées en entretien sont plus pertinentes quand elles passent par notre site. Nous leur permettons d’avoir plus d’infos sur les candidats et d’adopter une démarche plus qualitative. Dans 80 % des cas, cela permet aussi de faire passer des entretiens qui n’auraient pas eu lieu si les recruteurs n’avaient pas eu accès au test de personnalité. Cela permet donc de diversifier les recrutements.
LPA – Le numérique est-il devenu indispensable dans le recrutement ?
J.L. – Le numérique est à la fois le problème et la solution. C’est un problème parce qu’il y a une vraie situation de fracture numérique où des gens ne savent pas forcément utiliser d’ordinateur, et surtout où certaines personnes n’ont pas encore d’ordinateur alors que c’est ceux qui en auraient le plus besoin. Dans ces cas-là, le numérique est un facteur d’accélération des écarts. En même temps, une fois que ces personnes sont équipées, cela permet de les toucher et les accompagner comme jamais avant ! Les coûts de transmission de la connaissance sont plus réduits que jamais et on peut se concentrer sur les efforts d’accompagnement. Bref, le numérique permet d’aller très loin dans les démarches d’aide à l’insertion.
LPA – Est-ce que Pôle Emploi est devenu dépassé par le marché du travail actuel ?
J.L. – Je ne suis pas d’accord avec cette affirmation. Je suis l’un de leurs premiers défenseurs, on oublie trop souvent que ce n’est pas Pôle Emploi qui est responsable des destructions d’emploi. Tout comme ils ne sont pas responsables du fait que les entreprises ne diffusent pas leurs offres sur leur plate-forme et ne rendent pas le marché transparent. Il ne faut pas oublier que la première mission de Pôle Emploi, c’est de faire passer les gens en situation d’employabilité, c’est-à-dire de leur permettre d’avoir l’électricité, l’eau, un toit, et l’accès à certaines ressources. Ce n’est pas de vous trouver du boulot, aujourd’hui il y a Monster et les autres pour ça. Après, la vraie évolution dans le secteur du recrutement, c’est qu’aujourd’hui un seul acteur ne peut pas résoudre tous les problèmes, il faut que tous les acteurs se rassemblent. C’est ce qu’essaye de faire Pôle Emploi avec l’Emploi Store qui est un début de solution, et en connectant plein de sites de recrutements (Monkey Tie échange par exemple ses offres avec Pôle Emploi). À un certain point, il faut aussi laisser les start-ups prendre le relais pour trouver des solutions et répondre aux besoins des gens.
LPA – Comment se place la France au niveau européen en matière d’écosystème de start-up de recrutement ?
J.L. – C’est délicat de comparer, car si on prend l’Allemagne par exemple il y a très peu de chômage, mais il y a des gens qui gagnent un demi-Smic et sont en situation de précarité. En Angleterre on est quasiment en plein emploi. Mais on constate en effet une véritable effervescence chez nous, il y a entre 300 et 400 start-ups en France qui travaillent sur les ressources humaines ou l’emploi. On estime que c’est environ deux fois plus qu’il y a cinq ans. C’est un secteur qui monte très fort et d’autant plus qu’en France, nous avons deux gros atouts : une vraie capacité d’innovation et un terreau social historiquement très fort. L’innovation sociale, celle qui arrive à prendre l’humain en compte, est notre meilleur atout pour trouver des solutions pour l’emploi.