Deuil au travail : un livre blanc et une proposition de loi

Publié le 30/03/2022

Depuis 1995, l’association Empreintes propose un accompagnement de deuil pour tous et toutes partout en France à travers cinq missions : aider, former, informer, rechercher, mobiliser. Elle est aussi à l’origine des Assises du Deuil dont la seconde édition s’est déroulée en février 2022 ; celle-ci a été suivie par la présentation à l’Assemblée nationale du Livre Blanc 2 sur le deuil au travail. Tout cela s’est aussi concrétisé avec une proposition de loi relative au deuil et à l’accompagnement des personnes endeuillées avec pour objectif d’« harmoniser les congés légaux pour sortir de la hiérarchie des douleurs » et « instaurer un référent deuil pour assurer un accompagnement adapté ».

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L’association Empreintes a été créée sous le nom « Vivre son deuil » par un groupe de travail mené par le psychiatre Michel Hanus en 1995. Le fondateur, auteur notamment du Grand livre de la mort à l’usage des vivants (Paris, 2007) affirmait qu’il était essentiel de re-socialiser le deuil. L’association répond ainsi depuis plus de 25 ans aux besoins des personnes en deuil, des professionnels et des organismes avec entre autres une ligne d’écoute nationale, des entretiens individuels et familiaux, des groupes d’entraide, des formations certifiées Qualiopi ou encore des actions de plaidoyer.

En avril 2019, Empreintes organisait les premières Assises du Deuil au Palais du Luxembourg suivies de la remise au gouvernement et au Parlement d’un premier livre blanc « Face au deuil », soutenu par le secrétaire d’État en charge de l’Enfance et des Familles, Adrien Taquet. Cette année, à la suite des secondes Assises, le Livre Blanc 2 « Le deuil au travail » a été conclu par une proposition de loi déposée en février dernier.

Des chiffres alarmants

Fruit d’un travail rigoureux, le livre blanc 2 « Le deuil au travail » propose un aperçu en chiffres de la situation en France. On y apprend par exemple qu’une personne sur quatre vit un deuil et une personne sur deux a été confrontée à un deuil dans le cadre professionnel. Parmi toutes ces personnes, 11 % ne reprendront pas le travail, tandis que 12 % déclarent avoir contracté une maladie ou qu’une maladie antérieure s’est aggravée, à la suite du décès d’un proche.

Dans l’étude CREDOC-EMPREINTES-CSNAF 2021 “Les Français face au deuil”, d’autres données révèlent des failles dans l’accompagnement du deuil : 80 % des salariés estiment en effet que le soutien des ressources humaines est inadapté, inutile ou inexistant et seuls 35 % des salariés affirment que la reprise du travail les a aidés dans la période de deuil (contre 38 % en 2019).

Le deuil est un motif d’absence au travail : 67 % des salariés en deuil se sont absentés contre 43 % en 2019. Les arrêts de travail durent en moyenne 34 jours par an, représentant 700 millions d’euros d’indemnités journalières chaque année.

Malgré le fait que le deuil concerne tout le monde, seulement la moitié des employeurs ont prévu un dispositif en cas de décès d’un collaborateur ou d’une collaboratrice. Plus de la moitié (58 %) des employeurs n’a rien prévu pour le décès d’une personne proche d’un collaborateur… Du côté du management, un manager sur trois a pourtant été confronté à un collaborateur en deuil dans son équipe.

C’est un fait, les personnes en deuil peuvent perdre leur travail et se sentir isolées. C’est le début potentiel d’une précarité parce qu’au sein de l’entreprise rien n’est mis en place pour favoriser leur retour et leur maintien à l’emploi.

Le référent deuil ®

Face à ces constats, l’association relève des manques de repères, d’outils, d’espaces de paroles pour les collègues ou la hiérarchie. « C’est vraiment assez curieux, dit Marie Tournigand, déléguée générale de l’association Empreintes. Neuf personnes sur dix disent vivre ou avoir vécu un deuil. Cela signifie que nous sommes tous concernés. Pour autant, le corpus juridique est très épars et il n’y a pas de reconnaissances des besoins spécifiques des personnes en deuil ». C’est pourquoi, la présence d’un référent deuil ® dans chaque entreprise paraît fondamentale. Le petit ® a son importance, comme l’explique la déléguée générale : « Ça correspond à une formation en cours de dépôt au Répertoire national des certifications professionnelles pour que le terme soit labellisé et ainsi empêcher certaines personnes de se prétendre référent deuil parce qu’il ou elle en a vécu un »! L’idée est d’avoir un code déontologique avec des connaissances pratiques et théoriques communes pour tous les organismes de formation.

Dans le livre blanc 2, le ou la référente deuil ® est présentée comme quelqu’un qui « vient en appui à la direction, aux managers de proximité, au comité deuil dont il peut être membre. Il ou elle a des connaissances sur le deuil, son processus, ses conséquences. Il ou elle sait écouter, informer et orienter les personnes en deuil ».

Le comité deuil est une autre proposition. Son rôle serait « d’anticiper l’accompagnement que peut trouver un salarié en deuil au sein de sa structure et ce, à tout moment depuis le décès » et « peut réunir des membres de la direction, des managers de proximité, des collaborateurs et collaboratrices ». Il permettrait de remplir des missions de sensibilisation et de conception d’un protocole interne en cas de deuil vécu par une personne salariée ou après le décès d’un ou d’une collègue. Un « binôme d’intervention », désigné par le comité deuil, pourrait « intervenir au plus près de la personne en deuil et en adéquation avec ses besoins exprimés ou observé. Ce binôme est différent selon les organismes. Il peut associer un membre du comité deuil et une personne de l’équipe, proche du collaborateur ou de la collaboratrice endeuillé ».

Un « Guide Deuil au Travail »

Entre juin et novembre 2021, Empreintes a organisé 6 ateliers de coconstruction entre parties prenantes (actifs et actives endeuillés, collègues, managers et manageuses, interlocuteurs et interlocutrices de service RH ou social) pour faire émerger des solutions concrètes pour mieux accompagner le deuil au travail. Un « Guide Deuil au travail » – destiné aux entreprises – réunissant les bonnes pratiques et les bonnes questions pour accompagner le deuil au travail est maintenant disponible. Il comporte 11 fiches repères détaillant les enjeux, la façon de mener un entretien, la place à donner aux rituels dans la sphère professionnelle ou encore les démarches et les droits des personnes endeuillées.

Selon la déléguée générale d’Empreintes, si « la temporalité du deuil et de l’entreprise sont décalées, la société a tout à gagner à respecter, accompagner et aider les personnes qui vivent un deuil au travail ».

Une proposition de loi

Enfin, ces travaux ont également permis la rédaction d’une proposition de loi portée par des parlementaires en réponse aux propositions d’Empreintes. Elle a été déposée par la députée du Var, Sereine Mauborgne, fin février 2022. « Dans la prévention des risques psychosociaux, on parle des personnes avec handicaps ou des personnes aidantes, qui en réalité deviennent souvent des personnes en deuil, mais au moment où le proche décède, on fait comme s’il n’y avait plus de sujet. Or la personne peut aller moins bien. Ce sont des situations qui ne sont pas identifiées et qui ne se disent pas, analyse Marie Tournigand. Si le deuil prend plus de trois jours, c’est considéré comme pathologique, que quelque chose ne va pas »…

Pour répondre à ce manque, Empreintes suggère de modifier la loi plutôt que d’en rajouter. Le gouvernement actuel s’était mobilisé sur la situation des parents qui perdent un enfant en février 2020. Il avait à l’époque consulté l’association, qui aujourd’hui insiste sur le besoin d’ « harmoniser les congés légaux pour sortir de la hiérarchie des douleurs ». « 660 000 décès par an peuvent potentiellement avoir des conséquences similaires aux 14 000 décès d’enfants, insiste Marie Tournigand. Il n’y a pas de raison que le législateur face des différences entre certains décès et d’autres. Notre proposition de loi vise donc à accorder un droit égal et un congé égal, quelle que soit la personne de la famille qui décède ».

La définition de la famille doit aussi évoluer et prendre en compte les familles recomposées ou élargies. Le livre blanc 2 propose alors de modifier le 4° de l’article L. 3142-1 du Code du travail de la manière suivante : entre les mots « d’un enfant », et « du conjoint », insérer les mots « d’une personne à sa charge ou ayant été à sa charge effective et permanente » ; entre les mots « belle-mère » et « d’un frère », ajouter les mots « ou d’un autre parent ayant ou ayant eu la charge effective et permanente de l’enfant, d’un grand-parent, d’un petit-enfant » ; après les mots « d’un frère ou d’une sœur » insérer les mots « , ou d’un frère et d’une sœur issus de l’union de son parent avec son conjoint, concubin ou partenaire ». Le congé de deuil passerait quant à lui à « huit jours qui peuvent être fractionnés dans des conditions prévues par décret ».

Créer une campagne nationale annuelle d’information

Depuis avril 2019, l’association Empreintes travaille avec le gouvernement et le Parlement pour apporter des réponses aux personnes en deuil. Les besoins sont nombreux et variés, allant de la simplification des démarches (sociales, juridiques, successorales) à l’écoute, au soutien voire au soin. « Il n’y a toujours pas de filière de prévention des risques liés au deuil, alerte Marie Tournigand. C’est une réalité taboue, un vécu dont on ignore un peu tout »!

Créer une campagne annuelle d’information paraît indispensable à ses yeux. « On expliquerait le deuil, sa durée, qu’on ne « fait » pas son deuil. En 2019, 53 % des Français disaient être heurtés par les attitudes et les propos de l’entourage au moment d’un deuil. C’est une couche de douleur ajoutée par la société. On pourrait peut-être faire quelque chose pour l’alléger. Tout ce qui socialement, émotionnellement, communautairement pouvait accompagner et entourer une personne en deuil a été gommé. Il faut réparer cela. »

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